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La Catalogne née des abbayes

04 Nov La Catalogne née des abbayes

Impossible d’évoquer l’histoire de la Catalogne, née au cœur du Moyen-Age, sans donner à l’art roman toute la place qu’il mérite et qu’illustrent de manière grandiose une dizaine d’abbayes, qui comptent parmi les plus belles du monde.
La Catalogne est littéralement née de ses abbayes dont la fondation et le rayonnement ont largement accompagné la Reconquête, menée par les premiers comtés francs, puis par le jeune état catalan contre les princes musulmans et leurs puissants califats qui occupaient alors la plus grande partie du pays. Ces joyaux romans, souvent magnifiés par des remaniements à l’époque gothique, constituent un patrimoine unique, mais aussi un sceau identitaire puissant et indélébile.

Abbaye3Les quatre abbayes de l’Abat Oliba

La Catalogne de Guifred le Velu, celle d’avant la reconquête, s’est principalement incarnée dans l’étroite imbrication du pouvoir temporel des seigneurs de guerre et du pouvoir spirituel des communautés qui, très vite, devinrent le creuset culturel, linguistique, éthique et diplomatique de l’état. Les cinq premières abbayes que nous allons visiter ont toutes eu pour prieur l’Abbé Oliba (voir encadré) et certaines ont été voulues par le père de la Catalogne, le comte Guifred le Velu. Elles dessinent une armature territoriale qui est la colonne vertébrale de la Catalogne.

Montserrat l’indomptable

A tout seigneur tout honneur, Montserrat est beaucoup plus qu’une abbaye. Montserrat est un symbole. Suspendue entre ciel et terre au milieu de montagnes infranchissables, Montserrat est la Catalogne éternelle, inexpugnable, résistante, invincible. La Moreneta, la vierge romane à la peau noire, règne sans partage dans le cœur des Catalans. En 1025, l’abbé Oliba fonde le monastère. Depuis, les remaniements se sont succédés, de la nouvelle église romane construite au XIIe à la basilique renaissante du XVIe, en passant par les trois places qui gravissent la colline. Pourtant l’ensemble reste sublime, empreint d’une ferveur que les montagnes semblent inspirer : salle capitulaire, cloître néo-roman, chemin de l’Ave Maria, on a le sentiment d’être au cœur même du mystère. Seul bémol, c’est un mystère très partagé. Un conseil, n’oubliez pas de prendre le téléphérique : époustouflant !

Abbaye2Saint Martin du Canigou : un nid d’aigle

Fondée en l‘an 1000 par Guifred II, comte de Cerdagne, et arrière-petit-fils de l’abbé Oliba, la vertigineuse abbaye de Saint Martin du Canigou est construite selon le principe des nids d’aigles, dans le creux d’un piton rocheux vertigineux, à flanc de Canigou. Elle se conquiert de haute lutte après une bonne heure de marche. Pendant huit siècles elle fut habitée par des bénédictins avant d’être confisquée à la Révolution. Il a fallu l’alliance de l’immense poète Jacint Verdaguer et d’un évêque exceptionnel, amoureux de la Catalogne et de son patrimoine, Jules Carsalade du Pont, pour que soit lancé un appel au peuple catalan visant à restaurer l’abbaye. Nous sommes en 1902. Lorsque le regretté prélat quitte ce monde, les travaux sont très avancés et dès 1952 la vie monastique reprend. 30 000 touristes se pressent tout au long de l’année pour admirer ce joyau de l’art roman, son clocher lombard, la beauté hiératique des bâtiments qui toisent le vide. Une splendeur.

