05 Jan S’AGARO, ENTREZ DANS LA LEGENDE !
Juste à côté de Playa d’Aro, S’Agaró fait figure d’île naturelle. Le havre de paix et de luxe, qui fut longtemps courtisé par les stars planétaires, est né de la volonté visionnaire d’un seul homme.
Au cœur d’un archipel malmené par les promoteurs et le tourisme de masse, une « île » de paix et de raison résiste encore et toujours à l’envahisseur. Même la vague de béton qui submergea le littoral dans les années 1970 n’a pu modifier sa nature profonde. S’Agaró a trouvé son équilibre à l’écart des clichés qui ont fait la célébrité de la Costa Brava. Ici, chaque habitant participe à la gestion de sa ville, chacun sait que de la sagesse de ses décisions dépendra l’avenir de « l’île ». à S’Agaro, rien ne se passe comme ailleurs, comme si la mémoire de son bienfaiteur planait sur ses ruelles et ses espaces naturels, inspirant sagesse à tous. Et c’est un peu vrai, le souvenir de Josep Ensesa Gubert est omniprésent. S’Agaró lui doit tout, ou presque ! Visionnaire, rêveur fou ? Il l’était sans doute, mais une chose est sûre, son rêve éveillé est devenu réalité. Il a réussi l’impossible : concilier les extrêmes, pérenniser un improbable équilibre entre urbanisation et nature, concilier luxe et harmonie. Et, le sait-on encore, S’Agaró fut un temps, La Mecque des célébrités, l’endroit le plus people de toute la côte, dans les années 1950 et 1960, même le rocher monégasque était délaissé par le gotha d’Hollywood à son profit. à cette époque, une seule destination faisait courir Liz Taylor ou Kirk Douglas. De toute la planète, les stars accouraient, impatientes de se montrer aux soirées les plus glamours de l’époque. Les cinéastes partaient à la découverte d’une côte rocheuse à la beauté encore méconnue. En 1956, Philip Leacock y tournait son « Spanish Gardener », avec Dirk Bogarde, dans le rôle titre. Un peu plus loin, à Tossa de Mar, la sublimissime Ava Gardner avait embarqué sur le pont du vaisseau fantôme, dès 1951 dans « Pandora » avec James Mason. Comme bien des destins, celui de S’Agaró a basculé par hasard. Au temps des années folles, les terres littorales n’intéressent personne, la côte est rocheuse, ingrate aux efforts des hommes qui la travaillent. Quant aux vacanciers, aussi rares que fortunés, ils s’intéressent plus volontiers à la montagne qu’à la mer. Pourtant, lorsque le père de Josep Ensesa reçoit une proposition un peu désespérée, émanant de l’un de ses clients, il l’étudie avec une attention toute novatrice pour l’époque. Nous sommes en 1922, et son usine fonctionne à merveille, l’argent n’est pas un problème pour l’industriel, mais une dette est une dette. L’un des grossistes qui se fournit chez lui éprouve des difficultés à payer, et s’il ne possède pas de liquidités, il est propriétaire d’un très grand terrain donnant sur la mer. Il est tout prêt à le céder à un prix défiant toute concurrence pour honorer sa parole. Et puis, les arpents sont à deux pas de Sant Feliu de Guíxols, là où l’usine est implantée… L’industriel aime la mer, d’une passion rare en ce début de siècle et il accepte la proposition. Durant des années, les choses en restent là. Jusqu’au jour où son héritier, Josep Ensesa Gubert, parle avec son ami, Raphaël Maso de ce terrain qui n’attend plus qu’un projet pour devenir un coin de paradis. Maso, n’est pas le premier architecte venu. Dans cette partie de la Catalogne, ses œuvres modernistes l’ont déjà rendu célèbre.
Quant à Josep Ensesa, son usine chimique moderne récemment créée a pérennisé sa prospérité. Entre amoureux de beauté, les idées germent vite. Les deux hommes tombent d’accord. Ils poseront sur le terrain de S’Agaró la première pierre d’une cité-jardin. Des petites maisons aux dimensions raisonnées et aux formes harmonieuses sortent de terre. Le succès est rapide, les habitants de Girona se les disputent. S’Agaró plaît déjà. Alors, pour satisfaire une demande croissante, Josep se lance dans la construction d’un hôtel perché en haut de la falaise. Il le nomme « La Gavina », la mouette. Une quinzaine de chambres, aménagées sans luxe tapageur, juste de quoi permettre au public de découvrir le site. Grand voyageur, Josep a parcouru le mode pour ses affaires. Lui qui mène une vie relativement simple a pourtant un péché mignon : « Mon seul luxe, ce sont les grands restaurants ! », répétait-il à l’envi. Il va donc tout naturellement changer l’orientation de son hôtel. Il le meuble d’antiquités qu’il recherche à travers tout le pays.
