VOTRE MAGAZINE N° 129 EST EN KIOSQUE
VOTRE MAGAZINE N° 129 EST EN KIOSQUE

Des villages en archipel

30 Mar Des villages en archipel

Dans la mer des collines qui plissent la plaine et font un véritable castell de montagnes pour pousser et soutenir l’élan vital du Canigó, des toits rouges étoilent le vert, formant parfois des constellations qui marquent la présence des hameaux, des mas et des villages. Car de toute éternité, les Aspres sont une terre d’hommes.

A tout seigneur tout honneur, impossible de parler des villages des Aspres sans évoquer leur capitale, Thuir, une des plus belles villes de Catalogne-nord, à l’origine un gros bourg paysan entouré de vignes et de jardins maraichers, auquel le détournement de la Tech a offert, sur des terres relativement sèche, un canal qui est une véritable rivière. La cellera, la zone fortifiée autour de l’église au beau fronton baroque, embrassée par les rues du premier faubourg, s’ouvre par un portail monumental. Les rues pavées de la vieille ville ont gardé le plan médiéval, trouées de placettes, ornées d’un mobilier urbain particulièrement beau et peuplées de petites boutiques de bouche ou de vêtements. La place du marché, énorme, ornée d’une sublime fontaine de marbre rose confirme cette vocation paysanne et commerçante. à l’entrée du village une jolie chapelle revêtue de cayrou annonce la beauté d’une jolie demeure de maître qui trône dans un parc magnifique aux pièces d’eau paisibles et aux espèces rares, la villa Palauda. Elle appartenait à la famille Violet, la grande famille locale.

Une jolie boucle

Thuir c’est en effet aussi la ville où fut inventé le Byrrh, l’apéritif à la mode des années 30, 40 et 50, qui inspira tant d’affichistes et orna les façades de tous les villages de France. Les caves, monumentales, dont la verrière est signée Gustave Eiffel, sont incontournables pour les visiteurs. Capitale culturelle, Thuir s’est doté d’un très joli théâtre à la programmation ciselée, et d’un très grand festival résolument interdisciplinaire, « Pellicu-Live », dédié au cinéma, à la gastronomie et à la musique, parrainé par l’artiste François-Xavier Demaison. La beauté des avenues plantées de platanes, les nombreuses terrasses de cafés et de restaurants, créent toute l’année une animation particulière qui évoque davantage une ville qu’un village. Et bien sûr tous les villages des Aspres convergent vers Thuir qui a tout d’une grande ! Côté plaine, de part et d’autre de la route nationale qui relie Perpignan au Boulou, l’heure est à la viticulture avec Saint Jean-Lasseille et sa jolie église romane et Banyuls dels Aspres, doté, outre sa belle église d’une adorable et minuscule chapelle sainte Anne. On devine que le vin rythme encore pour beaucoup la vie tranquille de ces coteaux avec vue imprenable sur les Albères. De l’autre côté du mas Sabole, autour de Thuir, deux merveilles vous attendent : le tout petit village de Sainte Colombe de la Commanderie avec ses maisons impeccablement restaurées et son habitat huppé. Malgré son nom il n’a jamais accueilli de commanderie templière, celle-ci se trouvant au Mas Deu, près de Passa. Place au village fortifié de Castelnou, un des plus beaux villages de France, surmonté d’un grand château serti d’un parc méditerranéen aux grands pins échevelés. C’est un paradis pour les peintres et artisans qui y tiennent échoppe, bien abrités dans les petites maisons de pierre aux terrasses ensoleillées. Derrière, sur la butte suivante, se dresse un autre petit village, particulièrement charmant, Camélas, devenu une coqueluche des aquarellistes tant il a su rester authentique. Un passage par la richesse viticole de Trouillas et sa cave flambant neuve, une montée vers les toits ocres de Fourques et, en suivant, près de Montauriol faites une halte à la jolie chapelle de Saint Amand, réservée aux amoureux désireux de voir durer leur flamme, nichée dans un joli vallon. Devant la fontaine, réservez une pensée affectueuse à Jordi Barre, qui a tant chanté cette terre. Les Aspres foisonnent de lieux enchantés à découvrir en se laissant porter sur les chemins que tant et tant de pas ont patinés, vigatanes et sabots mêlés. En montant vers Céret, les mas ponctuent le chemin vers des villages ocres et blancs qui sont autant de tournesols fascinés, qui oscillent entre Canigou et appel du large.

