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Sant Sadurni d’Anoia, capitale du Cava

01 Sep Sant Sadurni d’Anoia, capitale du Cava

Située dans le Penedés, à l’ouest de Barcelone, la petite ville de Sant Sadurni d’Anoia compte 12 000 habitants… Et près de 40 celliers de Cava, ce vin effervescent catalan. Balade étonnante en terre de bulles.
cava3Miguel-Angel nous fait descendre dans les entrailles de la terre. L’escalier, creusé dans la roche, semble interminable. Vu du haut, il évoque ces bouches de métro parisiennes qui filent vers les tréfonds, sans s’embarrasser de pentes adoucies. Mais ici, point de faïences blanches ni de néons blafards. Les murs et le plafond voûté sont sombres, comme il se doit dans une cave recelant quelques trésors. Nous sommes chez Freixenet, le numéro Un mondial des vins produits à la méthode champenoise. Et la visite nous réserve son lot de surprises. Dans une salle, 1 500 fûts en bois sont entreposés. Ils recèlent une liqueur d’expédition, destinée à sucrer le cava. Dans une deuxième pièce, des fûts de 600 litres contiennent des vins vieillissant pendant vingt ans. L’escalier nous mène encore plus bas, à dix mètres sous terre. Nous voilà dans la cave Carma Ferrer. L’odeur de pourriture caractéristique des caves nous saisit. Encore plus bas, au niveau « -4 », à vingt mètres sous le plancher des vaches, nous nous trouvons dans une grotte excavée à la main, dans les années 1920. Les flaques d’eau, sur le sol, résultent des infiltrations du plafond. L’humidité permet aux moisissures de se développer, éliminant ainsi les toxines.

Des bouteilles de cimetière… Ou de paradis

« Ici, on garde les très vieilles bouteilles pour les étudier » explique Miguel-Angel. « Elles ne sont plus buvables, c’est du vinaigre. On les appelle des bouteilles de cimetière… Ou de paradis, car il peut arriver, exceptionnellement, qu’elles aient des propriétés extraordinaires ». Ici, Freixenet conserve également la Reserva Real (« réserve royale »), élaborée pour la famille royale. « Le couple royal est venu en 1987 pour la goûter. Il y a beaucoup d’histoire dans ce cava » assure Miguel-Angel. Un décor typique, de belles barriques, une poussière authentique sur de vieilles bouteilles…« Même si c’est plus cher à produire, la famille Ferrer, qui dirige Freixenet, refuse d’arrêter cette partie-là de la production », explique Miguel-Angel. Affaire de sentiments… De prestige et de communication auprès des touristes aussi. Mais ne vous y trompez pas !

cava2120 millions de bouteilles par an

C’est au fond d’un couloir étroit que se joue la réalité économique de Freixenet. Nous accédons alors à un tout autre monde. Un monde industriel impressionnant. « Ici, nous produisons 120 millions de bouteilles ! » confirme notre guide. A moins d’être des randonneurs dans l’âme, la suite de la visite ne se fera pas à pied… Miguel-Angel nous fait grimper dans un petit train. Aussi fou que cela puisse paraître, comme on visiterait Collioure et Argelès-plage, on visite donc Freixenet, en train… Plus qu’une usine, nous sommes dans un monde à part.

35 mètres sous terre et 20 kilomètres de couloirs

Un univers qui file toujours plus loin vers le centre de la terre… Jusqu’à -35 mètres, via 7 niveaux ! Ici, les robots produisent 10 000 bouteilles par heure. Dans ce monde de machines, les humains semblent rares. L’usine emploie pourtant 500 personnes sur ce site ! Mais les salariés semblent noyés dans un tel espace. Car l’usine Freixenet, c’est aussi 135 000m2 de superficie et 20 kilomètres de couloirs ! Partout, d’immenses files de machines reproduisent inlassablement les mêmes gestes, tel un balai futuriste esthétique et impressionnant, évoquant un remake des « Temps modernes » version XXIe siècle… De quoi titiller l’imagination débordante des amateurs de science-fiction. La deuxième fermentation, nécessaire à la création du cava, est presque entièrement mécanisée. Nous accédons maintenant à l’objet de fierté technologique de l’entreprise.« Nous l’appelons la ” linea nova “, une ligne de production de A à Z. C’est celle qui a le plus de technologie au monde. En dix minutes, la bouteille est prête ! » précise Miguel-Angel, couvrant tant bien que mal de sa voix le tintamarre des verres s’entrechoquant et le ronron des machines.

