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Tarragona : El Serrallo

02 Déc Tarragona : El Serrallo

Coup de théâtre à Tarragone ! Tarraco la Romaine revient à ses premières amours et succombe à l’effet-mer. Pour elle, le 5e port d’Espagne s’est refait une beauté. Entre barques, bateaux de pêche, yachts de luxe et porte-containers, le port affiche des arguments de taille et de poids. C’est sans compter sur le charme foudroyant du quartier de pêcheurs du Serrallo qui au-delà de ses atours pittoresques, affiche une irrésistible « rambla de culture ». Musée à fleur d’eau, balade le long des quais, flânerie de pont en pont. Embarquez pour une escale-phare en Catalogne.   

Attention bourrasque ! Un « temporal » comme on dit en catalan. D’abord une, deux, et trois portes qui claquent. Puis une fenêtre ouverte au vent. Vue port, puissance mer. C’est l’effet Serrallo. Un quartier de pêcheurs qui bouscule et prend aux tripes. Il y a là un brin de la Barceloneta ou peut-être un peu de la Pointe Courte sétoise. Plus qu’un « barri mariner », appellation récemment décrochée auprès de l’Agence Catalane du Tourisme, le Serrallo s’inscrit tout de bleu, de vie et de résistance. à la manière d’un village dans la ville, enclavé entre les quais du port et la voie de chemin de fer. « Quand tu passes sous l’un des deux ponts, tu rentres dans un autre monde ! Le Serrallo n’a rien à voir avec Tarragone ! » balance Joan, non sans fierté. Tarragone a son maire. Le Serrallo, lui, dépend de l’Autorité Portuaire, de la grande famille des gens de la mer. Contre vents et marées, ce quartier-là lutte pour préserver son identité.

Quartier à forte personnalité ajoutée 

à la terrasse du restaurant le « Xaloc », carrer de Gravina, un joyeux équipage de Serrallencs donne le ton : « Ici, vous êtes en République Indépendante du Serrallo ! ». Qu’on se le dise. Ils sont à peine 700 habitants dans ce quartier de Tarragone, quadrillé comme un dessin d’enfant perdu dans des géographies de traverse. Quatre ruelles parallèles à la mer : Trafalgar, Gravina, Sant Pere et Espinach. Trois perpendiculaires : Sant Joan, Callao et Sant Andreu. Et les deux cédilles arrondies formées par les rues de Salou et Lepant. Ici, le pinceau des gens de la mer a produit une toile au parler salé, au goût du collectif et à l’esprit de famille. Le port dans l’âme, le poisson au cœur et la mer dans le sang. Et ça se sent toujours et encore. Deux mille ans de mariage entre Tarraco la Romaine et son port. Tarragone et son port sont nés en même temps. Indissociables, inséparables même si la physionomie actuelle du port a commencé à se dessiner à cheval entre le XIXe et XXe siècle. Pas seulement comme port de marchandises, mais également comme port de pêche, à la lumière duquel le quartier du Serrallo s’est développé. D’abord quelques cabanons de plage, puis des baraques en bois aux alentours de 1865, puis une église en 1880… Ainsi de suite, toujours face à la mer, le Serrallo se resserre autour de son église, le regard tourné vers la Grande Bleue. Les habitants, hommes et femmes cultivent tous un lien viscéral avec la mer, les barques et le poisson. On pêche, on ravaude les filets, on répare les embarcations, on vend le poisson, on le cuisine à la va-vite dans quelques gargotes. à la barre du restaurant le « Xaloc », on trouve un ancien marin reconverti en cuisinier. Xavi Veciana connaît le poisson mieux que quiconque mais sait surtout le cuisiner dans la plus pure tradition. Notamment sa recette du « Romesco de peix », spécialité de la mer par excellence, emblème gastronomique du quartier et par extension de Tarragonne. Le romesco, à ne pas confondre avec la sauce du même nom qui habille la calçotada ou certaines salades. Non, le suquet de romesco est un plat à base de poissons délicieusement baignés d’une préparation d’amandes et de noisettes pilées, d’ail, de pain frotté et de poivron blanchi. Une cousine éloignée de la « bullinada » en Catalogne Nord. Tous les deux ans depuis 30 ans, le Serrallo célèbre son grand concours des « Mestres Romescaires » qui décide de qui pourra être honoré comme Maître en la matière. Pitu Mosquits en fait partie. à 71 ans, cet ancien pêcheur est probablement l’incarnation parfaite du Serrallenc ! Comme tous les habitants du quartier, le « romescaïre » promène fièrement son sobriquet. « Ici, tout le monde m’appelle Mosquits. Il y a aussi Mico, Caguetes, la Mona ou encore La Manela… » Proximité, humour, esprit de famille. Au Serrallo, on est fils ou petit-fils de… Tout le monde se connaît. Et on refait le monde à la moindre occasion. Haut et fort. « Vous savez pourquoi la plupart des serrallencs crient quand ils parlent ? Parce qu’on a l’oreille déformée par le boucan des moteurs. On a passé tellement de temps en mer dans le ronflement des bateaux, qu’on ne sait plus parler doucement ! » Au quotidien, c’est au « Café Luz » de la placette Sant Magí que Mosquits refait le monde d’hier et de demain. Ici, on se retrouve, on s’embrasse, on s’envoie quelques piques entre un vermouth et une partie de dominos. Il n’est pas rare de voir passer la Petxita, une ancienne de la confrérie des pêcheurs, qui se dit « appelée depuis toujours par la mer et par le Serrallo ». Au point de s’être tatoué sur le bras la « víbria », la femelle du dragon issue du bestiaire local.

