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Rencontre avec Carles Cortina

31 Mai Rencontre avec Carles Cortina

Rencontre avec un enfant du pays qui a consacré sa vie à son développement. Carles Cortina tient à València d’Àneu un hôtel-restaurant qui porte son nom. Il a connu toutes les évolutions touristiques de sa vallée.

Cap Catalogne : Bonjour Carles, vous êtes un fils de la Vall d’Àneu…
Carles Cortina : Oui, ma famille est ici depuis des générations. Mes ancêtres étaient paysans et ils vivaient principalement de l’élevage. Quand je dis qu’ils vivaient, c’est plutôt qu’ils survivaient. D’ailleurs mon grand-père a dû s’exiler en France pour raisons économiques, comme ses deux frères qui eux, ne sont pas revenus et ont fait souche de l’autre côté des Pyrénées. La France parait loin mais on y arrive assez vite par la montagne. Un jour mon grand-père est parti avec l’armée républicaine en annonçant une absence de cinq jours et il est revenu cinq ans plus tard après avoir été enfermé dans un camp de concentration après la défaite face aux Nationaux. Il a d’abord été cantonnier autour du village puis responsable des routes de la vallée. Ensuite, mes parents ont tenu le refuge de la Vierge des Ares, en direction du Val d’Aran du côté du col de Bonaigua. C’était un passage obligé pour tous ceux qui prenaient la route de la montagne. 

CC : On est dans les années 50 ?
CC : Ils y sont restés de 1945 à 1965, puis ils sont redescendus, la vie là-haut était assez dure, isolée. Ils avaient pris la mesure du potentiel touristique, des bus qui passaient, du début de l’essor de la randonnée et nous avons consacré un premier bâtiment, aujourd’hui en location, à l’accueil des visiteurs de la vallée. Il a été construit sur un terrain mis à disposition par mon grand-père. 

CC : Vous avez toujours eu la vocation de lui succéder ?
CC : Oui. J’ai toujours voulu me consacrer à l’hôtel et je ne suis parti pour mes études qu’avec la ferme intention de revenir chez moi. Je suis d’abord allé au collège à Tremp chez les Salésiens.

CC : C’est quand même assez loin, c’est l’autre Pallars…
CC : Beaucoup de jeunes d’ici font de même, le seul problème c’est qu’il faut être interne. Ensuite, je suis allé au lycée à Lleida, et enfin j’ai fait des études universitaires de gestion d’entreprise à Barcelone pour acquérir les armes nécessaires à mes ambitions. Je suis ensuite revenu et nous avons ouvert l’établissement dans lequel nous nous trouvons et dans lequel nous poursuivons une campagne permanente de travaux et de modernisation.

CC : Vous pariez donc sur le tourisme. Peut-on dire que vous avez retrouvé les chiffres d’avant covid ?
CC : Oui, nous commençons à retrouver nos billes, même si les comportements des touristes ont changé et même la saisonnalité. Je suis convaincu que le tourisme requiert, dans cette vallée en particulier, haute et enclavée, une politique groupée. Nous avons donc créé une sorte de consortium regroupant les villes de la vallée et des entreprises comme les hôtels, les fabricants de meuble, les artisans fromagers et les deux parcs naturels pour défendre les intérêts spécifiques de la Vall d’Àneu plutôt que de les noyer dans une comarca vraiment très grande. Ici la dynamique se définit par vallée, c’est notre unité territoriale et identitaire.

CC :  En tout ça représente combien d’habitants ?
CC : 1500 personnes mais nous accueillons 40 000 touristes, ce qui est assez énorme en termes de proportion, et suppose de disposer d’équipements hôteliers ou hôteliers de plein air en quantité suffisante.

CC : D’où viennent ces touristes ?
CC : Principalement de Catalogne, mais aussi du Pays Valencien, des Îles Baléares, de la région de Madrid. Sinon, bien sûr, nous avons beaucoup de Français qui viennent hors saison pour la pêche, mais aussi beaucoup d’Israéliens et d’une façon générale, de juifs, même si cela peut sembler étrange.

