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Baixas, âme minérale

01 Avr Baixas, âme minérale

Blotti au cœur d’un triangle qui voit se fondre la plaine viticole rivesaltaise, les premiers contreforts des Corbières et les dernières terrasses du Riberal, Baixas puise dans ses paysages une âme paysanne minérale qui lui permet de s’étendre sans se dénaturer.

Ici, pas de rivière ni de torrent, juste un cours d’eau pluvial, une sorte de canal d’irrigation (agulla) qui traverse le village, le Rec, la plupart du temps totalement à sec mais pourtant doté d’un large lit. Les paysans savent prévoir l’improbable… Calcaires et graves offrent à la vigne, impériale, un vaste tapis ocre, rocailleux et fertile, sur lequel elle s’étale en impeccables rangées qui escaladent sans peur crêtes et collines. De cette terre généreuse, un des meilleurs terroirs du Roussillon, sourdent des vins incroyables, bardés de médailles et de récompenses. 

Une ville médiévale

Nous sommes dans le domaine viticole le plus étendu de la Catalogne-nord, fief de sa coopérative la plus performante et la plus innovante, les Caves Dom Brial. Toute l’année, les hommes veillent, sécateur à la main, sur les précieux ceps porteurs d’histoire et d’identité, que leurs aïeux ont défendu de leur vie lors de la révolte des vignerons en 1907. Ils produisent des rouges profonds, des blancs aux parfums de muscat et de garrigue,  des rosés coquins et un muscat précieux qui parle d’abeilles et de miel. La diversité des sols et de l’ensoleillement favorise une gamme presque infinie de saveurs et d’appellations d’ailleurs en expansion. Cette prégnance du vin se respire aussi dans l’architecture des belles maisons en cayrou, organisées autour d’un grand espace autrefois destiné à la fois aux chevaux et aux tonneaux marqué par de grands portails qui ouvrent aujourd’hui le plus souvent sur des garages. Autres temps, autres mœurs ! La Mairie s’est ainsi installée dans la version la plus patricienne de ces demeures, si princière, au cœur de ce monde rural, qu’elle a pris un nom aristocratique : Château les Pins. Entre bastide et maison de maître, fermée par un portail monumental, le bâtiment en impose. Pourtant, ses jardins sont une agora des plaisirs où les baixanencs se retrouvent pour des fêtes et des grillades conviviales. « Baixas s’est développée autour du vin, même si les choses ont beaucoup changé entre la tradition des anciens et les connaissances œnologiques d’aujourd’hui. Sans parler des intérêts économiques qui bien sûr, sont sans commune mesure, si l’on songe aux exportations par exemple. C’est une révolution tranquille. Par exemple, on vendange assez peu à la main, juste pour compléter le travail de la machine ou quand elle ne peut pas passer. Si les anciens revenaient, je ne sais pas ce qu’ils en penseraient » commente Marie-Claire, viticultrice. Le caveau Dom Brial, la cave du village est un temple de la modernité rompu aux dernières technologies, et pourtant on y croise des villageois, bonbonne à la main, venus puiser le vin directement au fût, comme autrefois. C’est tout le paradoxe et le charme du mystère de Baixas ! De belles et grandes demeures vigneronnes referment un cercle invisible, une sorte de rocade, autour d’un autre cercle : celui que forme la « cellera », l’espace sacrée autour de l’église où toute forme de violence était interdite. Jadis, Baixas était une ville fortifiée et il faut, encore aujourd’hui franchir de belles portes étroites pour pénétrer dans le cœur de l’ancienne cité médiévale, pleine de charme avec ses rues tordues et étroites dont certaines ne permettent pas le passage des voitures. La circulade, autour de l’église, offre une promenade particulièrement agréable. 

