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Casa Coll i Regàs, joyau absolu de Mataró

01 Déc Casa Coll i Regàs, joyau absolu de Mataró

Mataró, patrie du grand architecte catalan Josep Puig i Cadafalch, possède un beau patrimoine moderniste. La Casa Coll i Regàs reste toutefois le joyau absolu de la ville, et l’un des éléments les plus intéressants de ce style en Catalogne.

Joaquim Coll i Regàs est un industriel local qui avait fait fortune dans le textile, notamment grâce à des exportations lucratives vers Cuba et Porto-Rico. Dès 1897, il dépose un permis de construire relatif à la démolition de deux maisons mitoyennes qu’il avait acquises un an plus tôt, pour construire une grande demeure. Les plans joints à la demande sont signés d’un certain Antoni Gallissà, architecte local. C’est pourtant au crayon inspiré de Puig i Cadafalch, alors architecte municipal, que l’on doit la conception de cette résidence superbe, située dans le premier cercle d’expansion de la ville en dehors des remparts originels, la seule de style moderniste dans ce centre-ville étroit. Il en réclame d’ailleurs la paternité dans la monographie « L’œuvre de Puig i Cadafalch » publiée en 1904 à Barcelone. Le projet comporte quatre niveaux, à savoir une partie semi-enterrée de type entresol, un rez-de-chaussée destiné à la réception, un premier étage et enfin, un vaste espace sous les toits. La surface au sol s’inscrit dans un rectangle de 11 m sur 25 m, ce qui reste somme toute assez modeste puisque limité par l’environnement urbain. On note la présence d’une grande tour et même d’une échauguette d’inspiration médiévale. Le tout est classé aux Monuments Historiques par la Generalitat de Catalunya, sous l’appellation « bien d’intérêt national ». D’ailleurs, la dimension historique est immanente. La globalité de l’édifice baigne dans une sorte de néogothique fantasmé qui fait référence à l’époque la plus glorieuse de l’histoire catalane et de la maison de Barcelone. De même, l’architecture oscille entre la volonté de suggérer une demeure seigneuriale et celle de démontrer une certaine modernité, en s’inscrivant toutefois dans une longue tradition bourgeoise. Une synthèse improbable que l’architecte réussit pleinement et qui annonce d’autres succès du même type comme les caves Codorníu, dans le Penedès. 

Un décor merveilleux

La tribune sublime la façade, avec ses colonnades graciles couronnées de sculptures (signées Eusebi Arnau, le sculpteur moderniste le plus connu) et une sorte de fronton à redans. Ce dernier est couvert d’un jeu de somptueuses mosaïques qui évoquent les Flandres avec leurs bleus proches de celui de Delft et encadré par deux fenêtres trilobées majestueuses. Plus haut, deux clochetons allègent l’ensemble en soulignant sa verticalité. Au rez-de-chaussée, les fenêtres se parent de fabuleuses volutes en fer forgé ouvragé. Cossue, colorée, inattendue, la façade donne une idée de l’étonnement qu’ont dû ressentir les contemporains devant cet ovni qui se détache de l’alignement classique des demeures environnantes ! On note, bien sûr, le soin extrême apporté à l’ornementation qui s’imbrique en jouant sur des effets de relief en trompe-l’œil et qui rappelle, comme une sorte de tatouage biographique, la trajectoire du maître des lieux. La sculpture monumentale qui domine la façade est une fileuse, allusion au métier de Joaquim Coll i Regàs. Elle est représentée sous des traits sereins qui ne sont pas sans évoquer le maniérisme, effet souligné par les grandes vagues des très longs cheveux ondulés qui encadrent la silhouette drapée dans une longue robe médiévale et s’enroulent autour du rouet. La jeune femme est assise sur un trône de pierre et protégée par une sorte de dais minéral qui lui donne une allure presque princière, entre madone et sirène. On entre dans la maison par un incroyable hall, très haut, aux plafonds à décrochements carrés, illuminé d’une magnifique verrière, des murs littéralement tapissés de céramiques et un escalier monumental. Il trace une véritable trouée de lumière vers la porte de la terrasse, de l’autre côté. Un énorme candélabre, conçu comme un bouquet de lampes en verre, taillées en diamant, encerclant un premier ensemble de fausses bougies, veille sur la pièce. Il donne l’illusion d’un vestibule d’opéra. Les sgraffites rappellent la dentelle que la maison Coll i Regàs exporte vers les lointains marchés de la Caraïbe et dans les pièces à vivre, prolongent comme une ombre portée les détails des plafonds à caisson, dans la plus pure tradition baroque. Les fleurs représentées un peu partout dans un camaïeu pastel de rose, de vert et de jaune pâle sont des fleurs de coton, sans doute celui que le propriétaire importe pour fabriquer ses étoffes et ses broderies. On les retrouve dans les magnifiques vitraux qui colorent toute transparence aux côtés des verres biseautés et des volumes dépolis, mais aussi dans les frises de céramique qui remplacent les lambris et même autour du très joli lave-mains. De même une observation attentive révèle des rouages de rouet, joliment stylisés, qui dessinent des motifs floraux d’un autre type et contribuent au récit de la naissance de cette maison unique. Une belle véranda cachée derrière de grandes baies vitrées aux motifs d’arabesques laisse deviner l’arrondi d’une terrasse et la promesse d’un jardin. Au sol, le ciment joue une partition vertigineuse aux géométries complexes et au chromatisme assumé. Pas un centimètre carré qui ne soit peuplé, pensé, habité de formes et de couleurs.

Pourtant, la terrasse, avec ses tomettes à peine décorées de frises géométriques, vient rompre le rythme. Sa forme arrondie est soulignée par une rambarde magnifique, un chef d’œuvre de fer forgé extrêmement travaillé en une luxuriance de détails floraux et de torsades qui embrasse cet espace extérieur suspendu sur le tout petit jardin méditerranéen. L’ancien jardin, beaucoup plus grand, a maintenant disparu. L’avancée de la terrasse repose sur des arches triangulaires à redans qui ouvrent sur l’entresol qui embrasse toute la maison pour lui offrir une circulation alternative, notamment destinée à l’origine au passage des domestiques en provenance de la cuisine. à l’intérieur, le cabinet en bois sombre dont les pieds sont décorés de tortues est une pièce vraiment remarquable. Une visite en tous points inoubliable et une vision très personnelle du modernisme à savourer comme un voyage.

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