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LA SEGARRA

30 Juil LA SEGARRA

La Segarra semble être née pour illustrer un adjectif : vallonné. Le plateau alterne cuvettes douces et buttes escarpées, les premières rythmées par des vagues d’incroyables murs de grandes pierres sèches qu’on jurerait maçonnés ou sculptés, les secondes souvent couronnées de châteaux ou de tours de guet.

Ce monde éminemment rural, voit l’argent gris des feuilles des oliviers côtoyer des champs blonds de céréales, tandis que les broderies des ceps de vigne des Costers del Segre ornent le sud de la comarca (région). Un peu partout, de beaux villages nés autour de mas cossus à l’aspect plutôt seigneurial, semblent vivre dans un temps suspendu, comme si le stress n’avait pas droit de cité, comme s’il revenait à la nature seule, dans le retour tranquille des heures et des lumières, de donner le tempo.

Simplement belle

La Segarra est belle dans sa simplicité tranquille, ancrée dans la profondeur des siècles. Il y a bien longtemps que l’être humain a élu ces terres pour y vivre. Ici, les strates historiques dialoguent sans se brouiller, qu’il s’agisse des restes préhistoriques trouvés à Saint Quim de Freixenet ou à Torà, de la ville ibère et romaine de Guissona, des splendeurs médiévales et baroques de Cervera, ou des innombrables églises, qui déclinent, du roman au gothique, du baroque au modernisme, toutes les esthétiques qui ont fait la richesse de la Catalogne architecturale et picturale. Et lorsque champs et vignes laissent place à la forêt, lorsque rouvres, chênes verts et pins déposent sur les collines les motifs ouvragés de leurs masses sombres, on se dit que Dame Nature n’est pas non plus en reste quand elle organise autour des quatre vallées du Corb, du Sió, de l’Ondara et du Llobregós, sa magistrale tapisserie d’ocres et de verts. La zone du Llobregós, au nord, particulièrement sauvage, est classée pour sa faune, sa flore, ses cabanes de berger joliment voûtées et ses aljubs, ces bassins de rétention des pluies ou le bétail s’abreuve.

Terre d’histoire

Terre de châteaux, la Segarra parie sur l’alliance d’un tourisme culturel et sportif avec une série de routes faciles à parcourir en vélo et en famille, sans dénivelé infranchissable, menant de tours de guet en donjons. La plupart sont visitables et le Centre d’Interprétation de Concavella permet de tout savoir sur l’histoire très mouvementée d’une comarca qui fut l’une des lignes de front entre la Vieille et la Nouvelle Catalogne, lors de la reconquête des terres prises par les Musulmans et donc logiquement, un des fleurons médiévaux du pays. D’ailleurs ici, à une époque où la Segarra était relativement isolée, le système féodal s’est maintenu aux XVIIe et XVIIIe siècles !

Simplement moderne

S’il fallait choisir deux merveilles parmi la profusion de châteaux, il faudrait sans doute nommer la jolie ville close de Montfalcó, où vit encore une poignée d’irréductibles et l’incroyable tour de Vallferrosa construite au VIIIe siècle par les musulmans ! Guissona, l’ancienne Iesso des Romains, fut d’abord une prospère ville ibère qui battait monnaie sous le nom de « Ieso ». Elle fut tout simplement la ville romaine la plus importante de la Catalogne intérieure, dont la ville moderne a gardé certaines conduites d’eau utilisées jusqu’à la Renaissance, la fontaine du village et une belle nécropole à proximité immédiate. Son marché romain, qui voit tous les habitants revêtir toges et fibules, est un des musts touristiques de la comarca. C’est aujourd’hui la deuxième ville de la comarca. à noter sa belle église baroque, Santa Maria, et le siège inachevé d’un évêché qui n’a jamais vu le jour. La ville ancienne, organisée autour de sa place à arcades, est bourrée de charme. Agriculture, industrie agroalimentaire et artisanat assurent une vie locale animée et commerçante.