La Gavina, mythe absolu
Chaque fois qu’il a trouvé de quoi habiller plusieurs pièces, il agrandit l’hôtel. Il achète même un deuxième établissement, l’Hôtel Monumental, construit voici peu et bien plus beau que La Gavina. Il s’y intéresse pourtant très peu, son énergie est toute entière axée sur sa ville jardin. Josep Ensesa Gubert a alors l’idée la plus folle qu’un homme de cette moitié du XXe siècle puisse avoir. Il fait construire une promenade qui part de la plage de Saint-Pol pour culminer à la Conca, trois kilomètres d’aménagements coûteux qui ne rapportent rien, alors que le prix du terrain est monté en flèche. « Oui, mais on ne peut priver les gens de la vue de la mer… » expliquait-il. Ainsi S’Agaró passe-t-elle du statut de rêve d’un seul homme à celui de station à la mode. Ce qui est gagné à l’usine est réinvesti dans la cité, mais Josep n’en a cure, il a réussi son pari fou. S’Agaró commence à devenir l’endroit où il faut se montrer. Pourtant, la folie des hommes mettra provisoirement un terme à cette douceur de vivre. à travers toute l’Espagne, blancs et rouges s’entretuent. L’Hôtel Monumental est réquisitionné pour devenir un hôpital militaire. L’industriel et sa famille s’exilent en Suisse. Josep pense déjà à devenir un « Americano ». La guerre s’éternise, sans doute va-t-il tenter sa chance en Amérique du Sud, comme l’ont déjà fait nombre de ses compatriotes. « Si un jour je peux rentrer au pays, je construirai une église pour remercier le Seigneur », lance alors l’homme d’affaires. Et le miracle se produit peu de temps après. Les hostilités cessent. Josep Ensesa retourne sur ses terres. Mais, cette fois, S’Agaró ne peut plus se cantonner au rôle de ville expérimentale, il faut qu’elle dégage des bénéfices car la guerre a considérablement rogné les réserves financières de la famille. Il faut absolument promouvoir l’endroit et y faire venir du monde et même y attirer le gotha, ce qui correspond tout à fait à la volonté de Franco d’attirer tourisme et devises. Il commence par créer, vers S’Agaró, des excursions en autocar ou en bateau depuis Barcelone. Ensuite, il organise des régates qui attirent inévitablement les foules. Pour satisfaire aux exigences d’un public fortuné, il aménage l’un des premiers clubs de tennis du pays. Dans les jardins à terrasses de sa somptueuse résidence, il donne trois fois par an des concerts qui rassemblent les plus grands maestros du monde. Il édite une petite revue qui retrace chaque événement et fait le portrait des célébrités qui commencent à affluer à S’Agaró. à cette époque, la réputation à l’étranger de la petite ville dépasse celle de la grande Costa Brava ! Acteurs, artistes et hommes d’affaires de l’Europe entière y installent leur seconde résidence. Bien entendu, les normes architecturales sont dictées par Josep et son ami, Maso Ici. Il est notamment admis que sur chaque parcelle, les constructions n’occuperont pas plus d’un tiers de l’espace. L’environnement est ainsi respecté. S’Agaró demeure une ville piétonne, un havre de paix. La Gavina devient, de fait, l’école des plus grands chefs et maîtres d’hôtel. Le succès est total. Pour preuve, la liste de clients prestigieux s’allonge de jour en jour depuis l’âge d’or de la station : on parle ici, de Sammy Davis Junior, de Sean Connery, d’Orson Welles, de Robert De Niro ou encore de John Wayne. On parle de Sa Majesté Juan Carlos, de Don Juan de Borbón Conde de Barcelona, du Prince Bandar Ben Mohamed Ben Seoul Al-Khaber ou encore de Jordi Pujol. On parle de chanteurs tels Brian Adams, Julio Iglesias, Jamiroquai, Shakira et du groupe U2. Oui, S’Agaró surfe sur la vague d’un succès qui date d’une après-guerre où tout était à reconstruire, mais en conservant son âme. à l’époque, les vedettes affluaient à un tel rythme qu’il fallait encore et toujours améliorer un service frôlant déjà l’excellence. L’hôtel Monumental, rebaptisé en 1965 « Hôtel de la Playa », doit même quelquefois fermer ses portes aux visiteurs, ses chambres étant toutes occupées par le personnel de la Gavina. Josep Ensesa Gubert peut quitter cette terre l’esprit en paix, son rêve s’est matérialisé au-delà de toute espérance. Les héritiers se partagent le patrimoine, mais chacun adoptera la ligne de conduite inspirée par le grand homme. Du côté de la Gavina, rien ne change vraiment, mais à l’hôtel de la Playa, une armée d’artisans est à pied d’œuvre. La fille de Josep, aidée par son mari architecte a décidé de redorer le blason de la vénérable bâtisse. Le cachet exceptionnel du lieu est respecté mais on passe de trente chambres à plus de cent ! Albert Sibils, l’arrière-petit-fils de l’heureux acquéreur du premier terrain est aujourd’hui à la tête du superbe établissement dont il en a fait un quatre étoiles. Tout naturellement, son hôtel s’appelle aujourd’hui « S’Agaró Hotel ». Tout en harmonie et luxe, équipé de son tout nouveau SPA, il est le reflet de la pensée de Josep, de cette incroyable petite ville où une communauté soudée s’est créée entre voisins de nationalités différentes qui autogèrent « leur » cité. S’Agaró, inspirée librement de la grande époque de la Côte d’Azur française, a influencé toute la Costa Brava. Les festivals fleurissent de la frontière jusqu’à Barcelone et plus, mais les organisateurs se souviennent-ils encore qu’à la base du concept, quelques artistes donnaient des récitals dans les jardins privés de Josep Ensesa Gubert ?
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