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Sant Joan de les Abadesses, L’esprit des Abbesses

03 Fév Sant Joan de les Abadesses, L’esprit des Abbesses

Ce monastère s’inscrit dans le chapelet des grands temples romans pyrénéens tels que Sant Miquel de Cuixà, Sant Martí del Canigó, Santa Maria de Ripoll. Sa visite est incontournable !

Bien que malmené par le tremblement de terre de 1428, le monastère de Sant Joan de les Abadesses sait nous transmettre toute la soif d’élévation et de beauté qui a présidé à son édification. Il a été fondé en 887 par le comte Guifred le Velu, pour doter l’église Santa Maria de Ripoll d’un couvent de bénédictines assez proche. Il est resté jusqu’en 945 la seule abbaye féminine catalane, placée sous l’autorité de sa fille Emma qu’il dota de terres et châteaux. Cette dernière protégeait plusieurs centaines de paysans moyennant le paiement d’un impôt en nature. 

Un peu d’histoire…

Elle le fit avec un tel succès que son cousin, Bernard Taillefer, jaloux de son pouvoir et de son influence, obtint une bulle papale qui lui permit, sur la base de fausses accusations, de faire dissoudre la communauté. Le monastère accueillit aussitôt des moines venus d’Aix-la-Chapelle avant d’être attaqué par l’abbaye bénédictine de Saint Victor de Marseille qui y réinstalla une communauté de moniales (1098) d’où son nom de Sant Joan de les Abadesses (des abbesses). Finalement les Augustins y élirent domicile de 1114 à 1484 avant d’en être chassés. Elle devint alors une collégiale. Cette situation se poursuit jusqu’au concordat de 1856 qui ordonne la confiscation des biens ecclésiastiques. Après une longue période de déclin et les affres de la guerre d’Espagne, Sant Joan de les Abadesses a été l’objet d’une série de restaurations qui ont offert à la Catalogne un de ses plus précieux joyaux, hérités du temps de la naissance de la nation catalane.

Une église, un cloître une chapelle

Le monastère se situe en pleine ville et offre aux regards la splendeur de son chevet, magnifique proue inverse dans la mer des maisons. L’église romane a été consacrée en 1150. Elle répond à une architecture très fréquente, au Moyen-âge en Occitanie, pour les églises de pèlerinage. Avec trois nefs, un transept, un déambulatoire et des chapelles latérales, l’ouvrage ne fut pas achevé, si bien qu’il dessine en réalité une croix grecque avec une nef beaucoup plus courte. Les absides sont ornées à l’intérieur comme à l’extérieur de colonnades et d’arcs qui s’installent sur deux niveaux. Le chevet, détruit par le tremblement de terre de 1428, ne fut pas reconstruit à l’identique, si bien que nous ne connaissons pas sa physionomie exacte d’origine. Il n’en reste pas moins qu’il annonce de toutes ses courbes la beauté de l’édifice. Le sobre cloitre gothique, joliment ouvragé, ordonnancé autour d’une pelouse dont le centre est orné d’une belle cuve de pierre, comprend quelques voûtes romanes dont le séisme n’a pas eu raison. Sa beauté hiératique qui exhale la sérénité complète l’ensemble. Entre l’église et le cloître se trouve la chapelle des douleurs, de pur style baroque, surmontée d’une coupole et d’éléments de décoration dus au sculpteur Josep Moretó. Comme toujours, dans cet espace du nord de la Catalogne qui englobe les comarques qui longent les Pyrénées, le baroque trouve place pour son exubérance dorée au cœur même de l’épure de la pierre. Vous noterez la remarquable statue de Pietà due, beaucoup plus récemment, au ciseau de Josep Viladomat qui illustre le nom de la chapelle. La façade de la Chapelle des douleurs qui donne sur la promenade du Comte Guifred est gravée de sgraffites aux motifs floraux qui encadrent notamment les ouvertures.

Miracle statuaire

Le chef d’œuvre absolu des lieux, c’est l’ensemble sculptural qui préside l’abside principale, baptisé descente de Croix ou Mystère Très Saint, daté de 1250 et considéré comme une œuvre maîtresse du style roman catalan, de surcroit une des seules à être restée in situ quand tant d’autres sont exposées au Musée National d’Art de Catalogne et ont fait place à des copies. La seconde appellation de cette œuvre est due au fait qu’une hostie intacte a été découverte dans un reliquaire placé dans la tête du Christ. Devant nous, Jésus, encore en croix, est entouré de ses deux compagnons de supplice, crucifiés eux aussi. Autour de lui on remarque une figure féminine, probablement la Vierge et trois figures masculines. Le bois sombre souligne l’expression exténuée du Christ tandis que la structure graphique de la scène éveille la conscience aigüe du drame qui se joue. On reste sans voix devant l’expressivité silencieuse de cette scène. à noter aussi, la tombe gothique, toute d’albâtre finement travaillé de Miró de Tagamanent, vénéré comme Béat dans le monastère. On la doit à un atelier local particulièrement actif qui a largement fourni les retables des églises du Ripollès. Le grand historien et architecte Puig i Cadafalch, et par la suite, Duran i Reynals ont contribué, entre 1948 et 1963, à rendre au monastère sa splendeur d’avant 1428, guidés à la fois par un idéal esthétique médiéval et par la conscience d’un âge d’or catalan révolu. Le palais de l’abbé a pu être conservé et abrite le centre d’Interprétation de la Légende du Comte Arnau, la grande figure mythique locale, tandis que la collection du musée, installée dans l’ancien presbytère, se compose de sculptures, peintures, tissus et éléments d’orfèvrerie. Une œuvre de Tàpies, magnifique, frappe le visiteur par sa force d’évocation. L’horloge du monastère est remarquable. Elle date probablement de la fin du XVe siècle puisqu’une inscription nous indique que son commanditaire est Joan de Peralta, alors évêque de Vic. Elle est encore en fonction, et demeure d’une impressionnante exactitude malgré son mécanisme entièrement formé d’engrenages de fer. On la remonte chaque jour à partir d’un étrange pédalier. De son côté, le claquoir de bois regroupe neuf marteaux. Il s’agit aujourd’hui d’une copie réalisée après la Guerre d’Espagne. On ne l’utilise que le Vendredi et le Samedi Saint pour mimer l’appel des cloches, interdites tout comme l‘orgue par souci de pénitence et d’épure. La pierre tombale qui est intégrée au mur tout près du portail a été sculptée en 1137 à la mort de l’abbé Arnau. Elle le représente sur son lit de mort entouré de douze personnages qui pourraient être les douze apôtres, encore une petite merveille dans ce monastère qui en contient décidément beaucoup…

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