VOTRE MAGAZINE N° 128 EST EN KIOSQUE
VOTRE MAGAZINE N° 128 EST EN KIOSQUE

Le Vallespir : humble et grandiose

01 Août Le Vallespir : humble et grandiose

Céret, Amélie les Bains, Arles sur Tech, Prats de Mollo, Saint Laurent de Cerdans, le Vallespir égrène ses merveilles et offre son fleuve, le Tech à la plaine altérée. Coup de projecteur sur une vallée qui ignore la frontière et se pense en catalan.
vallespir2La première chose qui frappe le regard, lorsque l’on dépasse le Boulou pour remonter la vallée, c’est la masse fière du Canigou qui a perdu ses faux airs de Fuji-Yama : plus trapu, plus ramassé de ce côté-ci, plus protecteur : et c’est cette vision qu’ont la plupart des Catalans de leur montagne sacrée puisqu’il s’agit de sa face méridionale, celle que l’on voit par temps clair depuis Montserrat et depuis toute la Costa Brava ! Il faut dire qu’ici, on est proche, très proche du Principat : conscriptions, guerres, traité des Pyrénées, rien n’a encore pu casser ce sentiment d’appartenance à un espace qui n’est pas la Catalogne du nord, mais la zone de montagnes du nord de la Catalogne.

Un fleuve roi

Tout commence avec le Pont du diable, un magnifique pont à dos d’âne construit au XIVe siècle, porté par un arc en plein cintre qui enjambe d’un pas gracieux les gorges du Tech, le fleuve roi du Vallespir. Et déjà, tout change : les vignes et les cerisiers de la plaine, les bouquets de roseaux disparaissent, les collines se brodent de chênes verts et denses, les alzines, immuables au fil des saisons. La vallée se resserre, âpre, rude, formant çà et là, souvent au confluent du Tech et d’un affluent, des petits bassins où se nichent les villages récents. Prudents, les noyaux urbains médiévaux campent sur les collines, habitués aux terribles colères de rivières jamais domptées et promptes à prendre la mouche. Plus haut, ce sera l’avènement des châtaigniers et des rouvres, et plus haut encore, des crêtes nues dont on ne sait jamais de quel côté de la frontière elles se trouvent tant elle est, ici, imperceptible : Fontfrède, Roc de Frausa, grande et Petite Batterie…

Un peuple de passeurs

Il n’y a pas si longtemps, il n’y avait aucun accès routier au sud à partir du Vallespir: il a fallu attendre les années 70 pour que le Col d’Ares s’ouvre sur Camprodon, et les années 80 pour que Coustouges soit reliée à Darnius ! Pourtant, la frontière a toujours été une véritable passoire, et même au temps redoutable du franquisme, les contacts se sont maintenus, ne serait-ce que parce que la plupart des familles ont un fort cousinage de part et d’autre. Ici, il suffit de partir cueillir des champignons pour fouler l’Alt Empordà ou l’Alta Garrotxa. Depuis des siècles, les gens de La Preste tracent droit sur la montagne et vont au marché d’Espinavell. Depuis des décennies les gens de Saint Laurent de Cerdans ou de Coustouges passent la frontière pour aller manger chez « Can Mach », à Tapis, juste de l’autre côté. Les sentiers strient la montagne, longent les rivières, traversent les forêts. Pays de contrebande, de trabucaires, de réfugiés et de fugitifs de toutes les guerres, le Vallespir est une formidable terre de passage et d’accueil, mais il n’a rien perdu de son enracinement catalan, bien au contraire !

vallespir3Une frontière pont

Lorsque Louis XIV foulant aux pieds ses propres engagements rétablit la gabelle dans un pays d’élevage et de salaisons où le sel est vital, c’est de Prats de Mollo que vint la révolte qui allait embraser le Conflent voisin et défier le Roi Soleil pendant plus de dix ans grâce à une stratégie de guérilla et une parfaite connaissance du terrain. C’est la guerre du sel, avec pour héros Josep de la Trinxeria, un haut fait que l’historiographie française passe soigneusement sous silence. Lorsque Francesc Macià déclare en 1931 l’indépendance de la Catalogne (comme quoi, cette revendication multiséculaire n’a rien à voir avec la crise), il passe la frontière du col d’Ares et pousse jusqu’à Prats de Mollo qu’il reconnaît pleinement comme terre catalane. En 1939, malgré l’absence de routes à proprement parler, c’est un flot ininterrompu de réfugiés républicains espagnols qui entre sur le territoire français par le col d’Ares, Lamanère ou Coustouges. Avec les moyens du bord, les habitants font ce qu’ils peuvent pour parer au plus pressé, avec une mention spéciale pour Saint Laurent de Cerdans où la mobilisation, sur fond de tradition ouvrière, est générale. En Vallespir, la solidarité, on connaît, montagne oblige. Lorsque les premiers juifs et les réfractaires du STO tentent d’échapper au régime nazi, la vallée devient naturellement une terre de passeurs. Elle le restera dans l’autre sens pour les Espagnols et Catalans tentant de fuir le franquisme jusqu’aux années 70. Le Vallespir est une terre de résistance et d’accueil. C’est d’ailleurs la double vocation de ses églises romanes arc-boutées à la roche et toujours ouvertes au voyageur.

