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Le Maresme, Berceau moderniste

02 Juin Le Maresme, Berceau moderniste

Le Maresme possède un patrimoine moderniste dense et divers qui en fait une sorte de sanctuaire de ce style si intrinsèquement lié à l’identité catalane et aux besoins de résidences secondaires de la bourgeoisie industrielle soucieuse de montrer son statut social et son niveau culturel.

Au tournant du XIXe au XXe siècle, l’Europe a vu naître un mouvement esthétique caractérisé par la coexistence de matériaux nobles et industriels, une profusion de motifs végétaux, une asymétrie calculée et surtout, des formes en mouvement qui rappellent le bréviaire baroque par leur effusion et leurs lignes courbes : Art Nouveau en France, Sécession en Italie, Arts and Crafts en Angleterre, ce nouveau courant prend en Catalogne le nom de Modernisme, dopé par l’émergence d’une bourgeoisie industrielle argentée, ses envies de villégiature et son ambition cosmopolite. Même si la plupart des œuvres classées à ce titre au patrimoine mondial de l’Unesco se situent à Barcelone, et si Gaudí en est l’ambassadeur suprême, il est indéniable que le berceau de ce Modernisme se situe dans le Maresme qui a vu naître puis se développer ses principaux représentants, à savoir Lluís Domènech i Montaner et Josep Puig i Cadafalch. Ils ont suscité dans leur sillage nombre de vocations chez les architectes locaux, Eduard Ferrès i Puig, Emili Cabanyes Rabassa, Josep Maria Arenaza et Ignasi Mas i Morell, notamment. La comarca, pourtant parmi les plus petites du pays, compte ainsi plus de trois cents bâtiments modernistes : églises, usines, ermitages, immeubles d’habitation, boutiques, caveaux funéraires, mairies… De véritables perles qui donnent au Maresme un charme singulier, celui d’un petit paradis moderniste orné de palmiers et ourlé par la mer.

Une comarca inspirante

Certaines villes, surtout le plus urbaines, ont défini des circuits touristiques modernistes prêts à visiter, mais ce n’est pas le cas partout, même s’il suffit souvent d’un regard un peu aiguisé sur les façades pour débusquer les signes de la présence moderniste. Disons-le tout de suite, l’épicentre de ce séisme esthétique est Canet de Mar, la ville où officia toute sa vie Lluís Domènech i Montaner et où il mit au point les maquettes de ses chefs d’œuvre barcelonais que sont l’Hospital Sant Pau et le Palau de la Música Catalana. Sa maison-musée est conçue comme un diptyque éclairant. Il s’agit de la Masia Rocosa une belle demeure paysanne du XVIIe siècle et de la Maison Domènech (1919). Deux bâtiments tout à fait complémentaires pour décrire la démarche d’un immense artiste, du moins en ce qui concerne l’architecture civile. La maison Domènech est sa dernière œuvre comme elle est la dernière demeure où il a vécu, à l’angle de deux rues, avec trois fenêtres à imposte trilobée, des balcons aux rambardes chantournées et des vitraux. 