Des villages de charme

Oms, Calmeilles et Llauro respirent le calme et l’envie de dormir au soleil comme les geckos qui se faufilent entre les pierres des maisons aux ouvertures étroites. La route descend en grands lacets, éclairée par les stries blanches des chênes lièges, et laisse deviner, en contrebas, la relative fraîcheur du Vallespir et le règne du Tech. Au loin, une ligne bleu turquoise ourle l’ocre de la plaine et dessine une perpendiculaire au velours gracieux des Albères. Il est temps de reprendre le circuit magique en prenant la direction de Taillet, après avoir traversé le pont qui enjambe le Tech à Reynès et traversé son affluent, la rivière Ample. Les bords du cours d’eau flamboient de verts tendres comme pour démentir la réputation d’aridité des Aspres. Une oasis de fraîcheur qui s’offre même quelques prairies grasses, illuminées au printemps de boutons d’or et de coquelicots. Pêcheurs et randonneurs se croisent autour des eaux connues pour leurs truites furtives et savoureuses. à Taillet, Notre Dame del Roure vous attend avec son très beau retable et son très joli clocher-mur, blottis dans les chênes-lièges. Plus haut, là où une autre route dévale la colline en direction de Palalda et du Tech, à la borne Michelin désormais disparue et remplacée par un simple cercle au centre du carrefour, commence la montée vers le Canigó et le Conflent, à travers une mer changeante de chênes verts. Ici, les truffes affleurent souvent dans les sous-bois et une myriade de petits chemins mène à des mas perdus, toujours construits près d’une source rare et fraîche. C’est une route étrange, enfermée dans la haie d’honneur que lui font les arbres, dont chaque virage est traversé d’un ravin. Quelques cabanes creusées à flanc de montagne racontent l’histoire des cantonniers qui ont veillé à conserver la voie carrossable au fil des décennies malgré les hordes de sangliers et les orages fréquents. La présence de barrières électrifiées indique que l’activité traditionnelle des éleveurs se poursuit, même si les chevaux ont parfois remplacé vaches et moutons. Les villages de Taulis et Saint Marsal cassent le sortilège de cet enfermement émeraude. Ce sont de véritables balcons. L’horizon s’ouvre, les flancs de la montagne se creusent pour accueillir zones de pacage et cultures vivrières, les églises se dressent sur leurs voûtes pour mieux voir le paysage grandiose des collines qui semblent se croiser à l’infini comme une longue tresse au vert profond. Le printemps explose dans le vert tendre des châtaigniers. à l’architecture sacrée romane, magnifique, répondent des dolmens cachés sous les feuillages depuis plus de trois millénaires. Pourtant, le sel de cette terre rude est dans la montagne d’où le fer précieux du Canigó était encore extrait il n’y a pas si longtemps. Les mines de la Pinouse portent la trace de cette activité millénaire. On comprend, à cette croisée des chemins entre sommet du Canigó, Conflent et Vallespir, à quel point les Aspres ont été, du temps de la marche à pied et des mulets, un haut lieu de passage. Après une halte à l’église de la Trinité et sa sublime majestat, il est temps de redescendre le long de la très belle vallée du Boulès, non sans un détour parfumé vers le jardin botanique qui entoure le joli prieuré de Serrabonne, suspendu dans le vert, voué au silence des arbres. Malgré ce qui pourrait apparaître comme un isolement, les villages des Aspres ne sont pas vides, bien au contraire. Les résidences secondaires n’ont pas pris le pas sur la présence têtue de sédentaires amoureux de ces paysages rêches et beaux. Presque tous les villages traversés ont un café et parfois un restaurant, preuve que le passage est constant.  Bientôt la plaine s’annonce qui déroule ses vergers de pêchers et accueille l’arrivant par la cascade mousseuse de son canal, comme pour venger la montagne écrasée de soleil de son aridité. Vous voilà ailleurs, avec l’étrange impression d’être parti très loin. Les Aspres sont un voyage.

Pas de commentaire

Poster un commentaire