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L’ALTA RIBARGORCA

06 Déc L’ALTA RIBARGORCA

Pour arriver en Alta Ribagorça, il faut s’armer de patience, et beaucoup aimer la montagne, car la belle ne se laisse pas surprendre, entourée de cols vertigineux et surveillée par les plus hauts sommets des Pyrénées. Les voies de communication sont réduites à leur plus simple expression, une entrée au nord, une entrée au sud.

Ici, pas la moindre plaine, pas le moindre plateau, les maisons ont dû se contenter de tapisser de temps en temps le fond des vallées et de s’accrocher au flanc des montagnes, quand elles n’ont pas tout simplement disparu au fond d’un barrage. Il y a quelque chose de l’Andorre dans ces paysages purs. Un pays suspendu entre Val d’Aran et Pallars qui semble regarder vers l’ouest, vers sa moitié perdue dans la Franja, absorbée par l’Aragon. Un pays dont les toponymes gardent un sillon basque, creusé il y a bien longtemps, comme le massif du Besiberri.

Pays de rivières

Sa langue, un rien mâtinée, se souvient du temps où ces terres étaient vassales des comtes de Toulouse. Un pays qui tarda à être christianisé, tant il était inaccessible et qui garde brûlante, à chaque solstice d’été, la marque du paganisme. à partir de Pont de Suert se dessine le cours de deux rivières, dont les bras s’écartent en Y pour mieux étreindre le territoire, la Noguera Ribagorçana, qui fait office de frontière, et la Noguera de Tor, dont l’arborescence dessine un réseau de cours d’eau et de lacs sur l’ensemble de la région. Vu le caractère accidenté du relief, on devine vite que ces cours d’eau ont servi de route et de repère au fil des siècles, comme un véritable arbre de vie entre les îlots éloignés d’un habitat très dispersé. Plus haut, vers les Pyrénées, l’empreinte glaciaire a laissé des cirques impressionnants comme celui de Montardo, creusé nombre de vallées en forme de U, et égrené un joli chapelet de lacs et d’étangs qui se déclinent parfois en zones marécageuses. L’eau est sans conteste la plus grande richesse de cette comarque longtemps vouée à des cultures vivrières de survie et au pastoralisme.

L’or bleu

La déclivité des vallées, la préexistence de lacs et d’étendues d’eau, le débit contrasté des torrents, ont permis l’installation d’un grand nombre de centrales hydroélectriques, et la construction de barrages parfois énormes comme celui des Escales, 125 m de haut. Cette manne a permis dans une certaine mesure aux habitants, souvent tentés par l’exode rural, de bénéficier de la fée électricité et de trouver du travail en complément de leur rude vie paysanne, mais a également déterminé une très forte immigration venue des autres régions de l’état espagnol. De tracé administratif récent, l’Alta Ribagorça est la comarque la moins peuplée de Catalogne, elle compte 4 000 habitants dont 2 500 vivent dans la capitale, Pont de Suert.

Bayadère de verts

Malgré l’existence d’une petite industrie textile et un artisanat de meubles réputé, le salut, ici comme ailleurs, est venu du tourisme, servi par le caractère intact de ce petit territoire suspendu et par l’unicité de ses atouts naturels et culturels. Les paysages, résolument montagnards, présentent une bayadère de verts caractéristique : d’abord les rouvres, puis les pins rouges, les pins noirs, enfin les prairies d’altitude, avant le jaillissement magistral du minéral. Sur les zones vraiment humides, quelques belles hêtraies ont installé leurs élans de cathédrale, et là où le froid est le plus intense, des sapins aux robes sombres et veloutées abritent de leur jupe d’aiguilles le petit peuple des sous-bois. Bien sûr, les communications restent difficiles, mais ce qui marquait hier l’immobilité de l’hiver, signe aujourd’hui une activité nouvelle.

Conversations au sommet

L’or blanc est passé par là, et la jolie station de Boí Taüll Resort affiche un beau dynamisme et une clientèle d’inconditionnels, amoureux de la tranquillité et de la beauté des paysages, tout autant que des dénivelés impressionnants (10 000 m) qui permettent toutes les audaces et tous les plaisirs. Ici, les sommets se parlent, et ils le font à 3 000 m d’altitude, défiant l’Aneto tout proche. Il faut dire qu’une grande partie du territoire est occupée par le roi des parcs pyrénéens, le Parc d’Aigüestortes et de l’étang de Sant Maurici, un monde à part qui n’a pas bougé d’un iota depuis des siècles, si ce n’est les skieurs et randonneurs qui le traversent été comme hiver et remplacent d’une certaine manière les rudes bergers d’autrefois.

