31 Mai Collioure, les poètes ne meurent pas
Arriver à Collioure, c’est s’offrir une plongée dans le bleu, depuis les vignes peuplées de ceps couronnés de vert, alignées comme au théâtre devant la danse changeante des vagues, jusqu’au pied du château majorquin qui approuve l’élan conjoint de l’église et de la jetée vers le large. Une promesse double de voyage et de découvertes artistiques…
A Collioure, de son vrai nom « Cotlliure », réside l’essence de la liberté d’être. Il y a tant à voir et à ressentir à Collioure… À tout seigneur tout honneur, commençons par le Collioure des musées et des peintres, le Collioure fauve, paré de couleurs pures en alliances étranges de violet et de vert, d’orange et de fuchsia, qui embrasent les ciels de Derain ou Matisse. L’église émergeant des flots, tel un vaisseau improbable amarré à la plage, les plages de galets et la jetée fermant la baie sont devenus des motifs incontournables de la peinture du XXe siècle, vous invitant à entrer dans la légende. Le Château des Rois de Majorque, devenu équipement mémoriel et culturel, dresse ses murs immenses au bord des flots, juste ourlés d’un chemin de pierre où une sculpture sobre commémore l’exil des Juifs en 1492. Il permet de rejoindre le Port d’Avall et sa promenade arborée en contournant l’énorme glacis érigé par Vauban qui sert de parking. Partout, d’étranges cadres vides, inventés par l’artiste local MA2F, permettent à chacun de créer sa propre carte postale, son propre tableau, unique, juste en regardant le paysage. Le Musée d’Art Moderne, installé dans une villa bourgeoise, célèbre l’abandon aux vertiges de l’art plastique avec une très belle collection moderne (Brune, Descossy, Cocteau, Matisse ou Pignon) et contemporaine (Bioulès, Di Rosa, Capdeville ou Chichorro). La Maison du Fauvisme a concocté un itinéraire qui place des reproductions d’œuvres célèbres à l’endroit même où l’artiste a posé son chevalet. Collioure vibre de couleurs. Justement cet enchantement chromatique se poursuit dans le vieux quartier des pêcheurs, le Moré, un dédale de petites maisons aux façades colorées dominées de rose, aux terrasses improbables reliées par un réseau d’escaliers abrupts, aux belles tonnelles dopées par l’iode des vents marins. Un concentré de charme et de Méditerranée ! Que dire de l’architecture très Art Nouveau et très scandinave à la fois du Temple protestant signé Dorff Petersen, coqueluche de la bourgeoisie roussillonnaise au tournant du XXe siècle et follement graphique ? Collioure est unique.
Nature et architecture
La nature, avec son amphithéâtre minéral que les vignes peignent d’ocre et de vert, magnifie ce Collioure défensif qui érige sur les collines environnantes des réponses de pierre à la majesté de son château royal, qu’il s’agisse du Fort Miradou et du Fort Saint Elme, de vieilles tours de guet transformées par Charles Quint et parachevées par Vauban, du Fort Rond ou du Fort Carré, érigés au XVIIIe siècle. Tout là-haut, surplombant les Albères, se dresse la tour majorquine de Madeloc qui communiquait, en cas d’attaque, avec les tours de Força Réal et celles des Corbières. Mais la grâce des pierres ne s’arrête pas là. L’ancienne Maison Pams qui abrite le Musée ouvre sur un magnifique jardin méditerranéen où ont été soigneusement assemblés les éléments résiduels du cloître de l’ancien Couvent des Dominicains, un temps volés et installés dans l’Aude. Son église conventuelle est aujourd’hui transformée en cave coopérative mais garde de belles souvenances de sa beauté passée. Tout en haut de la colline, un moulin à vent veille sur la baie. Construit en 1337, sous le royaume de Majorque, il était à l’origine destiné à moudre des céréales. Aujourd’hui restauré selon les techniques de l’époque, il est transformé en moulin à huile, sans doute le plus ancien du Roussillon. L’architecture pour le moins originale de Notre-Dame des Anges, étrange perle baroque à demi immergée, abrite un retable de Sunyer, l’un des plus grands sculpteurs catalans de son temps, particulièrement remarquable.
