04 Nov La Catalogne : Une grande Nation
Catalogne, royaume d’Aragon, relations avec la Castille, expansion méditerranéenne, institutions, création du Royaume de Majorque, expulsion calamiteuse des juifs
pour tout comprendre à notre histoire, voici quelques repères simples.
Si les historiens s’accordent à dater la naissance de la Catalogne à partir de l’avènement de Guifred le Velu, à la fin du VIIe siècle avec le regroupement progressif des comtés pyrénéens, ne perdons pas de vue qu’elle se fait sur un substrat précis de peuples, de cultures, de coutumes qui lui confèrent son caractère unique.
Depuis la nuit des temps
La région est peuplée dès la préhistoire, et de façon très précoce : Tautavel et Banyoles recèlent ainsi des habitats humains qui remontent à plus de 450 000 ans, les grottes de Fontmajor (Espluga de Francoli) , de Toll (Morà d’Ebre) ou de Montserrat sont des exemples sublimes de l’art rupestre des peuples de chasseurs cueilleurs, comblés par les richesses d’un milieu très boisé.
Le grand peuple ibère
Il faut attendre l’âge de bronze et l’arrivée des peuples indo-européens (-1800 à -700 avant Jésus-Christ) pour voir apparaître les premiers exemples d’habitat proto-urbain. Les Ibères et Celtibères deviennent alors la première grande civilisation du territoire catalan. Ils créent des cités prospères et ouvertes, dont Ullastret présente un exemple édifiant et quasiment intact.
Les peuples de la mer
La nouveauté vient de la mer. Avec les Phéniciens et les Grecs s’installe une logique de comptoirs dont la Catalogne s’inspirera plus tard lors de sa grande expansion maritime. La présence de ces villes côtières est purement commerciale et consiste à établir des échanges avec les peuples autochtones : Ruscino (Perpignan), Rhodes (Roses), Empúries, Illibéris (Elne) voient ainsi le jour. Il n’en reste pas moins que la brillante culture hellène envahit par capillarité la totalité du territoire.
Rome : la notion d’état
Lorsque les Romains arrivent en -218, ils se greffent donc sur un pays fortement hellénisé auquel ils imposent leur colonisation : création de voies terrestres (via Domitia au nord, Via Augusta au sud), création de villes, imposition de structures de gouvernance centralisées… Tarraco (Tarragone) devient la ville la plus importante de la péninsule. Elle constitue d’ailleurs aujourd’hui la plus forte concentration de monuments romains d’Europe après Rome.
Wisigoths et Arabes
Cette paisible province romaine implose avec l’arrivée des Wisigoths, puis l’occupation arabe, dès 712. Un repère : Sulayman Ben Yaqgzan Ibn el Arabi est en 777 le wali (gouverneur) de Gérone et de Barcelone. C’est pourtant sur cette incroyable mosaïque que va s’élever l’une des plus vieilles nations d’Europe, portée dès sa naissance par un objectif fort et transcendant : la reconquête chrétienne menée à partir des abbayes.
Naissance d’une nation
Sous l’empire carolingien, la Catalogne est en effet morcelée en minuscules comtés (Ausona, Barcelona, Girona, Besalú, Pallars, Urgell, Roussillon). Charlemagne prend Barcelone en 801, une aristocratie franque s’installe mais on ne sait pas si le Conflent, le Bergueda et Peralada sont alors des pagus ou des comtés. Le salut viendra de la France : en 878 à l’assemblée de Troyes, Louis le Bègue investit Guifred le Velu des comtés de Barcelona et de Girona et rend héréditaire sa charge de comte. Les conditions de l’émancipation sont réunies et dès 985, la Catalogne se libère de la tutelle franque lorsque Borrell II, comte de Barcelone, est assiégé par El Mansour sans que les barons du nord ne daignent lui porter secours.
Principat de Catalogne et Aragon
Par alliance, les comtes de Barcelone vont devenir rois d’Aragon. Pour autant et c’est essentiel à la compréhension de l’histoire, chaque pays garde ses lois, sa langue et ses coutumes. En effet, Pétronille, fille de Ramire d’Aragon, épouse le comte Bérenguer IV de Barcelone. Leur Fils, Alphonse II d’Aragon et donc, Alphonse 1er de Catalogne, devient le premier comte-roi. En 1162 il proclame le Principat de Catalunya, uni par des lois, des parlements (corts) et organisé en vigueries. Barcelona, Girona, Lleida, Manresa, Vic, Tarragona, Perpignan et Tortosa sont ses principales villes.