Des paysages simplement beaux

En levant la tête, un œil attentif note des restes de remparts, des fenêtres gothiques bilobées, des encadrements de marbre et des vestiges de torchis. Un projet, en cours, vise à installer des échoppes d’artisans d’art, une belle façon de renouer avec l’histoire. « J’ai décidé de m’installer à Baixas parce que j’y trouve, à deux pas de Perpignan, un socle d’authenticité préservée somme toute rare » explique Jean-Marc, cadre au Ministère de la Culture. L’église gothique, construite sur une fondation romane, est une petite merveille avec sa nef unique, son clocher lombard, et surtout son incroyable retable d’inspiration résolument ibérique qui rappelle celui de Cadaquès et qui reste le plus grand de toute la Catalogne-nord. On le doit au ciseau de Lluis Generes, un des maîtres du baroque catalan. Monumental, couvert d’or fin, ce chef d’œuvre est devenu proverbial dans toute la plaine du Roussillon « riche comme le retable de Baixas ». Dopée par la beauté de ses paysages et sa proximité avec Perpignan, Baixas s’étend en lotissements cossus et raisonnés qui ne la dénaturent pas et contribuent à rajeunir sa population. Elle conserve aussi tout son attrait pour les amoureux du beau et des arts. « Je n’imagine pas vivre ailleurs, et pourtant, j’ai beaucoup bourlingué », affirme Robert, éditeur. « Ici on ne manque de rien, on a tous les commerces indispensables, les gens se parlent, il y a dans nos paysages quelque chose de latin, de profond, qui m’évoque la campagna romaine ». En effet… les cyprès couronnent les crêtes, le thym semble sourdre des éboulis, des chemins en lacets se frayent un passage vers les fontaines… Un peu plus haut, bien caché, l’aven de la Dona rappelle que nos ancêtre du néolithique aimaient déjà cette terre. Rien de mieux pour la comprendre que de monter la centaine de mètres qui sépare les maisons de « la Fount », une jolie fontaine qui se laisse enfermer dans les bras de pierre de deux vastes lavoirs. Il n’y a pas si longtemps, les lavandières s’y retrouvaient, faisaient sécher les draps et le linge sur la grande prairie au-dessus, et on venait y chercher l’eau quotidienne, rituel obligé. « Ma mère lavait encore à la Fount quand j’étais petite. Comme mon père était vendeur de charbon, j’imagine que ce devait être une tâche pénible, mais elle en gardait un bon souvenir, parce que les femmes se parlaient, c’était un peu leur café du commerce » raconte Annie, retraitée de la Poste. L’autre must de cette quête de l’eau se trouve un peu plus loin, au bout d’un joli chemin ombreux bordé de vignes : l’ermitage de Sainte Catherine, documenté dés 1401, haut lieu de pique-niques, de mariages et autres fêtes familiales. Sa fontaine délivre une eau fraîche et pure et son parvis planté de pins et d’oliviers tient tête aux étés les plus torrides. Une oasis à quelques encablures des maisons.

Un village minéral

Si les alentours de Baixas, dans leur mélange de garrigue méditerranéenne et de vignes, sont paisibles et beaux, ils cachent,  dans leurs replis les moins visibles, deux richesses uniques.  D’abord la chaux, qui a donné son nom à Calce la voisine, extraite dans de grands fours monumentaux dont on retrouve çà et là la trace souvent recouverte de ronces et d’arbrisseaux. Ensuite, bien sûr le marbre, dont les carrières ouvrent des plaies profondes dans la montagne. Il est encore exploité aujourd’hui après huit siècles d’extraction continue mais principalement pour donner du granulat. Ce marbre constitue encore un atout économique bienvenu pour le village. Et ce n’est pas fini, car Baixas possède sur son territoire une centrale électrique et, grâce à l’écoparc, six éoliennes mues par la tramontane, particulièrement généreuse sur ces confins de Corbières qui lui offrent un couloir jusqu’à la mer toute proche. Si proche en effet que la moindre ascension se solde par une vue ourlée de bleu ! Faut-il le dire, tant de talent ne passe pas inaperçu ! Petit à petit, Baixas devient une attraction touristique pour tous ceux qui aiment le calme, la randonnée, l’authenticité de l’accueil des quelques maisons d’hôtes, les promenades vigneronnes et la rudesse apparente du monde paysan. L’écoparc offre toute une série de lectures passionnantes de ce territoire si particulier sous forme de visites guidées qui attirent des centaines de visiteurs. Sur le rond-point qui ouvre la ville au sud, un panneau résume bien les choses. à l’appelation « País Català », il a été préféré « Terra Catalana » comme pour ancrer dans l’éternité le geste auguste des vignerons et l’élan du clocher. Baixas ne s’en laisse pas conter.

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