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Les derniers jours de Serrallonga

01 Mar Les derniers jours de Serrallonga

La Selva qui lui a servi de refuge, de repaire, fut le théâtre de ses méfaits puis de son arrestation, elle représente au-delà du décor de la fin d’’une folle cavale, le cadre de la légende de Joan de Serrallonga et de Joana Massissa, les Bonnie and Clyde de la Catalogne.
serralonga2Une terre de brigands

A la manière de la forêt de Sherwood pour Robin des bois, La Selva a représenté un repaire pour les bandits et les parias de la société. La misère engendrée par les guerres entre Français et Espagnols ou les vendettas entre familles de Nyerros et Cadells, aux XVIe et XVIIe siècles (voir encadré), entraînent toutes sortes de gens à vivre de rapines et à se vendre comme mercenaires aux plus offrants. Le « Bandolerisme » ensanglante les grands chemins de communication et terrorise les fermiers vivant dans des mas isolés. Le plus emblématique de tous ces brigands est sans aucun doute Joan de Serrallonga (1594-1634).

Bandit ou héros

Comme Robin des bois, Cartouche, Mandrin et jusque dans une certaine mesure Butch Cassidy, ces princes des voleurs suscitent admiration et respect. On les dit généreux avec les pauvres et on les affuble de bien des vertus, très souvent imaginaires, en tout cas fort discrètes au moment des faits. Le plus célèbre bandit de grand chemin de Catalogne ne semble pas échapper à cette règle. Accompagné de ses complices dont quelques noms résonnent encore, Toca-son, El Fadri de Sau, Tallaferro, il commet de petits larcins, jusqu’au moment où il assassine un de ses délateurs. Il semble qu’à partir de ce moment, il soit poursuivi par le pouvoir central qui déploie de grands moyens et obtient de bons résultats dans son projet de mettre un terme au « Bandolerisme ». A la manière d’un Zorro avant l’heure, le fouet de Serrallonga claque aux oreilles des puissants et le trabuc se fait menaçant. La légende se forge, l’autorité royale est bafouée,la population se prend de compassion et projette sur Serrallonga tous ses désirs de justice et de liberté.

Une histoire d’amour romantique

De puissantes troupes à ses trousses, il est contraint de trouver refuge dans le Conflent, au sein de la bande des Nyerros dont sa famille est issue. En 1632, la tempête calmée pour un temps, il décide de retourner dans la Selva, son territoire de prédilection pour y perpétrer, à nouveau, ses méfaits. Lors d’une de ses attaques, il enlève Joana Massissa, fille d’un meunier, profession fort lucrative et particulièrement impopulaire auprès des paysans. Il n’y aura pas de demande de rançon. Entre le brigand et la belle captive commence une histoire d’amour qui va durer plus d’un an. Le mythe ne s’en trouve que renforcé. Accompagnée de sa belle et volontaire captive, devenue complice, Joan de Serrallonga va enchaîner durant une année, razzias et rapines en tous genres, déclenchant à nouveau l’ire du pouvoir central.

serralonga1Naissance d’un mythe

En 1633, sans doute trahi par quelques compagnons d’armes, le couple est arrêté dans un mas des environs de Santa Coloma de Farners. A Barcelona, Joan de Serrallonga est longuement torturé pour qu’il avoue le nom de ses complices, avant d’être condamné à mort. Son corps supplicié sera promené dans toute la ville où il finira écartelé, puis étranglé en place publique. Joana plus chanceuse aura la vie sauve. Enceinte, sa situation attendrira les juges, elle porte l’enfant de Joan. Dans la Selva, la répression est terrible et les maisons de ceux qui avaient caché Serrallonga sont brûlées. Sept ans après sa mort, la France et l’Espagne entrent en guerre. Les paysans sont contraints d’héberger la soldatesque espagnole, ce qui suscitera l’exaspération de ce monde rural, auquel rien n’est épargné. A Santa Coloma, les paysans n’y tenant plus se soulèvent et assassinent Joan de Monrodon, l’un des bourreaux de Serrallonga. La révolte des Guilleries qui s’en suit sera très durement réprimée mais déjà on sent poindre les prémisses de la grande révolte des Catalans : « La Guerre des Segadors ».

serralonga3Un héros de légende

Si Joan de Serrallonga ne devient un héros de légende que longtemps après sa mort,c’est qu’il faut sans doute chercher les raisons de ce culte populaire dans son opposition à un pouvoir central toujours haï dans l’arrière-pays catalan. La générosité chez Serrallonga ou le partage des biens pris aux riches sont sans doute pur fantasme, mais ce qui est vrai, c’est que le pouvoir central n’a eu de cesse de s’acharner contre lui, employant des moyens colossaux, suscitant ainsi le ressentiment de la population. A ce jour, aucun bandit catalan n’a jamais généré autant de chansons, de livres, de films ou encore de légendes… Il existe même un chemin de grande randonnée (GR 178) bien balisé, qui porte son nom. Une promenade guidée invite les marcheurs à mettre leurs pas dans ceux du bandit de grand chemin à travers Les Guilleries et la Selva. Si, lorsqu’ils se sentent en danger, les Catalans chantent : « Torna, torna, Serrallonga que l’alzina ens cremaran, que la terra ens robaran… » (reviens, reviens Serrallonga car les chênes verts ils veulent nous brûler, la terre nous voler…) c’est que les temps sont difficiles. Depuis le début de la crise, on entend de plus en plus fredonner ce petit air entraînant demandant le retour de celui qui lutte contre les puissants, une élite autoproclamée incapable de créer autre chose que misère et injustice. Dans la Selva et bien au-delà, on n’a pas fini de chanter.

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