Au cœur du roman

Car côté patrimoine, le Vallespir est une vraie corne d’abondance : Céret encore partiellement enserrée dans ses remparts offre sa magnifique église baroque, son couvent des Capucins, ses multiples chapelles, son célébrissime Musée d’Art Moderne et depuis peu, Músic, un musée des instruments du monde à découvrir absolument. En remontant la vallée on tombe sur le beau village médiéval de Palalda, surmonté de ses deux églises, dont les maisons escaladent bravement  la colline juste au-dessus du Tech. Alors arrive Arles, blottie autour de son abbaye, jalouse de ses mystères : vous y découvrirez deux églises romanes sublimes et un cloître gothique arachnéen. Ensuite, où que vous alliez, l’art roman vous attend, comme à Montferrer, ou de l’autre côté à Saint Laurent de Cerdans et à Coustouges, où au pied du Conjurador de Serralongue, où encore bien sûr au cœur des remparts de Prats de Mollo surmontés de l’église baroque Sainte Juste et Ruffine et du fort Lagarde, que l’on doit à Sébastien Vauban ! A l’ombre de cette architecture hiératique, des retables baroques et des légendes toujours vivantes venues du fond des âges qui sont le socle de fêtes ancestrales : l’ours, le carnaval, les processions du vendredi saint… Et de mythes transmis  de génération en génération…

vallespir4Terre de légendes

Tous les enfants du Vallespir le savent. Si l’on n’est pas sage, les Simiots vont revenir ! Ces créatures simiesques et carnivores semaient la terreur dans toute la contrée, en dévorant les petits enfants  avant que l’abbé Arnulfe, prieur de l’abbaye d’Arles sur Tech, ne se rende à Rome pour y récupérer les reliques d’Abdon et Sennen. Devant l’église de ladite abbaye, un sarcophage mystérieux vestige d’une nécropole paléochrétienne, trouvé aux bains d’Arles, se remplit régulièrement d’eau sans que jamais la source invisible ne se tarisse et sans qu’aucune explication scientifique n’ait pu en être donnée. Les tours de Cabrenç au-dessus de Serralongue se souviennent des cris d’effroi de la châtelaine infidèle voyant son amant occis par son époux sans autre forme de procès. Ici, passé et présent s’entremêlent.

Douceur de vivre

Enfin, il y a les paysages : des vallées profondes qui deviennent parfois des canyons, alternant marmites et cascades, comme les gorges du Mondony. Des failles impressionnantes comme le défilé des gorges de la Fou, une fente de un kilomètre et demi, parfois large de moins d’un mètre entre des falaises de plus de 100 m de haut. Des plateaux riants et verts semés de mas en cayrou aux rares ouvertures, toujours entourés de sources. Des crêtes déchiquetées surmontées çà et là de tours de guet : tour du Mir au-dessus de Prats de Mollo, tours de Cabrenç au-dessus de Serralongue, tour de Cos au-dessus de Montferrer, destinées à avertir de l’avancée de l’ennemi, et enfin des chapelles et ermitages nichés dans les forêts pour accueillir le pèlerin : le bijou de Santa Engràcià, au-dessus d’Amélie, la paix de l’ermitage du Corral sur la route du Col d’Ares, la chapelle de Sant Martí près de Corsavy, l’église de Montbolo, celle de Montalba, la chapelle  de Sant Guillem de Combret au-dessus du Tech…. Le GR 10 court le long des Pyrénées et permet de découvrir la splendeur de ces paysages préservés par leur relative inaccessibilité. Ici, tout se mérite. La beauté est offerte, mais il faut savoir la conquérir.

Accueillir et intégrer

Beau, festif, chargé d’histoire, le Vallespir est tout cela, mais beaucoup plus encore. Il a su préserver une véritable vie de village avec ses marchés hauts en couleur, ses places où l’on échange les dernières nouvelles, ses cafés qui sont l’épicentre du vivre-ensemble. Vous y entendrez beaucoup de catalan, bien sûr, mais aussi tous les accents et toutes les langues : Belges, Hollandais, Allemands, Anglais, Chtis ont acheté et restauré des mas, se sont établis et font désormais partie du paysage. Sur le marché, ils sont les premiers à vendre fièrement les produits du cru. Un signe qui ne trompe pas, tous les week-ends, vous noterez la présence massive de jeunes : où qu’ils fassent leurs études, où qu’ils travaillent, ils reviennent en Vallespir dès qu’ils le peuvent et transmettent à leurs enfants l’amour de cette terre rude qui rend au centuple l’attention qu’on lui porte.

 

Faisons un rêve : dans cinquante ans, sur le foiral de Prats, sur la placette de Saint Laurent, devant les arcades de Céret, il y aura encore des vieux  et des vieilles assis sur des bancs qui parleront du temps et du sens de la vie. Ils le feront en catalan par amour de cette terre, qu’ils l’aient choisie où qu’elle les ait vus naître. Le sarcophage d’Arles continuera de se remplir. Et la splendeur humble et grandiose de ma vallée demeurera, comme un signe d’éternité.

Pas de commentaire

Poster un commentaire