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L’éco-barbe du Delta

01 Juil L’éco-barbe du Delta

Du Delta, il connaît l’alpha et l’oméga. Avec Polet, le Delta de l’Ebre n’aura plus aucun secret pour vous. Guide spécialiste de l’éco-safari, ce petit barbu du cru se bat pour que ses terres deviennent celles d’un tourisme responsable et durable. Polet entretient non seulement les traditions de cette vaste presqu’île, mais parfois même il les invente …
Josep Bertomeu alias Polet fait figure de « fils du Delta». Petit hommes sec à la barbe blanche, il se dit descendant de pirates. Il est en tous cas un de ces personnages emblématiques du lieu, et exerce aujourd’hui en tant que guide. Un homme-phare pas comme les autres, ardent défenseur du safari éco-culturel, passionné et passionnant. Avec charisme et humour, il s’évertue à protéger «son» Delta. Contre toutes les agressions liées à la mécanisation et pour un tourisme responsable et durable. Rencontre avec une «espèce rare à protéger» ! Incollable sur le riz !

Polet3CC : Polet, c’est à croire qu’il n’ y a pas plus enraciné que vous dans le Delta …On dira même que vous semblez être définitivement «en-riz-ciné»!

Ce n’est pas faux ! (Rires) Si vous demandez Polet à Tortosa par exemple, on vous enverra directement à moi ! Je suis né à la Cava en 1944, et j’ai passé toute mon enfance dans le Delta de l’Ebre, j’en connais tous les recoins. J’ai eu la plus belle enfance qui soit ici : le bonheur à l’état brut !  J’ai dû partir pour le service militaire puis pour le foot. Je n’étais pas trop mauvais, j’ai donc joué en 3e division à Reus. Mais en 1978  j’ai craqué, et je suis rentré à la maison ! En famille, on a d’abord eu une immense grange à lapins qui a ensuite, en 1995, été tranformée en ce qui est aujourd’hui devenu l’Hôtel Delta. Un lieu particulièrement apprécié par les clients pour son côté authentique et sa cuisine du terroir. Jamais je n’ai cessé de militer pour la sauvegarde du patrimoine local. J’ai été de toutes les manifestations et de toutes les protestations. J’ai également fait partie de ceux qui ont œuvré pour que le Delta soit classé Parc Naturel en 1983. Je suis aussi à l’origine de la construction de l’éco-musée de Deltebre. Sur la culture du riz, je peux dire que je suis incollable ! J’en connais tout le processus de production et je me bats pour que le riz du Delta soit reconnu à sa juste valeur !

CC : Parce que le riz, c’est un peu votre bâton de maréchal, la base de tout développement touristique …

J’ai grandi au milieu des rizières. Le riz a fait manger toute ma famille.

C’est notre trésor et notre avenir, à condition de mener une reflexion intelligente et durable. Il faut arriver à sortir de cette idée que le riz n’est là que pour être mangé ! Il cache une véritable culture et de multiples possibilités de développement. Récemment, nous avons reçu à Deltebre une délégation de Chinois. S’ils sont réputés pour être les maîtres du monde de la riziculture, ils ont toutefois été largement impressionnés par la mise en valeur que nous faisions du riz. Car pour les Chinois, on mange le riz et c’est tout ! Ils ont été surpris que des gens viennent visiter les rizières, qu’ils apprennent le processus du riz. A travers la valorisation de cette culture naîtra le respect et ainsi nous améliorerons encore la qualité de nos différentes variétés de riz. Il faut redonner de la dignité au riz, le travailler à l’ancienne, le piler au «cadup» pour conserver toute sa richesse en fibres et en vitamines.

Polet2CC : Vous avez même été plus loin dans la valorisation du riz…C’est un culte que vous lui rendez finalement ?

Une passion en tout cas ! Je m’acharne à décortiquer tout ce qui entoure la culture du riz et à transmettre. Mon but n’est pas de faire vendre plus de riz, mais de lui rendre sa noblesse. Plus nous aurons de touristes qui comprendrons et respecterons, plus nous pourrons améliorer la qualité et à ce moment-là créer de nouveaux emplois. Je me rends compte que le riz a quelque chose de fascinant. Nous avons fait renaître les traditions du travail manuel des paysans. Pour transmettre ce savoir- faire populaire des «arrossaires», nous avons en 2001, lancé les fêtes du riz. Ainsi en juin, nous célébrons la Festa de la plantada (la plantation) et en septembre celle de la Sega ( la moisson). Celle de la plantada plaît beaucoup car nous initions les curieux. Il faut les voir patauger dans la boue ! Nous faisons ensuite en sorte de sensibiliser les gens à tout le folklore du Delta. Le but étant léveil manuel et culturel. En rappelant, comment c’était avant la mécanisation …