Destinée touristique

Lentement, l’Alta Ribagorça s’est équipée de quelques hôtels et de gîtes de charme pour accueillir ces transhumances nouvelles. L’habitat montagnard, fait de pierres et de bois, garde, malgré la marque des années dures, quelque chose de pimpant, d’accueillant, qui donne envie de se poser. De part et d’autre des rivières s’ouvrent de toutes petites vallées, souvent en cul-de-sac, menant à un ou deux villages, ou desservant un seul hameau, généralement magnifié par une église romane. Les routes sont souvent munies de dispositifs destinés à empêcher les vaches de quitter leur territoire et se terminent souvent par des pistes relativement ravinées par l’enneigement, qui ne paraissent pas le moins du monde effrayer les autochtones. Il existe pratiquement autant de vues panoramiques que de vallées, et chacune vaut le détour. Devant l’immensité des montagnes, leur silence minéral, la fuite éperdue des nuages courant de toute leur ombre sur les falaises, on est saisi par un sentiment d’infiniment petit et d’admiration pour ces paysans obstinés accrochés à leur terre ingrate, dure, infiniment aimée.

L’empreinte de l’histoire

Lorsqu’on s’écarte des routes principales, qui suivent toutes deux l’axe tracé par les rivières, et que l’on décide de pénétrer vers le centre des villages, la surprise est au rendez-vous. Villaler a gardé sa physionomie médiévale avec une jolie circulade pentue qui s’enroule autour d’une butte abrupte, des passages couverts, des petites places voûtées, le tout dans son jus, sans restauration hasardeuse. Un vrai joyau. à Pont de Suert, la capitale, il suffit de s’éloigner de quelques mètres de la route pour découvrir de magnifiques places voûtées, dont les balcons sont si fleuris qu’on pense à la Bavière ou au Tyrol du sud. Un passage sombre creusé sous les voûtes permet de passer d’un pâté de maisons à l’autre. De nombreux commerces ont élu domicile dans la vieille ville, et les passants sont nombreux. Car Pont de Suert remplit avec sérieux son rôle de capitale, affairée et riante. L’église moderne, construite en 1955, toute de béton et de verre, plante l’écharde incongrue de sa géométrie aux angles aigus dans ce paysage lesté par le poids des siècles. De l’autre côté s’élève la vieille église, romane bien sûr, qui abrite désormais le Musée d’Art Sacré de la Ribagorça, et le palais abbatial de Santa Maria de Lavaix flanqué du clocher carré, surmonté d’un toit pyramidal.

Curistes et pèlerins

Ses cloches ne sonnent qu’à la nuit de la Saint Jean lorsque les torches (falles) allumées descendent vers la ville. Tout en haut de la vallée, à 1 500 m d’altitude, la station thermale de Caldes de Boí offre ses 37 fontaines, qui jaillissent à des températures diverses, entre 4 et 57°, et dont l’eau est reconnue d’utilité publique depuis 1857. Au bout d’une jolie route verdoyante, un jardin soigneusement entretenu doté d’un joli jet d’eau encerclé de pierres annonce le hameau. Dans l’hostellerie, des boutiques s’organisent autour d’un petit patio et encerclent une jolie chapelle. Malgré la modernité des installations du spa, on se sent à mi-chemin entre un ermitage et des thermes, entre curistes et pèlerins, comme si les eaux demandaient à être crues avant d’agir. La rivière, enjambée d’un joli petit pont de pierre roule ses flots crénelés d’écume sur des galets uniformément gris et contribue à l’impression de fraîcheur bienfaisante que dégagent les lieux. Nous le verrons, la station n’est qu’un élément de la vallée de Boí, enchanteresse avec ses retenues d’eau gracieuses, ses villages nés de la roche et surtout ses incroyables églises romanes, juste en bordure du parc naturel.

Joyeux mélange

Le catalan que l’on entend dans les rues est nettement occidental, marqué par des voyelles ouvertes car nous sommes sur les terres de Lleida, mais il s’y mêle quelques mots occitans, sans doute de l’aranès, puisque nous sommes à quelques kilomètres du Val d’Aran. Même de l’autre côté de la frontière administrative avec l’Aragon, le catalan reste bien vivant dans la Franja de Ponent, d’autant que la comarque frontalière est… la Ribagorça aragonaise ! Bien sûr le castillan des anciens travailleurs des barrages s’invite volontiers au coin des rues. Sans soute les rigueurs du climat et le relatif isolement n’y sont-ils pas étrangers, mais la communication est facile, chaleureuse, une parfaite illustration de la célèbre hospitalité montagnarde qui donne envie de s’attarder.

Splendeur naturelle

L’Alta Ribagorça n’a rien d’une séductrice, elle se montre telle qu’elle est, dans la simplicité de sa splendeur naturelle, de son identité de frontière, de berceau secret de l’âme catalane et de cet art roman si pur qu’il semble ouvrir le ciel. On ne sait plus si on la trouve belle, touchante ou sauvage. On a juste envie de s’y poser parce qu’on a commencé à l’aimer.

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