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Nandu Jubany, l’étoile montante

01 Oct Nandu Jubany, l’étoile montante

Nandu Jubany est l’un des chefs catalan étoilés. Entretien avec un homme pressé qui a fait de son restaurant un espace suspendu, exquis et contemplatif. Un espace où il fait bon s’attarder, placé sous le signe de la tradition et ouvert aux vents de la modernité.
C’est à côté de Vic, tout près de Folgueroles, la patrie de Jacint Verdaguer, que s’élève la belle bâtisse de Can Jubany, un mas magnifique enrichi d’une sorte de cube noir de métal et de verre qui abrite la cuisine. Des poutres nichées dans la pelouse font office de balisage jusqu’à la belle porte de fer forgé. Le décor est déjà une alliance réussie d’extrême modernité et d’enracinement paysan. Il se dégage de l’ensemble une harmonie indéfinissable.

Après quelques minutes d’attente dans le salon de l’entrée (belle cheminée en korten, escalier de verre, de métal  et de bois), le chef arrive, souriant, un rien stressé et ferme son portable pour nous signifier le début de l’entretien. Il le pose sur la table, laissant apparaître une coque représentant la Senyera. Le décor est planté.

Nandu4Cap Catalogne : Bonjour, vous êtes l’un de nos chefs étoilés, alors je vais vous poser la même question qu’à vos confrères. Quel est le secret de cet engouement pour la cuisine catalane, qu’est-ce qui fait que nous soyons proportionnellement le pays le plus étoilé du monde ?

Je suis heureux que vous employiez ce possessif « notre pays ». Je crois tout simplement que nous avons des racines. Dans notre culture, tout se finit toujours autour d’une table, on y travaille, on y chante, on y négocie. La cuisine est la pièce la plus importante de la maison, celle où tout se transmet d’une génération à l’autre. Mais nous n’avions pas conscience de la richesse de notre patrimoine, contrairement aux Français, pour qui la gastronomie est clairement un art. On faisait de la cuisine qu’on pensait paysanne, peu raffinée. On ne se rendait pas compte qu’elle était un condensé de Méditerranée, qu’elle osait depuis des siècles l’aigre-doux, le salé-sucré. Et puis, on était complexé vis-à-vis des Français, ils étaient tellement sophistiqués et sûrs d‘eux.

Cap Catalogne : Le déclic, alors, comment s’est-il produit ?

Le déclic, c’est Ferran Adrià. C’est lui qui nous a libéré. Nous avons commencé à revisiter la tradition, à reprendre les plats de nos grands-parents en les allégeant, en jouant aussi sur les saveurs et les textures. Parce qu’il était sacré plus grand chef du monde, il rendait nos ambitions légitimes. On avait l’impression qu’on pouvait faire partie du peloton de tête. On a évolué avec lui. Aujourd’hui, on vient dans un restaurant gastronomique pour vivre une expérience globale. Il faut un décor, un accueil personnalisé, un peu d’aventure. C’est tout ça qu’on essaie de donner à nos clients. Et c’est ce qu’ils recherchent : un mélange de rêve et d’authenticité.

Cap Catalogne : Quel type de clientèle avez-vous ?

Il faut savoir qu’ici, avec 70 euros, vous faites un repas complet vins, apéritif et café compris, c‘est presque la moitié de ce qu‘il faut débourser en France, par exemple. On a de plus en plus d’événements de type baptêmes ou mariages. Les gens veulent que ces moments-là soient inoubliables. Ils veulent faire honneur à leurs invités. Mais ma grande satisfaction, c’est de servir des jeunes. Quand je vois arriver un jeune couple, je me dis qu’ils sont la clientèle de demain et celle d’après-demain. Je sais que quelque chose a changé dans les habitudes et les mentalités, que la cuisine a une autre place qu’il y a vingt ans. Les enfants qui ont mangé chez moi ou chez mes confrères, auront toute leur vie un rapport qualitatif aux produits et à la cuisine.

Cap Catalogne : Vos enfants veulent reprendre le flambeau ?

Mon plus jeune fils s’intéresse beaucoup, déjà, il aide un peu en cuisine, mais enfin, on verra, ce sera son libre arbitre.