Une ville infiniment vivante
Son allure inimitable est due à son étrange clocher nettement phallique, une ancienne tour de défense surmontée d’un dôme rose. Au bout de la petite plage qui se cache juste derrière, en amorce à la jetée qui mène au clocheton forgé du phare, s’élève la petite chapelle de Saint Vincent ornée d’un clocher-mur et flanquée d’une grande croix. Elle se trouvait autrefois sur un îlot qui marquait l’entrée dans le port. Toutes ces perles architecturales et plastiques s’enchâssent dans un réseau serré de rues pentues et colorées, littéralement ourlées de boutiques, de galeries de peinture, de restaurants, blottis au rez-de-chaussée de maisons hautes et étroites… Le lit du Douy vertèbre le centre-ville, bordé de quais-promenades que peuplent de jolies terrasses pimpantes, qui coulent vers la mer et se prolongent en une large promenade maritime à la calade de schiste. C’est le cœur battant de la ville, l’endroit où s’ouvrent de petites places carrées et ombragées, où les chaises des restaurants dévorent l’espace public, où les chevalets des peintres se bousculent pour mieux capter le mystère insaisissable des lieux. Collioure affectionne les grands cafés vintage comme Al Sola, l’institution festive, ou aux Templiers, Chez Pous, un musée hors les murs auquel tous les grands peintres passés par Collioure ont laissé des œuvres contre un bon repas ou un séjour. La ville adore la belle ouvrage et le prouve avec ses anchois, encore produits par deux vénérables maisons, la Maison Desclaux et la Maison Roque, délicieux arrosés de vins oxydatifs comme le rancio, et surtout la qualité de son vignoble couronné d’une appellation aussi célèbre que prisée, qui aligne des gammes d’excellence qu’il s’agisse de vins ou de vins doux naturels. Rien d’étonnant à ce qu’une pléiade de restaurants illustrant toute la gamme des possibles, des tapas au gastronomique, du plus exotique au plus catalan, rivalisent d’imagination ! Et les hôtels ne sont pas en reste, des plus luxueux, littéralement suspendus sur la baie ou le Douy, à ceux qui se blottissent dans les fragrances de citronniers, des plus typés aux plus design. Collioure offre ses mille visages pour votre plus grand plaisir, ivre de soleil et de vent, tendue vers la mer comme les voiles latines des barques colorées qui dansent sous les remparts du château.
Une âme festive
Si Collioure n’était que cette alliance de nature grandiose, de bijoux architecturaux et de maisons pittoresques, elle serait déjà un extraordinaire décor de théâtre, un tableau perpétuel. Mais voilà, Collioure est beaucoup, beaucoup plus que ça. Conviviale, elle blottit son marché pittoresque sous de grands platanes protecteurs. Amoureuse des musiques de rue, du son ardent des tibles et des tenores, elle n’aime rien tant que les grands rassemblements festifs, les défilés ludiques et les sardanes fraternelles. Pour autant, elle ne dédaigne pas, sous les voûtes de son église ou sur ses plages, l’émotion d’un piano ou d’une page de musique classique, voire les trépidations, sur les galets des musiques les plus actuelles ou la beauté des mélodies corses. Amoureuse de ses vignobles, elle les parcourt en balades gourmandes rythmées de dégustations de crus, les Caminades. Éprise de mer, elle caracole sur des chemins côtiers escarpés et connaît tous ses sortilèges. Admirative de son patrimoine, elle offre son ermitage de consolation, orné d’ex-votos, aux pique-niqueurs et aux mélomanes et encourage la montée des plus courageux vers les créneaux de la tour de Madeloc. Catalane jusqu’au bout de ses jetées, elle célèbre le solstice d’été en s’embrasant, toute entière parée de rouge et de flammes pour porter au-delà des eaux, tournée vers l’orient, le message de paix de la Saint-Jean. Fidèle à ses anciens, elle consacre une fête à l’anchois pour faire découvrir ses techniques de pêche ancestrales, ses processus de salaison et de transformation en grands ateliers joyeux noyés de musiques. Avec le début de l’été, c’est une fête perpétuelle qui s’instaure, propice aux rencontres et aux échanges. Une ambiance surtout, un art millénaire de l’accueil et de l’adoubement, qui fait de chaque visiteur un Colliourenc, à jamais possesseur d’un pan du mystère.
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