La première pierre

Toute la décoration intérieure qui fait une large place à la céramique et au verre, intègre des éléments de son vocabulaire pictural déjà vus au Palau de la Música ou à l’Hospital Sant Pau. La Masia Rocosa, la maison d’été de l’architecte, appartenait à la famille de sa femme, de riches propriétaires terriens. Dans le respect total de l’architecture d’origine, Lluís Domènech i Montaner en a fait un véritable palais moderniste à la décoration luxuriante, autant qu’un lieu de vie particulièrement agréable. Derrière l’architecte on découvre au passage un père et un grand-père attentionné, et un grand patriote catalan. On lui doit aussi la restauration du Château de Santa Florentina dont nous parlions précédemment, l’Ateneu Canetenc devenu une bibliothèque publique, ou encore l’ancien abattoir municipal. Cette imprégnation moderniste donne lieu tous les ans à une Foire Moderniste à la mi-septembre, ce qui prouve que les autochtones perçoivent l’époque moderniste comme un âge d’or. Mataró possède de son côté un véritable trésor, à savoir la toute première œuvre de Gaudí, l’endroit où il eut l’audace d’expérimenter ses célèbres arcs paraboliques comme élément structurel, une véritable révolution qu’il va reprendre à la crypte Güell, puis à la Sagrada Família. Il s’agit au départ d’une simple usine de blanchissement du coton qui ne réclamait donc aucune réflexion esthétique particulière, mais qui a offert au génie de Gaudí un terrain de jeu idéal. évidemment Mataró n’en reste pas là et on trouve des caractéristiques modernistes, dues cette fois à Josep Puig i Cadafalch, alors architecte municipal, dans la salle du conseil municipal ou dans la magnifique boutique « la Confianza » entièrement revêtue de céramiques et de verres biseautés. La maison de charité « la Beneficiència » présente des éléments de décoration néogothiques et des sculptures dues à Eusebi Arnau. Mais bien sûr, le bijou de ce florilège reste la maison Coll i Regàs, construite à l’emplacement de deux maisons préalablement rasées. Elle comprend quatre étages, sa façade est ornée de sgraffites et de statues qui ne sont pas sans évoquer quelque influence flamande. C’est pourtant dans la modestie du Mercat del Rengle, un étroit marché couvert au toit semi sphérique ensoleillé de céramiques bleues et blanches qu’éclate le pouvoir d’invention Domènech i Montaner. Pour sa part, Argentona tient son rang de ville moderniste avec un certain brio puisqu’elle possède la maison Puig i Cadafalch, celle où il passait ses étés et qui apparaît, au-delà de l’esthétique, comme un manifeste du bien vivre. Elle est entourée d’un jardin ceint d’une clôture en briques et fer forgé. Les façades sud et ouest sont ornées de galeries de bois, des sortes de pergolas aux barreaux bien serrés pour favoriser l’ombre, où s’accrochait une treille bienfaisante. 

Voyage à Sinera

à l’intérieur, d’innombrables ruptures de niveau et une filtration savante de la lumière créent une atmosphère particulière d’été permanent. Tout près, le château d’eau del Cros est conçu comme un phare légèrement conique et recouvert de briques qui s’élance vertigineusement vers un pinacle gracieux, recouvert d’une mosaïque de céramique vernissée. Cette propension à refuser les limites, à les repousser, est une des caractéristiques les plus évidentes du modernisme en Catalogne. De son côté Alella révèle sa belle cave viticole, dessinée par Jeroni Martorell, l’usine de peintures du XIXe siècle avec son fronton à redans souligné d’un liseré de céramiques et enfin la villa du Gouverneur une magnifique demeure à clochetons, bow-windows et magnifique portail en ogive flanqué de deux tours. Un des endroits les plus singuliers de cette plongée dans le modernisme reste le cimetière d’Arenys de Mar, également appelé cimetière de Sinera en référence à l’œuvre du grand poète Salvador Espriu qui désignait sa ville par son anagramme. Cet ensemble d’art funéraire est extraordinaire avec des tombes et des caveaux modernistes sculptés entre 1900 et 1920.  Les sépultures sont ornées par des sculptures magnifiques de Josep Llimona ou Venanci Vallmitjana, deux des plus grands sculpteurs de l’époque. Ce cimetière marin est une ville des morts foisonnante autant qu’une proclamation d’éternité pour ce style éblouissant et éphémère. Il ne présente aucune rupture esthétique avec les demeures des vivants qu’il se contente de miniaturiser en faisant évidemment une plus grande place à la statuaire. Se promener dans ces rues bordées de buis et de cyprès procure la sérénité inhérente à la fréquentation de la beauté. Il s’y ajoute la brise marine et le cri des mouettes comme une promesse d’ailleurs qui caresserait l’apparente impassibilité de la pierre. La visite du cimetière de Sinera est mieux qu’une visite, une expérience. « Une petite patrie encercle le cimetière ! Cette mer, Sinera, collines de pins et de vignes, poussières de ruisseaux, je n’aime rien d’autre, si ce n’est l’ombre voyageuse d’un nuage. Le souvenir alangui des jours à jamais passés » écrivait Salvador Espriu. à bien y réfléchir, ce paysage se retrouve dans chaque façade moderniste, dans chaque structure, dans chaque arc et chaque motif végétal. C’est bien le monde, le réel et l’imaginaire, qui s’y donne à lire en pleine liberté et nourrit la nôtre. Le Maresme invite au rêve.

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