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CASTELNOU, PRENDRE RACINE

03 Juin CASTELNOU, PRENDRE RACINE

C’est sans conteste l’un des plus beaux villages de France et de Catalogne réunies, l’alliance d’un cadre naturel grandiose et du génie humain. Embarquer pour un voyage dans Castelnou, c’est plonger ses racines au fond des siècles.

L’aventure commence tout près de Thuir, au cœur des Aspres, sur une petite route sinueuse qui se faufile entre rochers et chênes verts. Au détour d’un virage, la beauté du village de Castelnou saisit le visiteur. Accroché à sa colline, surmonté de son château altier qu’une sorte de garde prétorienne de cyprès et de murailles sépare des premières maisons, il apparaît, entouré de remparts encore hérissés de huit tours et ouverts de quatre portes qui marquent les points cardinaux et soulignent sa fonction de guet. La silhouette trapue du château est énorme et quelque peu disproportionnée par rapport aux maisons qu’il surplombe. La première mention de cette forteresse remonte à 990. Elle est alors étroitement liée à la naissance de la nation catalane, puisqu’elle dépend des Comtes de Besalú, établis dans la Garrotxa, à plus de 100 km de là, eux-mêmes vassaux des puissants Comtes-Rois de Barcelone. Ces derniers, conscients de la difficulté d’administrer des domaines aussi distants, décident d’ériger Castelnou en vicomté dés 1018. Elle recouvre alors les actuels territoires du Vallespir et des Aspres. Le fief devient ainsi le représentant du pouvoir comtal dans tout le sud-ouest du comté du Roussillon. La lignée des vicomtes de Castelnou va se poursuivre en ligne directe jusqu’en 1286, année d’affrontement entre le jeune et éphémère Royaume de Majorque dont la capitale terrestre est Perpignan, et la Catalogne continentale, le Principat. Le château va désormais changer de mains au gré des événements, des sièges et des assauts, passant du roi de Majorque au dernier des Castelnou, à la famille de Fenouillet puis à celle de Llupia avant de tomber en complète déshérence au XVIIe et XVIIIe siècles. Les coups de butoir conjugués du Traité des Pyrénées, qui voit l’exil de nombreux aristocrates catalans au sud de la nouvelle frontière, puis de la Révolution Française, peu propice à la conservation des symboles de royauté vont lui être fatals. Au XIXe, après avoir servi de carrière de pierres à plusieurs générations de villageois, il est enfin restauré ou plutôt reconstruit, tant il était dégradé et réduit à l’état de ruine.

Plus qu’un village

Autant dire qu’il ne reste pratiquement rien du château d’origine, sinon sans doute les énormes remparts de 3 m d’épaisseur dont tout indique qu’ils ont été érigés au Xe siècle, et la forme pentagonale du plan. Les créneaux qui ornent les murailles obéissent, eux, à un imaginaire médiéval moderne. On sait par ailleurs par les photographies d’archives que des fenêtres d’agrément ont été rajoutées à la façade si bien qu’en réalité, le bâtiment actuel est une bâtisse du XIXe dont l’architecture a été remaniée. Et pourtant… La magie agit comme si quelques chose d’immatériel, hérité des premiers vicomtes, gardait les pierres et leur conservait leur sens profond. Indéniablement le château de Castelnou est une forteresse catalane ! Pourtant ce n’est pas lui qui a valu au village son label de « plus beau village de France », mais bien l’ensemble qu’il forme avec le village. Le château est en effet indissociable des maisons qu’il domine et dont il dicte l’ordonnancement, tant l’ancien castrum est demeuré pratiquement intact depuis le Moyen-âge. Il s’organise autour de deux simples rues parallèles, la rue d’en haut et la rue du milieu et le nombre de ses maisons n’a pas augmenté avec les siècles, contraint par le relief. Ce castrum conserve la plupart de ses fortifications, dont la magnifique porte de Millas, flanquée de deux tours en excellent état, qui remonte au XIVe siècle. Elle est devenue presque aussi emblématique que le château lui-même. Cette belle porte de pierre mène à une petite place ombragée par un platane mûrier où se trouvait autrefois la minuscule école communale. Des ruelles en escalier, perpendiculaires aux deux rues principales, souvent ornées de rampes, grimpent en marches serrées à l’assaut des pentes raides. Les maisons possèdent souvent des escaliers extérieurs qui donnent sur de petites terrasses couvertes. De minuscules jardins se sont enchâssés dans le moindre interstice et laissent passer feuillages de palmiers et fleurs exubérantes qui répondent à ceux des cours intérieures.

Un paradis pour les chats qui lézardent sur la moindre murette. Des fours à pain sont encore encastrés dans les murs et dessinent à l’extérieur une sorte de renflement en forme d’essaim d’abeilles : il n’y avait pas à Castelnou de four collectif, aussi les familles qui en possédaient un cuisaient-elles le pain pour les voisins. Sous les corniches des toits, les briques rouges sont ornées de motifs réalisés à la chaux : triangles, galons, arabesques, soleils… Il s’agit de signes destinés à protéger les habitants du mauvais sort, des maladies et des sorcières. Le fer forgé est partout, ornemental et beau, décliné en grilles ouvragées où des propriétaires inspirés ont accroché des pots de fleurs colorés. Parfois, la roche des murs accueille aussi une étrange pierre trouée destinée à attacher les chevaux et les mulets, qui raconte l’histoire révolue d’une population toute entière tournée vers les travaux des champs. Plus étrange encore, on trouve aussi de nombreux projectiles de catapultes, de grosses sphères de pierre, restes improbables de sièges vieux de plusieurs siècles, preuves supplémentaires du lien indissoluble entre le village et le château. Une trentaine d’artisans d’art et de plasticiens a élu domicile dans des échoppes improvisées, et offre aux visiteurs un vaste échantillon de savoir-faire ancestraux et de création contemporaine. Pourtant, Castelnou n’a rien des villages dévolus au tourisme, il ne s’est pas dénaturé : ici pas d’étals hasardeux, pas de boutiques partout, pas d’enseignes agressives. Juste une douceur de vivre qui donne envie de se reposer sur une des petites terrasses ou de s’installer sur celle du château pour contempler le panorama à l’infini, les pieds bien enracinés dans l’histoire millénaire des lieux.

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