La nouvelle « Rambla de la culture »

Un personnage maléfique porté par la Colla de Diables de Voramar lors des principales fêtes du Serrallo et de Tarragone. Il n’est pas plus actif et dynamique que le petit peuple du Serrallo. Toute date est prétexte à fête ou rassemblement pour la vingtaine d’associations que compte ce microcosme endiablé. Ici, les Xiquets, soit la colla de castellers. Là, Pere le pêcheur et Carme la poissonnière, les deux « gegants » emblématiques du Serrallo. Traditions, processions et culture sur tous les fronts et ponts. Le Port et son Serrallo de cœur s’écrivent désormais en bleu majuscule. à tel point que le Moll de la Costa est aujourd’hui considéré comme la « rambla de la culture », ou même « la 3e Rambla de Tarragone », après les emblématiques Rambla Vella et Rambla Nova. Exit les grues grinçantes à la vue et le tohu-bohu des zones techniques et industrielles. Les abords du port peuvent s’enorgueillir de quatre « tinglados » (anciens entrepôts), de deux « refugis » (hangars), d’un Teatret (petit théâtre) abrité dans l’ancienne Confrérie des Pêcheurs, de deux musées, d’archives et même d’un singulier musée à ciel ouvert baptisé Mur-Mar. Sur les murs du quartier du Serrallo, plusieurs artistes ont laissé déferler leur créativité. Ici, le portrait géant d’une ravaudeuse de filets. Là, une famille de pêcheurs au complet. Plus loin, la mer mise en bouteille, les hommes à la criée. Grâce à la mise en valeur de son passé, le Serrallo signe un retour en force et tout en beauté. Si l’on savait depuis toujours l’excellente réputation du poisson de Tarragone, on vient désormais de loin pour s’offrir une table dans l’un des nombreux restaurants colorés du Serrallo. Sous les palmiers, à deux pas des barques et des yachts de luxe, on déguste les meilleures spécialités de poisson. Tout de blanc-bleu drapé, l’ancien bâtiment de la Confrérie des Pêcheurs trône en capitaine sur la promenade. En rez-de-chaussée, il accueille le prestigieux restaurant à poisson « Pòsit del Serrallo », réputé pour son offre gastronomique. à table devant les façades colorées, à pied le long des quais, à vélo le long de la jetée, le Port de Tarragone s’est ouvert un nouvel horizon. La mer envers et contre tout. La culture en archipel. Le port et son quartier du Serrallo font indéniablement partie de ces lieux que l’on emporte avec soi comme des poumons supplémentaires.

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