CC : Polet, vous semblez être totalement frustré par la mécanisation …

La mécanisation m’agace, oui…Toute cette technologie, les pesticides, les herbicides, les insecticides. On est passé du labour avec des bêtes aux hélicoptères agricoles. Avant, on réparait les pannes sur place. On faisait appel aux menuisiers, aux ferronniers, c’était du 100% local. Il y avait du travail pour tous, on ne connaissait pas le mot chômage. Aujourd’hui, c’est un véritable drame …Alors oui, j’éprouve une certaine forme de nostalgie et je revendique une certaine manière de vivre traditionnelle, un retour aux fondamentaux. D’autant que tout cela crée un gouffre intergénérationnel qui me désespère. Les jeunes ne connaissent pas leur terre. Aujourd’hui, nous avons des techniciens du digital et très peu de techniciens du végétal. Les vieux travaillaient au champ, ils savaient. Leurs enfants ne savent plus rien. Les jeunes d’aujourd’hui se réapproprient quant à eux peu à peu ce savoir de leurs ancêtres par l‘école et les différents lieux de transmission pédagogique. En clair, il y a une génération entre les deux qui s’est perdue. J’essaie modestement de rattraper ce vide… Il doit y avoir de ça ! (Rires) Je suis né à la Cava, un des deux lieux-dits de la ville de Deltebre. Et les Caveros, comme on nous appelle, ont la réputation d’être des gens un peu spéciaux…Ils sont particulièrement expressifs et directs, ils disent toujours ce qu’ils pensent ! J’aurais en effet tendance à me reconnaître dans ces traits-là ! Le Cavero est solidaire et intimement lié à l’histoire de son territoire. D’ailleurs, si on regarde bien, aucun d’entre nous ne s’est exilé pour faire carrière ailleurs. On naît ici et on reste ici jusqu’à la mort, on ne se complique pas la vie. Ce qui ne signifie pas que les gens d’ici ne sont pas intelligents ! Mais ils préfèrent servir et défendre leurs terres !

Polet4CC : Ces terres que vous avez d’ailleurs vous-même ardemment défendues contre le «transvasament», n’est-ce pas ?

La guerre de l’eau a été déclarée ! C’est un véritable combat pour moi comme pour tous les habitants du Delta. Il existe en effet un gigantesque plan hydrologique qui prévoit de détourner les eaux des régions les plus arrosées d’Espagne vers celles du bassin méditerranéen. Et, évidemment, les dissensions les plus violentes concernent le transvasement prévu de 1.050 hectomètres cubes par an des eaux de l’Ebre. Ce projet fait bouillir les Catalans. Près de 300.000 personnes ont défilé à Barcelone contre le projet de transvasement d’une partie du flux de l’Ebre vers les terres du Sud. C’est une menace pour notre Delta ! D’autant plus que ce plan ne suffira pas aux besoins de l’Espagne. Les 1.050 hectomètres déplacés représenteront seulement le tiers de l’eau nécessaire au pays.  Les 9 000 familles qui cultivent sur le Delta de l’Ebre les 25.000 hectares de rizières sont les principaux opposants au projet du gouvernement. Elles veulent faire pression pour obtenir le financement d’infrastructures d’arrosage et des aides pour freiner l’intrusion saline sur le Delta. L’eau salée est, bien évidemment, le pire ennemi des cultures du riz – un phénomène que le transvasement des eaux du fleuve va accentuer, provoquant la salinisation des terres.

CC : Le Delta de l’Ebre a finalement beaucoup de points communs avec la Camargue, non ?

En effet. Entre les salins et le riz, il y a des similitudes mais la Camargue est beaucoup plus grande ! J’y suis allé une fois, je m’y suis perdu ! Dans le Delta, c’est un véritable concentré. Tout est à proximité dans un périmètre réduit. On passe de l’eau douce à l’eau salée en quelques pas. D’un milieu à l’autre en un clin d’œil. En Camargue, c’est plus dilué on dira. Dans le Delta tout est là: le fleuve, le ciel, la mer, la nature, les oiseaux…Je ne connais sincèrement pas plus bel endroit sur terre !

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