Terres de labeur

La petite ville fédère tout le nord de la région qui y fait ses courses et fréquente ses marchés. La vingtaine de petits villages de la Segarra vit essentiellement de l’élevage et de l’agriculture. Ils se prêtent à la découverte nonchalante et recèlent parfois des surprises comme le petit lac de Palouet, destiné à irriguer les amandiers où ont élu domicile nombre d’oiseaux aquatiques comme les canards colverts, les poules d’eau, les martins-pêcheurs, mais aussi des écrevisses. Une belle découverte, très bien balisée et signalisée, qui fait le régal des ornithologues en herbe et des photographes.

Chapelles et ermitage

Il va sans dire qu’outre le vélo, qui reste le moyen de transport roi, le cheval est ici chez lui et tous les amoureux de l’équitation adoreront parcourir ces routes qui enlacent tendrement le renflement parfois imperceptible des collines plantées de blé et d’orge, ensoleillées par un champ de colza, argentées par une oliveraie. Elles sont aussi un authentique paradis pour les chasseurs qui adorent cette nature contrastée. De nombreux ermitages expriment la ferveur populaire et recèlent parfois des trésors inattendus, comme les ex-voto du sanctuaire de San Ramon. Ici, le tourisme religieux inclut même la visite de la chapelle du Saint Doute… une preuve supplémentaire du célèbre réalisme catalan !

Guerre et patrimoine

Au sud de la comarca, là où la vigne s’invite, le vallonnement devient si dense que cette microrégion s’appelle les « comalacs », terme catalan qui désigne une alternance de buttes et de vallées. Ici, le travail de l’homme a remis plusieurs fois sur le métier son ouvrage, car le phylloxéra, comme ailleurs, a durement sévi. Qu’importe, les Costers del Segre, plutôt légers et gouleyants, sont devenus au fil des décennies, des vins prisés des gastronomes. Il paraît que ces vignes sont dues à des Français chassés de chez eux, justement par l’offensive du teigneux insecte sud-américain puis rattrapés dans un second temps par ce dernier… La Segarra, située en plein centre de la Catalogne, sur un axe qui relie Barcelone à l’Andorre d’un côté et Lleida à Girona de l’autre, hautement stratégique donc, a été le théâtre de terribles luttes pendant la guerre d’Espagne : destruction de lieux de cultes et exécutions de curés par les républicains, bombardements et passage par les armes d’innombrables civils par les franquistes, fosses communes, transformation de nombre de lieux de culte en prisons pour les ennemis successifs, la Segarra a été marquée au fer rouge.

Les stigmates de l’Histoire

Elle garde la trace d’abris anti-aériens, de champs de bataille et bien sûr, la mémoire de l’université de Cervera qui servit de garnison. Impossible de contempler le moindre élément de mobilier d’église, comme les sublimes sculptures de Jaume Pedró, des merveilles baroques aux drapés soigneux, saisis dans le mouvement, sans qu’on vous raconte comment elles ont été cachées, parfois derrière un mur érigé pour l’occasion. Les retables baroques, eux, ont fait les frais des bombardements et beaucoup d’entre eux ont péri dans les flammes. Pourtant, des chefs-d’œuvre ont survécu comme le reliquaire et le retable de Santa Maria d’Ivorra ou encore l’église de Sanaüja, un joyau gothique, aux ogives ourlées de nervures délicates.

Musées florissants

Et bien sûr, comme nous le verrons, la Paeria, l’université et l’église baroque de Cervera et sa magnifique minoterie moderniste. Pourtant, malgré cet extraordinaire patrimoine bâti, ici, les musées sont consacrés aux arts populaires : le grand champion Marc Marquez expose des motos, on apprend l’histoire du pain au musée de Torà et on perfectionne son immersion dans le monde paysan au musée de la vie rurale de Sisteró, comme si la Segarra voulait garder sa modestie, malgré les innombrables distinctions que lui a accordées l’histoire, au fil des siècles.

À absolument découvrir

Idéalement située, magnifiquement desservie par deux quatre voies et une ligne de chemin de fer, sublimée par l’aura de sa capitale, Cervera, haut lieu de catalanité et d’histoire, la comarca a de quoi séduire les amoureux de la nature, les familles en quête de week-ends actifs et culturels et tous ceux pour qui l’art du bien vivre inclut convivialité et authenticité. La Segarra s’offre telle qu’elle est, soignée et naturelle à la fois, belle comme toutes celles qui ne savent pas qu’elles le sont. Une belle découverte vous attend.

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