Saint Michel de Cuixà : l’épure romane

Avec l’abbaye de Saint Michel de Cuixà, on entre dans la plus mystérieuse des abbayes catalanes, la plus sobre aussi sans doute. En 1008, l’abbé Oliba devient le prieur de l’abbaye qui jouit des largesses de la maison de Cerdagne Conflent et du privilège d’immunité accordé par le Pape. Oliba s’avère être un très grand bâtisseur, il érige les deux chapelles superposées du Pessebre et de la Trinité, rajoute les trois absides et le clocher. L’ensemble respire l’épure et le recueillement. A la Révolution, après huit siècles de paisible vie bénédictine, l’abbaye devient bien national, et ses chapiteaux sont  hélas vendus pour intégrer le Cloisters’ Museum. Des cisterciens de Fontfroide y reviennent en 1919. Aujourd’hui ce sont des bénédictins de Montserrat qui habitent les lieux et reçoivent les prestigieuses journées romanes et le grand festival Pau Casals. Un vrai symbole d’union catalane.

Abbaye4Sant Joan de les Abadesses : magistrale restauration

Au cœur des Pyrénées, entre Camprodon et Ripoll s’élève le magnifique couvent de Saint Joan de les Abadesses, un authentique joyau roman. Au départ, Guifred le Velu, le père de la Catalogne, décide de créer un couvent pour le donner à sa Fille Emma qui en fut la première abbesse et qu’il dota richement. Mais en 1017, Bernat Tallaferro obtient du pape la dissolution de la communauté féminine au prétexte qu’elle aurait mené une vie dissolue, donne l’édifice à l’évêché de Besalú et y installe des moines. Malheureusement, le tremblement de terre de 1926 a détruit le clocher mais a épargné le retable de la vierge blanche, un chef d’œuvre gothique de 1343 et surtout le Davallament (la descente de croix)  daté de 1250. Le petit cloître gothique est un véritable bijou. Il faut dire que l’ensemble a été restauré par le grand architecte Puig i Cadafalch.

Abbaye Santa Maria de Ripoll : lumière médiévale

Cette fois Guifred le Velu, encore lui, a voulu offrir un monastère à son fils Radulf. De cette sublime abbaye on retiendra surtout le cloître à deux étages, les tombes de Guifred et de Ramon Berenguer, la Vierge Marie en mosaïque de l’autel et surtout, le portail roman, historié, qui est une véritable bible de pierre offerte au regard et à la ferveur des croyants, une œuvre sans équivalent qui laisse sans voix. Des milliers de visiteurs font le déplacement pour ce chef d’œuvre de la sculpture médiévale. Les proportions de l’église, à la fois impressionnantes et intimes invitent à la méditation et à la sérénité. L’abbaye était en outre au moyen âge l’un des scriptoriums les plus importants d’Europe, avec un atelier de copie, de traduction, d’enluminure, et des théologiens éminents.

Les abbayes royales

Après le temps de l’émergence, la Catalogne triomphante, conquérante, hégémonique, se dote de panthéons pour ses comtes-rois. Selon les dynasties et le sexe, les membres de la famille régnante sont enterrés dans l’une des trois grandes abbayes royales : Poblet, Santes Creux ou Vallbona de les Monges. Royales certes, mais aussi cisterciennes.

Poblet : sublime

En 1150, Ramon Berenguer fait appel aux cisterciens de l’abbaye de Fontfroide pour fonder Poblet sur les terres nouvellement conquises sur les Sarrasins. Alphonse le Chaste choisit de s’y faire enterrer, suivi par Alphonse le Sage, Jaume Ier (qui y termina ses jours sous la bure) et Pere le Cérémonieux. Martin l’Humain, le dernier roi catalan (1405) y fit construire un palais royal devenu aujourd’hui un musée. Avec son église à trois nefs, impressionnante par son volume et sa nudité, son sublime cloître des XIIe et XIIIe siècles, son réfectoire et son temple-lavabo, sa salle capitulaire arachnéenne et son scriptorium, Poblet est un de ces lieux qui nous habitent longtemps après qu’on les a quittés. Hostellerie, chapelle des pèlerins, boutiques, paysage magnifique ajoutent à la plénitude. Poblet est indépassable et inscrit au patrimoine de l’humanité.

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