03 Fév La Seu de Manresa
Si le pape Léon XIII lui a accordé le titre de basilique en 1883, la « cathédrale » de Manresa ne l’a jamais vraiment été. Histoire d’un bâtiment extraordinaire.
L’église canoniale de Santa Maria est également connue sous le nom de Santa Maria de l’Alba ou de « Seu », autrement dit cathédrale. Le siège épiscopal fut en effet, du temps de l’abbé Oliba, autour de l’an mil donc, partagé avec Vic, un peu comme ce fut longtemps le cas pour Elne et Perpignan. Il s’agit de l’un des bâtiments les plus caractéristiques de l’art gothique catalan. Érigée sur la colline du Puigcardener, à l’emplacement d’une église primitive construite en 940 et détruite par le Maure Al Mansour en 1003, elle fut remplacée par une église romane au XIe siècle. Le site est en soi grandiose, tant l’architecture colossale domine la ville dont elle reste le symbole.
D’une légende à l’autre
La construction de l’église actuelle, gothique, décidée en 1301 et commencée en 1322 est due à l’architecte Berenguer de Montagut, le génial concepteur de la magnifique basilique de Santa Maria del Mar, considérée comme la deuxième cathédrale de Barcelone, la cathédrale du peuple, érigée par les petites gens des quartiers de la Ribera et du Born. Une légende ! Comme si la malédiction et la grâce se disputaient la mémoire de cet architecte incroyable ! Et bien sûr cet énorme vaisseau de pierre n’a pas manqué d’appeler le merveilleux. En 1333, les habitants de Manresa avaient dû subir une terrible sècheresse et avaient eu l’idée de construire un canal une « sequia » détournant l’eau du Llobregat pour alimenter la ville. En 1339, après des tractations laborieuses, ils obtinrent la permission du roi, indispensable pour engager des travaux de cette ampleur. Malheureusement, le tracé traversait les terres de l’évêque, lequel n’envisageait guère d’accueillir des centaines d’ouvriers dans son domaine privé. Une situation de blocage s’installa, l’évêque n’ayant pas hésité à excommunier la ville et à fermer les églises pendant cinq ans !
Une énorme nef unique
La situation s’enkysta jusqu’au 21 février 1345, date à laquelle une colombe et une lumière divine entrèrent soudainement dans l’église, marquant à la fois un miracle, encore célébré aujourd’hui, et la résolution du conflit, résolution confirmée par le Pape en personne. Enfin, quelques années plus tard, l’eau du Llobregat dotait la ville d’un véritable fleuve et transformait durablement son avenir ! La célébration de ce miracle donne lieu à une fête, la Festa de la Llum (21 février) avec spectacles et concerts mais doublée de la Fira de l’Aixada (cette année du 29 février au 1er mars) qui installe pendant deux jours un campement médiéval dans le centre ancien avec des artisans, des musiciens, des jongleurs, des sorcières, des métiers anciens et un marché typique, en souvenir de ce glorieux passé. La basilique est composée d’une nef particulièrement haute à absides polygonales. Elle présente des chapelles latérales et un transept soutenu par 18 piliers octogonaux renforcés par 18 arcs-boutants et est illuminée par une trentaine de grands vitraux historiés de très belle facture.
Florilège du gothique catalan
Après les cathédrales de Girona et Palma de Majorque, c’est une des nefs les plus larges d’Europe, qui bien qu’unique, donne par un jeu de colonnes qui délimite trois grandes travées, l’illusion d’une triple structure. La façade a été terminée dans les années 1970 avec un portail et un baptistère, tous deux dessinés par Alexandre Soler March sur une idée du génial Gaudí en personne. Elle a en effet subi de plein fouet les vicissitudes de l’histoire catalane contemporaine : brûlée pendant la Guerre de Succession en 1714, année funeste entre toutes, elle fut une nouvelle fois détruite au début de la Guerre d’Espagne en 1936. L’intérieur de l’église est présidé par la reproduction d’une statue de la Vierge de l’Aube, sculptée au XIVe siècle, et conserve de magnifiques exemples de peinture gothique catalane, déclinés en fabuleux retables : le retable de Saint Marc et Saint Aignan signé Arnau Bassa (1346), le retable de l’Esprit-Saint signé Pere Serra (1394), celui de Saint Michel et Saint Nicolas, œuvre de Jaume Cabrera (1406). Une large prédelle du retable aujourd’hui disparu de Sant Antoni Abat signé Lluís Borrassa, et enfin celui de la Trinité, dû au pinceau de Gabriel Guardià (1501) disciple préféré de l’immense Jaume Huguet. Toute la fine fleur picturale du gothique catalan rassemblée dans un seul espace, une rareté absolue qui justifie à elle seule la visite de ce monument vraiment exceptionnel. Du cloître roman primitif subsistent une ancienne galerie à deux étages, assez trapue, datée du XIe siècle, et un portail gothique au tympan très abîmé racontant la Genèse et la tentation d’Adam et Ève dont l’original est à l’abri dans le musée adjacent. Le deuxième cloître situé au nord de l’église, bâti au XVIIIe siècle est nettement baroque. Son terre-plein central est occupé par une chapelle, baroque elle aussi.
Une crypte baroque
Sous l’autel majeur se trouve une crypte, construite ou plutôt creusée entre 1576 et 1578, puis agrandie en 1973 qui conserve les reliques des Saints martyrs Maurice, Fruiteux et Agnès, patrons de la ville. Le temple en marbre et en albâtre est l’œuvre de Jaume Padró et constitue un des ensembles catalans les plus remarquables de son époque. Ce même Padró est le génial auteur du retable de la chapelle de l’Université de Cervera, de style rococo tardif, reconnue comme un chef-d’œuvre absolu avec ses incroyables drapés, ses silhouettes en mouvement, la précision incroyable des détails sculptés. Pendant la guerre d’Espagne, le sublime petit temple baroque de marbre et d’albâtre aujourd’hui restauré fut entièrement détruit. à ne pas manquer, la rosace de 9 mètres de diamètre, dont la structure est réalisée non pas en pierre mais en béton, pour un effet absolument bluffant : le vitrail central, énorme, représentant la vierge, mesure 1,80 m de haut. La Seu de Manresa n’est jamais en retard d’une démesure !
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