CC : Quelle est l’explication de ce tourisme juif ?
CC : Il y en a deux. Au Moyen-Âge, le Pallars a été un refuge pour les marranes, les faux convertis qui se sont réfugiés dans les montagnes, et pendant la deuxième guerre mondiale, les passeurs ont sauvé énormément de familles ou individus menacés par les nazis et fuyant le territoire français. Imaginez que si vous allez à Espot, vous verrez des menus en hébreu et même des propositions casher. La comarca a créé une route touristique baptisée « Route de la liberté » qui voit se croiser tous les fugitifs vers le nord ou vers le sud. Et oui, cette comarca si mal desservie au niveau routier est un vrai lieu de passage ! 

CC : La saison touristique la plus importante, c’est l’hiver avec les stations de ski ?
CC : Non, il y a beaucoup de monde mais nous subissons la concurrence du Val d’Aran. La saison-reine c’est l’été, notamment avec les sports d’eaux vives : on peut rejoindre la Pobla de Segur au fil de l’eau. Notre réseau de guides a organisé des activités inattendues et passionnantes qui drainent de nombreux amateurs. Nous avons obtenu le label Starlight qui permet d’observer le ciel dans des conditions optimales de pureté eu égard à l’absence de pollution lumineuse. Les touristes adorent les formules planétarium + dîner + observation, auxquelles on rajoute parfois la dégustation de liqueurs des Pyrénées comme la ratafia. Nous avons aussi obtenu le label tourisme familial grâce à une offre adaptée comme l’initiation au rafting pour les plus petits.

CC : Les gens peuvent se baigner en été ?
CC : Oui et non. Les parcs naturels sont très soucieux de protéger la nature et interdisent en principe la baignade, mais avec des centaines de lacs et les piscines des hôtels les gens ont de quoi se baigner et vous imaginez bien qu’il est impossible de les contrôler. Nous, nous avons opté pour une piscine extérieure et une piscine intérieure version spa. Vous savez au fond ici, on utilise les piscines d’extérieur environ deux mois par an ! Ensuite je veux vous parler du VTT qui attire beaucoup de familles grâce à nos dénivelés vertigineux et aussi des excursions thématiques sur la faune et la flore qui sont très prisées des visiteurs. Nous avons réussi à enrichir l’offre de la vallée en faisant feu de tout bois.

CC : Vous ne m’avez pas encore parlé de l’ours…
CC : C’est un sujet polémique mais il faut bien reconnaître qu’il existe un tourisme dédié avec des sentiers et des miradors pour mieux l’observer. Nous avons même une maison de l’ours qui est très fréquentée.

CC : Si je vous demande de me parler un peu de gastronomie ?
CC : La spécialité est la potée locale, bien roborative parce que nous sommes en montagne, que nous appelons la vianda, mais bien sûr la chair de nos agneaux est savoureuse. Je voudrais pouvoir vous parler du gibier, notamment l’isard et le sanglier, mais il est devenu très difficile de le servir en dehors d’un cercle domestique, car il faut passer par l’abattoir. Nous avons du cheval et du veau, aussi. Dans les spécialités artisanales, je peux vous citer les fromages qu’ils soient de chèvre, de vache ou de brebis et notre charcuterie.

Vous faites de la girella, la saucisse d’agneau, comme dans le Pallars Jussà ?
CC : Oui. Autour de carnaval, nous y ajoutons des raisins secs. Les cuisiniers d’ici ont créé une sorte de fédération, ils l’ont appelée la xicoia (chicorée sauvage). Comme vous le voyez nous sommes tous d’accord pour fédérer nos énergies au service de la vallée, parce qu’elle le mérite. Elle a su rester sauvage tout en nous permettant de vivre dignement et sans perdre notre âme.

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