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TOCAR FERRO : UN ART DE VIVRE A TARRAGONE

31 Mai TOCAR FERRO : UN ART DE VIVRE A TARRAGONE

Tarragone, il existe une expression consacrée pour désigner à la fois une déambulation à travers la vieille ville avant de déboucher en bas des rambles, sur la mer, et la tournée des innombrables terrasses de café, que l’on termine aussi en s’accoudant à la magnifique balustrade en fer forgé qui domine la Méditerranée. Troisième sens de cette expression proverbiale, tous ceux qui pensent qu’une précaution n’est jamais inutile viennent toucher du bois sur ladite balustrade car elle a la réputation de porter chance ! (en catalan, on dit indistinctement « toucher du bois » ou « toucher du fer » encore un signe d’un solide sens de l’adaptation !).

Romaine mais pas seulement !

Bref, en bonne méditerranéenne, Tarragone est à la fois festive et fataliste, et sait cultiver les plaisirs ! Et puis, « tocar ferro » c’est aussi jouir d’une vue à 180 degrés sur la Costa Daurada, une splendeur ! Bien sûr, on aime Tarragone pour son passé romain, omniprésent et incroyablement bien conservé. Mais justement, le plus extraordinaire n’est pas là. Il réside plutôt dans l’étroite intrication des constructions des siècles passés et dans le génie local qui occupe le moindre espace disponible en y installant petits cafés, terrasses colorées ou restaurants improbables. Pau, qui étudie la chimie à l’Université de Tarragone, l’affirme : « Tarragone est romaine, médiévale, baroque, mais surtout Tarragone est vivante, actuelle, et bien ancrée dans le présent. C’est pour ça qu’on y vit si bien » ! Pour bien commencer les choses, il suffit donc, à partir du balcon qui domine la plage du miracle de son incroyable balustrade, de remonter la Rambla Nova, la colonne vertébrale de la ville, jusqu’à une statue de Castellers qui constituent ici une tradition bien ancrée dans la ville puisque Tarragone ne possède pas moins de quatre « colles castelleres » qui composent d’incroyables châteaux vivants les jours de fêtes. Un peu plus haut, empruntez une des voies piétonnes pleines d’animation jusqu’à la Plaça de la Font qui occupe un quart de l’ancien cirque romain et que préside la façade néoclassique de la mairie. Il n’est pas rare de voir des gens se rafraîchir à la fontaine. Presque à chaque porte, sous les jolies façades colorées, des chaises et des tables invitent à paresser. C’est peut-être l’occasion d’un « esmorzar de forquilla » un petit déjeuner à la fourchette, très prisé des Catalans bon teint.

Mémoires croisées

On vous servira des plats locaux incontournables comme le museau de porc au chorizo aux pois chiches et aux champignons, le petit poulpe de Tarragone, des pieds de cochon au boudin noir, la morue ou le foie d’agneau aux petits oignons, mais vous ne risquez guère d’y croiser d’autres touristes. « Même les Anglais viennent peu », raconte Andreu, client du bar Cortijo à Tarragone. « Il faut dire qu’on ne fait rien pour adapter les plats, il y a de l’ail, de l’huile d’olive, c’est vraiment d’ici et puis, on ne boit ni thé ni café en mangeant ! ». Les vins du cru sont somptueux, n’y résistez pas ! Le Carrer Major, ancienne artère principale de la ville vous mènera à la cathédrale, imposante, aux airs de forteresse qui conjugue dans l’harmonie les différents styles qui ont présidé à sa construction échelonnée du XIIe au XVIIe siècle. Les retables intérieurs et la beauté du cloître roman méritent le détour avant de commencer votre balade à travers le dédale des ruelles vers les belles voûtes gothiques, massives et minérales, de la rue de Merceria. Elles accueillent encore, chaque dimanche, une jolie brocante. Là encore, de petits cafés tout en long qui évoquent un peu les souks orientaux invitent à la pause. Un peu plus loin, l’élégante place du forum révèle quelques ruines de l’ancien forum provincial de Tarraco. Il accueille sous ses vénérables pierres, tables et parasols, à quelques mètres à peine d’une très jolie petite place, la plaça del rei avec ses maisons ocres et jaunes irrégulières au charme indéfinissable ses belles terrasses de restaurants et sa tour de Praetorius, qui offre du haut de ses murailles robustes, une belle vue sur la ville. Vous n’avez pas encore bu de vermut ? Pourtant, c’est un must à Tarragone ! Autour de ce breuvage, si proverbial qu’il désigne en Catalogne, l’acte même de prendre l’apéritif « Fer Vermut », est né un véritable art de vivre qui rappelle les mezzés et les kémias de l’Orient : dans tous les bars et petits restaurants du centre-ville, les cuisiniers rivalisent d’imagination pour servir des tapes originales. « Depuis cinq ou six ans, raconte Quim, presque tous les bars de la ville organisent quelque chose autour du vermut. C’est devenu un argument de premier plan pour le tourisme ». Oui, et c’est un argument frappant ! Rien de plus agréable en effet que de coincer la bulle en terrasse en contemplant les façades modernistes tout en sirotant un des 30 vermuts fabriqués localement… Pour revenir vers la belle terrasse au-dessus de la mer, optez pour longer les anciens remparts à travers les rues étroites. D’où que vous arriviez, l’émotion sera la même devant l’immensité du bleu et la silhouette des monuments romains, notamment l’amphithéâtre.Après avoir dûment touché le fer, deux options s’offrent à vous. Vous aimez l’authentique, poussez jusqu’à El Serrallo, le quartier des pêcheurs où le poisson est vendu à la criée à chaque retour de pêche. C’est rapide, assez crypté, mais c’est tout un spectacle. Sinon, le marché central vous attend, magnifique, construit en 1915 par Pujol de Barberà et il regorge de produits frais. Núria y vend des olives depuis des années : « Quand je tiens mon stand je me dis que je fais la même chose qu’il y a deux mille ans. Certainement, sous Rome, il y avait ici une femme de mon âge qui vendait déjà des olives… Pour moi c’est ça Tarragone. évidemment il y a les monuments romains, mais surtout il y a les gens qui sont sans doute les mêmes ! C’est presque vertigineux ! ». Vous pouvez manger dans un des petits restaurants, ou mieux, sacrifier au rite local, en allant déguster quelques clovisses et quelques moules directement sur la plage en guise de fin d’apéritif ou de début de festin. Finalement « Tocar Ferro », c’est ça : une dolce vita offerte par les dieux de la mer et du soleil, qui prend racine dans l’histoire la plus lointaine. Et c’est à Tarragone et nulle part ailleurs.

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