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Des vallées en bouquet

31 Mai Des vallées en bouquet

Pour saisir la grandeur des paysages du Pallars, il est essentiel de les observer à l’échelle humaine. C’est le rôle des villages, humblement nichés dans les replis des montagnes, où les clochers des églises s’élèvent comme des échelles tendues vers le ciel azuré.

Pas moins de cent-trente-cinq villages se partagent l’espace, mais ils ne totalisent que sept mille habitants ! Chacun porte en lui un caractère montagnard authentique et une touche catalane dans l’économie des moyens, utilisant noblement le bois et la pierre. Il n’est pas rare de retrouver ces villages en miniature dans les pessebres (crèches de Noël) patiemment élaborées, avec leurs charmants ponts romans en dos-d’âne qui surplombent les flots rapides des rivières. Ils se répartissent en cinq vallées, dont la Noguera Pallaresa et ses affluents constituent la colonne vertébrale et les nervures, à savoir la Vall d’Àssua, la Vall de Cardós, la Vall Ferrera, la Vall de Siarb et la Vall d’Àneu. Toutes ont un caractère très différencié, dû à leurs orientations particulières et à leurs altitudes contrastées, mais aussi à leur degré d’éloignement des grands axes et de la petite capitale, Sort. La Vall d’Àssua s’étend vers le nord-ouest au-dessus de Rialp en direction de Llessui, autrefois station de ski, aujourd’hui merveilleux village de montagne de carte postale. Elle se divise en deux espaces très différents, d’un côté un pays d’élevage sans arbres, fait de prairies ornées de rares cabanes de berger en pierres sèches, peuplées de grands troupeaux de vaches, de juments et de brebis, de l’autre des forêts profondes, des hameaux et des mas isolés qui sont un véritable conservatoire des arts et métiers d’antan, où le temps semble s’être arrêté. La Vall de Cardós, au sud-est, remonte la rivière Noguera de Cardós jusqu’au plus grand lac glaciaire des Pyrénées, le lac de Certascan, qui s’étend à 2236 mètres d’altitude. La vallée, assez encaissée, compte les municipalités d’Esterri, Lladorre, Ribera de Cardós et Tavascan, toutes frappées au sceau du caractère montagnard avec des fenêtres assez étroites, des murs de grandes pierres et parfois de beaux balcons de bois. Un peu partout, dans les prairies grasses et pentues, des chevaux s’enivrent de vent. La Vall Ferrera, plus au nord, dévolue à l’extraction du fer, comme son nom l’indique, s’étend autour du village d’Alins et regorge de petits hameaux et de fermes situés au cœur du Parc de l’Alt Pirineu. Le paysage est dominé par le sommet de la Pica d’Estats et ses 3143 m, tutoyé par le Verdaguer à 3131 m et le Sollo à 3072 m. Cette majesté des sommets souligne l’humilité naturelle des petits villages, ramenant les œuvres humaines à leurs justes proportions. La Vall Ferrera est longée par la Vall de Siarb avec ses belles terres rouges qui ensanglantent les pierres des villages. Les forêts de sapins, les vestiges des mines de fer, sont d’authentiques joyaux qui parlent à la fois d’éternité et de temps révolus. Au cœur de la comarca, la Vall d’Àneu est un territoire de passage, puisqu’elle est vertébrée par la route qui mène au col de Bonaigua et au-delà, au Val d’Aran. Esterri, sa capitale, est la deuxième ville du Pallars Sobirà, dopée par la présence de la Noguera Pallaresa et de dizaines de lacs glaciaires prisés des touristes. Dans cet univers d’ombre et de fraîcheur, la forêt de València d’Àneu est la plus grande de la péninsule ibérique. Des miradors judicieusement placés et dispersés offrent des vues panoramiques sur ces pays perchés, farouchement arc-boutés à leur montagne tutélaire, sauvés de l’immobilité par le chemin mouvant des eaux.

