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VERGES, QUAND LA MORT DANSE

30 Jan VERGES, QUAND LA MORT DANSE

Classée au patrimoine immatériel de l’Humanité par l’UNESCO, la procession de Verges est certainement l’une des manifestations les plus singulières du temps de Pâques. Le cadre médiéval du petit village de l’Empordà aux ruelles étroites émaillées de placettes, la modeste splendeur de l’église, lui offre un cadre à la fois sobre et grandiose, digne de la ferveur populaire que suscite l’événement, devenu l’un des must culturels du temps de Pâques.

Une série de mystères

Dans la grande tradition des mystères médiévaux et renaissants, ces véritables pièces de théâtre liturgiques qui étaient censées édifier le peuple et donner un catéchisme aux illettrés, les derniers jours du Christ sont mis en scène, au sens littéral du terme. Sur la Plaça Major, deux estrades de niveau différent sont montées, reliées par un escalier. En haut, la Samaritaine qui offrira à Jésus son calice d’amertume, Ponce Pilate et les juges juifs de l’assemblée. En bas, Jésus et les apôtres rassemblés pour la Cène.

Sept tableaux

Sept scènes se succèdent, qui évoquent successivement l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem, le Jour des Rameaux, puis son dialogue avec la Samaritaine, la dramaturgie prenante de la Cène, puis la reddition de Jésus. Une belle et émouvante évocation du Jardin des oliviers montre le Christ doutant et appelant son père, puis le jugement de Pilate tombe, sous l’influence de l’assemblée des juifs, implacable.

mort4Des stations théâtralisées

Jésus est arrêté et commence sa montée vers le Golgotha. C’est le début de la procession et de ses quatorze stations à travers la ville, émaillées d’épisodes bibliques connus, comme Sainte Véronique essuyant le visage du crucifié, la foule l’aidant à porter la croix, la guérison de l’aveugle. Parfois, Jésus prononce un monologue. Lorsqu’il est mis sur la croix, et que résonnent les coups de marteaux enfonçant les clous, s’élève un Stabat Mater en écho à la figure de la Vierge prostrée sous la croix, assistant à l’agonie de son fils.

La danse de la mort

A cet instant précis commence devant l’église, la danse de la mort. Des danseurs avancent en croix, habillés en squelettes, en fait de longues robes noires sur lesquelles sont dessinés crâne et os en blanc. L’effet est saisissant, ce sont des morts en marche qui avancent et dansent, porteurs de symboles macabres au sens précis et codifié depuis des siècles. C’est à Verges et nulle part ailleurs. La foule contemple cet étrange ballet avec gravité et crainte.

La grande faucheuse

En tête de cet étrange cortège, la faux, qui danse en tournant sur elle-même, comme pour signifier aux spectateurs que leur heure viendra et que la grande faucheuse ne les oubliera pas. C’est la mort elle-même qui danse et virevolte, comme heureuse de tant de travail à venir. Derrière la Faux avance le Porte-Drapeau qui est aussi le centre de la croix en marche. Un drapeau noir, portant les symboles de la mort, comme une confirmation du personnage qu’il suit.

Ultima necat, la dernière tue

De part et d’autre, deux enfants de 7 ou 8 ans, toujours habillés en squelettes portent des plats d’argent remplis de cendre, une claire allusion à la vanité des richesses de ce monde, à la permanence des choses et au caractère éphémère du passage humain. Nous redeviendrons cendres quelles que soient nos possessions. Derrière eux, l’Horloge, qui symbolise les heures qu’il nous reste à vivre et souligne que nous n’avons aucune prise sur cette échéance fatale. Aucune aiguille sur ce funeste cadran, un simple carré porté par un squelette. Et pourtant, il glace le sang.

Pour qui sonne le glas

Puis vient le tambour, qui émet un son sourd, grave, sinistre, extrêmement proche d’un glas, seul élément sonore de cet étrange défilé, suivi des porteurs de torches qui déchirent la nuit, peut-être celle de quarante jours qui vient de s’abattre sur le monde, avec la mort de Jésus. Cette danse macabre, extrêmement codifiée, accompagne en effet l’agonie du Christ sur la Croix. Le spectacle se déroule dans un silence total, que seul déchire le son lugubre des percussions.

mort2Un vrai recueillement

Pas de foule en fête, malgré les milliers de personnes qui se pressent dans le petit village. L’heure est au recueillement. Contrairement à la plupart des autres processions, centrées sur la figure du Christ, Verges nous invite à réfléchir directement à notre finitude. En ce sens, c’est sans doute la procession qui nous rapproche davantage de ce public du Moyen-Age en proie à tant de désastres et habité de tant et tant de terreurs diverses.

Verges nous convoque à la fois à un spectacle unique, graphique et plein de pathos et à un face à face avec nous-mêmes dont nous ne sortons pas intacts. C’est une expérience extraordinaire à vivre au moins une fois.

Origine médiévale

La passion de Verges s’inspire d’un livre de Fra Antoni de Sant Jeroni : « Representació de la Sagrada Passió i Mort de nostre Senyor Jesus-Christ », une dramaturgie adoptée par la suite par plusieurs villages catalans. La première occurrence de la procession de Verges remonte cependant à 1666, ce qui semble indiquer qu’elle est née au Moyen-Age sous une forme plus primitive.

Lluís Llach

Peut-être cette procession est-elle l’inspiration d’un très beau texte de Lluís Llach, dont la mère est native du village, et dans lequel il promet sa dépouille à sa terre de l’Empordà où il souhaite reposer à jamais « Quan moriré porteu-me a l’Empordà, no hi ha cap terra que a la meva carn la seduixi tant ». Quand je mourrai, emmenez-moi dans l’Empordà, il n’y a aucune terre qui séduise autant ma chair.

Verges, simple et beau       

Les premières occurrences de Verges remontent à plus de mille cinq cents ans, soit le très haut Moyen-Age. Ville fortifiée à l’ère médiévale, elle faisait partie du puissant comté d’Empúries et a gardé de ce passé glorieux, quelques vestiges de remparts, des tours de défense et des rues étroites et pavées. Authentique, peu touristique, Verges est un très beau village qui mérite votre visite.

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