Robots et GPS

Cerise sur le gâteau, les palettes sont transportées vers le conditionnement final par des robots équipés de GPS. Nous remontons vers la surface de la terre et, étage après étage, la température se réchauffe. Retour au hall classieux et tamisé de Freixenet, dans lequel s’engouffre un bus de touristes. Ainsi va le numéro 1 mondial des vins produits à la méthode champenoise… Cultivant le goût du luxe, avec un volet de bouteilles haut de gamme et vendant en majorité des cuvées plus populaires. Étonnante entreprise qui produit 192 millions de bouteilles, dont 120 millions en vin effervescent, vend à 80% à l’export et, malgré cela, reste familiale. Qui refuse, aussi, d’entrer en bourse, alors qu’elle emploie, sur trois continents, « 1 892 personnes » précise Pedro Bonet Ferrer, le directeur de la communication et petit-fils du fondateur de Freixenet, avec ce souci du « salarié près » propre aux entreprises à l’ancienne. Nous quittons la grande bâtisse et son parvis occupé par les voitures de réclame qui ont fait connaître la marque au début du siècle dernier, et nous entrons dans la ville.

12 000 habitants… Et 39 caves

Très vite, on ne sait plus où donner de la tête. A chaque coin de rue, une cave semble vous tendre les bras. Sant-Sadurni vit « cava », jusque dans le moindre détail… Comme ces plots, le long des trottoirs, en forme de bouchons ! Dans chaque rue, se cachent des demeures d’exception, d’architecture moderniste. Certaines sont bien entretenues, d’autres ont subi les affres du temps. Les arbres immenses, plantés dans leurs cours, laissent imaginer le passé prospère de la ville. Nous entrons dans un hall sombre et épuré, au plafond voûté. Nous sommes chez Recaredo, dans un univers diamétralement opposé à celui de Freixenet. Cette petite entreprise familiale, fondée en 1924, emploie 25 personnes et ne produit que de la grande qualité. Son cava est issu de l’agriculture biologique et biodynamique, les vendanges sont totalement manuelles.

Le footballeur qui creusa sa cave à la main

Étonnante histoire que celle de la création de Recaredo par Josep Mata Capellades, le père de l’actuel dirigeant. Déjà jeune homme, il était attiré par l’univers du cava. « Très jeune, il a commencé à dégorger le cava » raconte Santiago, en charge de la communication chez Recaredo. « Mais il était joueur de football professionnel. Ses chefs lui ont dit : « choisis ! ». Alors il a continué à jouer au foot et est parti dans toute l’Espagne. Cela lui a permis de forger de bons contacts et par la suite, de monter son propre négoce de cava ». La génération suivante a développé l’entreprise. Recaredo exploite aujourd’hui une cinquantaine d’hectares de vignes près de Sant-Sadurni. A chaque vigne, est associée une cuvée. Santiago nous invite à descendre des escaliers. Et, une fois de plus, c’est un vaste monde souterrain qui s’ouvre à nous. Car, même ici, dans cette petite entreprise, les surfaces de caves sont impressionnantes.

Abri pendant la guerre

Elles le sont d’autant plus lorsqu’on imagine le grand-père Mata Capellades, creusant la roche à la force des bras et réalisant ce dédale qui servit par la suite d’abri à la population, pendant la guerre civile. Santiago nous guide dans ces couloirs sombres, au milieu des fûts et des bouteilles. Il raconte, avec passion, comment sont perpétués ici les gestes traditionnels, ces bouteilles que l’on tourne et incline un peu plus chaque jour, que l’on débouche et sent rapidement, que l’on entrepose.

Des infusions pour la vigne

Comment, aussi, en amont, on traite les vignes avec de l’infusion de camomille, fongicide naturel, ou de la valériane pour ses vertus cicatrisantes. Élevage minimum de trente mois dans des bouteilles avec bouchons en liège naturel, clarification manuelle sur pupitre, dégorgement à la main sans congélation… Santiago énumère avec passion tous ces gestes qui donnent du sens et « une philosophie » à ce cava. Après avoir arpenté plusieurs centaines de mètres dans ce labyrinthe souterrain, nous remontons à la surface et découvrons, stupéfaits, que nous nous trouvons maintenant dans un bâtiment situé de l’autre côté de la rue ! Nous avons totalement perdu le sens de l’orientation. Ainsi va Sant-Sadurni d’Anoia, ville-gruyère sous laquelle se tissent les immenses dédales de près de 40 caves, regorgeant de milliers et de milliers de bouteilles aux bulles pétillantes de vie.

 

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