 Nous, on a vu ce qu’est une entreprise catalane. Quand nous sommes arrivés la fille du chef balayait. Une demi-heure plus tard, changée et impeccable, la voilà à l’accueil, souriante et affairée. Le travail, toujours, la vraie valeur catalane.

Nandu3Cap Catalogne : Je suppose que vous travaillez avec les produits du pays ?

Rires… En fait d’abord avec mes produits à moi, j’ai un potager où je produis tous mes légumes et notamment diverses sortes de tomates, des herbes, des poireaux, des oignons, de courgettes… J’ai aussi des poules. C’est important ce lien avec la terre. Sinon, bien sûr, ici nous avons de la très bonne viande, de l’excellente charcuterie et la mer n’est pas loin. C’est une des grandes forces de la cuisine catalane : un petit pays où il y a tout, en toutes saisons.

Cap Catalogne : Justement, donnez-nous une idée de votre carte idéale pour octobre…

D’abord, je travaille toujours avec des produits de saison, c‘est la base même de toute cuisine digne de ce nom. Alors je pense que le produit-phare du début de l’automne c’est le champignon. Un menu idéal ? Peut-être une fausse figue de foie gras, des cannellonis aux rovellons (lactaires), du poisson de roche rôti aux girolles, de l’agneau de lait… Des plats réconfortants mais légers, on est loin du temps où il fallait faire la sieste pour se remettre d‘un bon repas.

Cap Catalogne : Et les desserts ? Il m’a semblé entrevoir des merveilles sur la carte

Je dirais la pêche de vigne reconstituée avec un noyau de chocolat et d’amande servie avec de la verveine et du lait de brebis, c’est un de nos must. Ou encore nos beignets remplis de crème catalane.  Oui, là vous avez un menu idéal pour l’automne…

Cap Catalogne : Il vous arrive de rencontrer d’autres chefs, d’échanger avec eux ?

Oui, bien sûr, nous faisons des repas, nous parlons. J’ai participé à un collectif qui s’appelle « Osona Cuina ». C’est important d’échanger. Je suis moi-même fils et petit-fils de restaurateur. Mes parents avaient une auberge, une « fonda » à 35 km d’ici, à Monistrol de Calders , dans le Bagès. Vous voyez, je suis tombé dedans quand j’étais tout petit !

Nandu2Cap Catalogne : Votre cave à vins est très catalane ?

Oui et non, nous avons de très bons vins, bien sûr, mais je me dois de proposer une offre aussi large que possible, alors j’ai un peu de tout, parce que mes clients ont le droit de tout goûter. C’est important. Nous avons pour chaque menu une proposition de dégustation de vins. Si les gens le désirent ils ont ainsi exactement la saveur qui correspond au plat qu’ils mangent. Ça marche très bien. Mais sur 8 vins proposés avec les desserts, j’en ai quand même trois qui sont Catalans…

 A cet instant Nandu Jubany est appelé en cuisine et nous en profitons pour le suivre. Le cube de métal tient toutes ses promesses. L’équipe s’affaire, tandis que le maître nous montre ses propres « fuets » en train de sécher tranquillement et que le pâtissier crée pour nous, une de ces fameuses pêches de vigne reconstituées. Le jeune fils du chef prépare les entrées, concentré et minutieux. Nous suivons ensuite Nandu Jubany dans son potager : 300 m2, un puits de forage et des légumes à foison : des tomates aux formes diverses, d‘énormes courgettes. Derrière nous, un immense framboisier se penche sur un mûrier respectable. Visiblement, les fruits rouges sont maison aussi.

 Cap Catalogne. C’est impressionnant. En France vous auriez le label de ferme auberge.

Ma clientèle ne s’y trompe pas, vous savez. J’ai 85% de clientèle catalane. Comme nous sommes à peu près au centre du pays, elle vient de partout. Je suis très heureux que les Catalans commencent à apprécier la cuisine pour ce qu’elle est : un art de vivre.

 Cap Catalogne : Il y a quelques Catalans du nord aussi ?

Non, très peu. Vous savez, nous ne sommes pas sur une route de passage. Il faut venir à Vic exprès, passer par la Garrotxa, ce n’est pas très direct. Mais peut-être votre article va-t-il aider à nous faire connaître? Je sais qu’en Catalogne du nord, on est prêt à faire de la route pour bien manger.  (Rires)

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