Les forces de l’esprit

Face aux forces mystérieuses de la montagne et à la puissance indomptée des eaux, les hommes ont développé une spiritualité particulière, teintée de fierté identitaire et de résilience. Cet esprit se manifeste pleinement dans l’art roman qui trouve ici un terrain d’expression idéal, oscillant entre grandeur et modestie de manière particulièrement émouvante. Des dizaines d’églises et de monastères jalonnent ce chapelet de pierre et de foi. Près de la Guingueta d’Àneu, à Escalarre, se dresse l’église de Santa Maria d’Àneu, où furent découvertes des peintures murales attribuées au Maître de Pedret. Ces œuvres, représentant des anges aux ailes ornées d’yeux ouverts, comptent parmi les plus belles réalisations de Catalogne et sont, à ce titre, exposées au Musée National d’Art de Catalogne (MNAC) à Barcelone. La magnifique statue de la vierge et le bas-relief des fonts baptismaux représentant les apôtres, sont en tous points remarquables. Le monastère bénédictin de Sant Pere de Burgal à Escaló, juste à côté, possède de très belles fresques et notamment un Christ Pantocrator qui n’est pas sans rappeler les chefs-d’œuvre de la Vall de Boí, et une représentation de la comtesse Lucie de Pallars. L’ensemble, créé au XIe siècle, est une pure merveille. Plus au sud, au cœur de la vallée du Cardós, l’église Santa Maria de Ribera de Cardós illustre les deux âges d’or de l’architecture sacrée catalane avec sa façade, son absidiole et son clocher du XIIe, nettement romans, et son remaniement baroque au XVIIIe siècle. à proximité s’élève une tour médiévale qui domine le village. Santa Maria de Ginestarre éblouit le visiteur par ses fresques magnifiques dont les originaux se trouvent, une fois de plus au MNAC, ainsi que par ses retables baroques et sa vierge sculptée. Parmi les beautés incontournables, il ne faut pas manquer Sant Joan d’Isil, qui rayonne d’une noblesse discrète.

Ouvert sur le monde

Cependant, notre coup de cœur va indiscutablement à Santa Eulalia d’Alendo, isolée et minuscule, nichée au cœur d’un paysage immense, ressemblant à une ferme modeste avec son toit d’ardoises irrégulières et son clocher-mur placé étrangement au-dessus du chœur, comme s’il avait été ajouté par inadvertance. La distinction ultime revient toutefois à Santa Maria de Gerri de la Sal, située au bord de la Noguera Pallaresa, fondée au IXe siècle sous l’autorité de l’évêque de la Seu d’Urgell. Il ne reste de l’ensemble monumental initial que l’église abbatiale, d’une largeur de dix-neuf mètres, dont la coupole révèle encore des fresques remarquables. Le clocher majestueux à trois étages en escalier, le portail en triptyque, le préau sur chapiteaux du XIIe, tout concourt à donner une dimension exceptionnelle à ce lieu de culte.  La liste est longue de ces lieux de foi ! Une autre particularité locale est la présence de nombreuses villes closes : c’est le cas de Sort et d’Esterri, mais plus manifestement encore de Gerri, Surp, Altron, Enviny, Escaló, Rialb… C’est un véritable modèle urbain répliqué d’une vallée à l’autre qui vient compléter le réseau des châteaux forts comme celui de Gilareny au-dessus de Llavorsi, celui de Lladorre, celui de Llort qui domine le lac de Torrassa ou encore celui de Rialp qui ferme la Vall d’Àssua. Les tours de guet ne sont pas en reste, on en trouve de toutes formes et tailles, éparpillées de part et d’autre de chaque vallée, hérissant les piémonts. Le Pallars-Sobirà est né du Moyen-âge et ne s’est vraiment réinventé qu’au XXe siècle quand la construction des barrages hydroélectriques lui ont ouvert les portes de la modernité et de l’émancipation au monde. Il puise dans les forces de la nature ses meilleurs atouts, la neige, les eaux, la beauté de ses montagnes et surtout, son identité à la fois sauvage et douce.

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