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RENCONTRE AVEC EUGENI COLL

01 Avr RENCONTRE AVEC EUGENI COLL

Cap Catalogne : Bonjour Eugeni. Parlez-nous un peu du monde paysan dans les montagnes de Prades : vous avez plusieurs produits classés en Indication géographique protégée : la pomme de terre, la pomme, la châtaigne, la noisette…

Eugeni Coll : Oui, le plus connu est la pomme de terre de montagne, la « Patata de Prades », mais la production a été divisée par douze en quelques années, notamment depuis la crise de 2007-2008. Vous allez m’énumérer tous nos produits-phare et je serai malheureusement contraint de vous répondre toujours la même chose : nous sommes concurrencés par des produits venus d’ailleurs, parfois de très loin, mais dont les coûts de production sont moindres, nous n’échappons pas aux logiques mondiales des marchés. Les grands acheteurs se sont déplacés, ils ont trouvé moins cher, surtout depuis la crise. C’est le cas pour notre excellente pomme de terre, le cas aussi pour nos pommes. Et pourtant, le goût concentré, le taux élevé en sucre, en font des produits gastronomiques bien supérieurs à leurs concurrents ! Et puis à Prades même, nous ne sommes plus que quinze paysans auxquels il faut ajouter quelques retraités encore actifs sur leurs terres…

CC : Il y a beaucoup de châtaigniers dans la montagne mais ils semblent un peu laissés à l’abandon…

EC : Il y avait des châtaigniers, c’était une des richesses du pays. Ils ont été victimes du chancre comme les châtaigniers de l’Ardèche. On a bien essayé d’en replanter, et même de vacciner les arbres, quoi que l’efficacité du vaccin ne soit pas garantie à long terme, mais rien n’y a fait. Nous les avons vus mourir sous nos yeux. Alors, évidemment, on a fini par laisser tomber, maintenant ce sont les touristes du week-end qui cueillent nos châtaignes. Quant à la noisette de Reus, pourtant prestigieuse, nous subissions de plein fouet la concurrence par exemple de la Turquie, alors même qu’on en utilise énormément chez nous en cuisine ou pour la fabrication des tourons ! Ce n’est pas simple.

CC : Et il y a l’espoir du houblon, depuis peu…

EC : Oui, il y a quelques années, le brasseur DAMM nous a demandé de planter du houblon pour faire sa bière méditerranéenne. D’ailleurs, la firme a sorti la bière « Complot » avec notre houblon. Nous avons le climat idéal pour ça, avec un taux d’humidité et une fraîcheur que la plante adore. Alors on a fait le pari d’y consacrer en partie les équipements de la coopérative, car c’est un produit fragile. Il faut le cueillir et le traiter très vite si l’on veut éviter qu’il ne s’oxyde. Cela a motivé quelques jeunes et commence à générer du travail de saisonnier, mais bon, pour l’instant on reste dans une phase probatoire, même si c’est une diversification vraiment bienvenue.

CC : Et l’élevage ?

EC : Du côté de Capafonts il y a des brebis et des chèvres, et même de la fabrication de fromage, mais la production est trop réduite pour permettre réellement un circuit commercial. Nous avons aussi quatre apiculteurs dont deux en réalité sont retraités et poursuivent leur activité. Toujours le même problème : excellence des produits, débouchés réduits, donc secteur en rétraction.

CC : Et tous ces produits vraiment locaux trouvent ici acheteur auprès des restaurants ou des épiceries, l’ultra-local trouve preneur ?

EC : Oui, tout le monde joue le jeu du circuit court. Le kilomètre zéro est entré dans les mœurs. L’agro-boutique fonctionne très bien aussi, c’est un des poumons du village et nous y faisons des échanges avec d’autres coopératives par exemple de vin et d’huile d’olive, notamment du Montsant. C’est important car c’est une vraie économie rurale qui se structure en dehors de toute intervention publique. Il est certain que le tourisme est pour beaucoup dans le maintien de nos activités. Ici, l’hiver est long mais dès le printemps, le tourisme de proximité reprend le week-end. Les gens viennent de Lleida, de Tarragona, de Barcelone, beaucoup possèdent des résidences secondaires. Imaginez que l’été nous passons de 500 à 6 000 habitants. Donc, les gens se sont adaptés à cette vie très scandée par les saisons. L’hiver, on s’occupe par exemple de la mémoire du village avec des ateliers photo, des réunions. Vous avez dû voir sur les murs ces grands clichés agrandis de gens qui ont vécu ici. C’est une façon de ne pas perdre nos racines. En hiver et en automne, on accueille les gens qui viennent voir la neige, ou bien cueillir des champignons ou des châtaignes, mais on vit un peu au ralenti, on suit le cycle des arbres et des plantes. On vit au rythme de la nature. Moi, au départ, je suis ingénieur, j’ai travaillé dans de grandes sociétés internationales, et c’est ma femme qui est d’ici. J’ai choisi de tout lâcher pour la qualité de vie. C’était vraiment un pari. Mon seul atout, c’est qu’à l’origine, je venais d’un milieu rural. Aujourd’hui je ne regrette rien.

CC : Vous diriez que Prades est isolée au milieu de ses montagnes ?

EC : Non, justement ! Quand je discute avec mon beau-père je me rends compte que Prades a toujours été un centre de marchés, de pèlerinages, il y a toujours eu des gens venus d’ailleurs. C’est un paradoxe mais c’est un lieu de passage et une vraie petite capitale ! Évidemment on a vu des services publics reculer comme partout en Catalogne. Nous avons eu jusqu’à trois banques, il en reste une seule avec un seul distributeur de billets. Nos enfants ne peuvent aller à l’école que jusqu’à 12 ans, ensuite le collège est à Cornudella. Mais il y a tellement de compensations. Songez que nous avons même un hélicoptère de secours en cas d’accident ou d’urgence médicale… Bien sûr ça ne remplace pas un centre de soins, mais ça rassure. Et puis, rien ne peut remplacer la qualité de l’air, le climat, la beauté des paysages. Ça compte. Le seul bémol, comme partout en milieu rural, c’est la culture.

CC : Le tourisme a changé en quelques années ?

EC : Oui, beaucoup. On avait beaucoup de citadins qui venaient en famille respirer le bon air, ou bien passer l’été au frais, loin des canicules des plaines et quelques randonneurs. Maintenant on a peut-être un versant plus sportif, avec l’escalade, le rafting, des randonneurs plus aguerris aux demandes différentes… et toujours beaucoup de cyclistes ! À chaque fois ce sont des gens qui goûtent nos produits, et qui peut-être en parleront une fois partis. Notre Office du tourisme est très actif et tire bien son épingle du jeu. Et puis tous les gens qui possèdent ici des résidences secondaires sont très attachés à Prades et à son territoire. Ils sont d’excellents ambassadeurs.

CC : Eugeni, comment voyez-vous l’avenir ?

EC : Je vais vous surprendre mais je suis plutôt optimiste. Les gens ont besoin d’authenticité, de nature, de vérité. Et sur ce terrain-là, nous sommes très bien placés avec notre mode de vie simple, notre cadre naturel magnifique et notre économie locale modeste et relativement autarcique. Notre qualité de vie. Qualité environnementale, qualité de l’alimentation, qualité des rapports humains. Je suis optimiste parce que dans notre lenteur paysanne, dans notre respect des cycles et de la nature, au fond, nous sommes en avance.

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