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Rencontre avec Camille Otero

02 Déc Rencontre avec Camille Otero

Camille Otero est le sémillant patron du restaurant Le Vienne, LA brasserie du centre-ville aux deux terrasses, ouverte de midi à minuit. Il prend mieux que personne le pouls de Perpignan, sa ville bien-aimée. Rencontre avec un battant.

Cap Catalogne : Bonjour, vous êtes une véritable institution à Perpignan…

CO : Voilà 46 ans que je suis installé sur la place, au sens premier du terme, sur cette place. C’est un bail ! à force on noue un contrat de confiance avec les clients et on devient un élément incontournable du paysage. 

CC : Vous êtes bien placé pour voir comment Perpignan évolue. Comment voyez-vous la dynamique de la ville ?

CO : Je suis d’un naturel plutôt optimiste. Alors bien sûr, on a multiplié les difficultés avec les gilets jaunes, les grèves SNCF et la pandémie de covid. J’ai même dû fermer mon établissement pour la première fois de ma vie, un déchirement. On est en convalescence, encore, même si les choses évoluent plutôt bien. On constate aussi des phénomènes nouveaux comme par exemple le manque de personnel ou les changements de comportement des clients. De toute façon le maître-mot est toujours le même : il faut savoir s’adapter, se remettre en question et surtout, retrousser ses manches ! 

CC : à quoi attribuez-vous ce manque de personnel ?

CO : à la nature humaine (Rires). Dans la restauration on travaille beaucoup, on des horaires décalés, bref on ne peut pas se consacrer pleinement à la vie de famille. Je pense que la fermeture forcée de nos établissements a permis à beaucoup de reprendre goût aux joies simples d’un emploi du temps moins serré. Quand je reçois des postulants ils me parlent de leurs week-ends ou bien souhaitent ne travailler au service que le midi. C’est totalement inédit. Il y a nettement un avant et un après Covid.

CC : La ville est animée toute l’année…

CO : Je déplore la suppression des Jeudis de Perpignan qui embrasaient les rues, mais je suis très heureux de l’extension du centre-ville en été avec des opérations comme les animations du quai Torcatis : le public jeune qui s’y rend n’affecte pas mon établissement tout en créant une réelle effervescence. Cela contribue à fidéliser en ville toute une population qui optait auparavant pour des escapades sur la côte. Par exemple, je salue aussi le retour en ville des camelots, c’est une très bonne idée qui renoue avec le concept de foire d’automne, populaire et festive. Vous voyez, on a des raisons de se réjouir et d’envisager l’avenir avec sérénité…

CC : Vous avez échappé au déplacement du Tribunal…

CO : Je n’ai cessé d’exprimer aux maires successifs ma conviction que la justice se rend au plus près du peuple, si j’ose dire, sur la place publique. Excentrer un tribunal, c’est déroger à cette logique toute simple. J’aime beaucoup voir les avocats passionnés déjeuner chez moi, faire de mon restaurant un vrai forum dans la grande tradition latine. Je crois au centre-ville, c’est tout un mode de vie.

CC : Vous avez une clientèle de Perpignanais fidèle et variée. L’ambition des maires successifs a toujours été de faire de la ville une destination touristique. Selon vous on en prend le chemin ?

C.O : Sans hésiter, oui. Notre territoire a des atouts incroyables. Plusieurs fois par jour, lors des bulletins météo de toutes les chaînes, nous bénéficions d’une publicité gratuite et nationale. Perpignan est pratiquement toujours nommément cité pour la douceur de son climat et son ensoleillement. Notre patrimoine unique mériterait davantage de communication et surtout en direction de notre zone d’expansion immédiate c’est-à-dire la Catalogne-sud et l’Espagne, mais il y a des progrès indéniables. De notre côté, nous avons une carte en catalan et espagnol depuis des décennies et la plupart de nos serveurs sont capables de répondre en plusieurs langues. 

CC : Les fêtes de la Puríssima approchent. Selon vous ce sera un bon test ?

CO : D’une certaine façon, ce sera plutôt une confirmation. Les Catalans sont de retour dans la ville, notamment le week-end, on les voit, on les entend et ils achètent beaucoup.

CC : C’est une clientèle que vous avez captée depuis longtemps…

CO : Oui, ils se donnent le mot : « je connais un restaurant dont le patron est galicien et parle le catalan ». « Aquí hi ha un gallec que parla català ». C’est ma marque de fabrique. Et aussi, il faut le dire, mon identité familiale.

CC : Vous n’êtes donc pas inquiet pour l’avenir de Perpignan malgré le contexte international difficile ?

CO : Non, pas du tout. Au contraire, je pense que nous sommes dans une excellente dynamique. Nous avons simplement traversé des impondérables, une série de crises imprévisibles. Je crois que cela va nous permettre de changer nos stratégies dans le sens d’une valorisation du qualitatif. Je travaille avec des petits producteurs locaux en kilomètre zéro. Non seulement cela me permet de doper l’économie circulaire, mais cela donne à nos plats une belle saisonnalité. Le Vienne sert de la cuisine locale, méditerranéenne et classique qui respecte le produit. Je crois que cette authenticité est incontournable. Les gens attendent la qualité et deviennent intransigeants. C’est une attitude positive parce qu’elle pousse à l’excellence.

CC : Vous servez toujours votre vin du mois ?

CO : Nous avons une très belle carte de vins locaux. Ils sont excellents et nous nous sommes donné pour mission de le faire savoir. Le fait de travailler chaque mois avec un viticulteur particulier induit une sorte de complicité. Un peu comme si je disais au client « j’ai un coup de cœur à partager avec vous ». Et ça marche !  Beaucoup de nos clients prennent le vin du mois par réflexe, ils ont tout simplement confiance ! Et pas seulement en nous. Ils croient au territoire.

CC : Territoire dont Perpignan est la capitale…

CO : Perpignan est excellement placée parce qu’elle permet la rencontre de deux cultures. Les Catalans et Espagnols qui viennent nous voir ne viennent pas manger des choses qu’ils ont chez eux. Bien sûr je sers aux autochtones et aux touristes français suquets et calamars à la plancha, mais eux viennent pour trouver une certaine touche française. Perpignan est à la fois exotique et familière pour eux. C’est encore la Catalogne, mais c’est déjà la France. C’est dans cette brèche que Perpignan est unique. Elle doit préserver un mode de vie méditerranéen, une identité ibérique, mais elle reste une ouverture sur un autre monde, plus au nord. C’est sur cette identité complexe qu’il faut communiquer, parce que tout simplement c’est la nôtre.

CC : Vous auriez certaines suggestions à faire à nos édiles ?

CO : Oui. Le quai Vauban avec son ponton en encorbellement au bastingage vitré est une réussite. Pourquoi ne pas la répliquer sur le quai Sadi Carnot ? On complèterait ce concept de ramblas sur la Basse, avec une nouvelle zone de promenade dans la ville.

CC : Encore une idée très ibérique…

CO : Il ne faut pas tricher avec ce qu’on est. Moi, quand les gens du sud arrivent, j’ai toujours la même phrase « Benvinguts à Perpinyà, benvinguts a casa vostra » et ça marche très bien aussi pour les clients venus d’ailleurs. Une destination touristique, pour moi, c’est quand on a conscience d’être parti mais qu’on se sent chez soi.

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