Fin des ambitions ultramontaines
Les comtes rois ont encore pour vassaux des seigneurs occitans : les comtes de Toulouse, de Béarn, du Comminges. Lorsque l’hérésie cathare donne prétexte aux frustres seigneurs du nord pour envahir le riche Languedoc, Pierre II d’Aragon (et III de Catalogne) vole à leur secours. C’est le désastre de la bataille de Muret (1213), parachevé par le Traité de Corbeil (1258) qui fixe les frontières du Fenouillèdes. Désormais, l’histoire se jouera au sud.
Le temps des conquêtes
Déjà, la rivalité avec la Castille fait rage : on se partage âprement les provinces nouvellement reconquises sur les musulmans. Ainsi, Jacques 1er le Conquérant réussit-il à prendre les Baléares (1229) et Valence (1232) mais il doit laisser Murcia à l’ennemi héréditaire. Son fils a épousé Constance de Hohenstaufen qui apporte la Sicile, occupée par les Français, dans sa corbeille de mariée. La révolte de 1282, plus connue sous le nom de « Vêpres Siciliennes » va lui permettre de prendre l’île. La Catalogne est alors une immense puissance maritime, la première de Méditerranée et le serait sans doute restée longtemps sans l’idée saugrenue de Jacques 1er de diviser le royaume entre ses deux fils, précipitant ainsi, à terme, son déclin. Pendant 70 ans la Catalogne du Principat enrichie de ses terres siciliennes et sardes coexiste avec l’éphémère royaume de Majorque (voir encadré).
Une nation paisible et prospère
Malgré tout, le royaume est florissant : Aragonais et Catalans vivent en paix et l’on assiste à l’émergence d’une riche classe moyenne, dopée par les échanges maritimes et la production agricole et industrielle (tissus, briques, farine), lorsque survient la grande peste avec sa cohorte de morts et de pénuries. Comble de malheur, notre roi, Martin l’Humain, meurt sans héritier. Sous l’impulsion du clan aragonais, c’est son neveu Ferdinand et non ses descendants d’Urgell que les pairs choisissent pour lui succéder, lors du compromis de Casp de sinistre mémoire. Nous sommes en 1410. La tragédie est en marche.
Jeu de dupes
Sur le papier, l’union avec la Castille est personnelle, indépendante et souveraine. Les états gardent leur totale indépendance juridique et financière. Il est créé un conseil d’Aragon, un conseil de Valence et un conseil de Catalogne. Signe funeste, c’est désormais un conseil central d’Italie qui gère les affaires de Naples, de Sardaigne et de Sicile. Les trois parlements (corts) d’Aragon, de Valence et de Catalogne reconnaissent le roi et continuent d’établir la fiscalité avec leurs trois « bras » : militaire (noblesse), ecclésiastique, et des universités (villes). L’arrivée des dynasties castillanes, appuyées sur un clergé que l’Inquisition fanatise, va tout changer.
Hors circuit
Excentrés, la Catalogne et l’Aragon vont passer à côté de la manne induite par les grandes découvertes. Le « siglo de oro » ne sera pas pour eux et le déclin semble inéluctable. La révolte l’est tout autant. Excédés par la présence de soudards castillans pendant toute la Guerre de Trente ans, les Catalans se soulèvent et une fois de plus, font porter leurs espoirs sur la France. En vain : après plus de 20 ans de guerre, en 1659, la Catalogne perd les comtés de Roussillon et de Cerdagne. Plus tard, lors de la guerre de succession d’Espagne, elle prend logiquement le parti des Habsbourg, réputés plus fédéralistes, contre celui des Bourbon. Mal lui en prend.
Colonisée mais renaissante
En 1714 tout est consommé. Barcelone tombe sous les canons du Bourbon, Philippe V d’Espagne. La plaie est si vive que ce jour de mort et de défaite, le 11 septembre, devient le symbole même de la Catalogne. Deux ans plus tard, Philippe V décide de proclamer les décrets de Nueva Planta qui mettent fin à tous les privilèges liés aux particularismes et à l’autonomie relative de la Catalogne et de l’Aragon. Le XVIIe siècle apparaît comme une longue glaciation, désastreusement clôturée par l’annexion à la France napoléonienne de 1812 à 1814. Pourtant, la renaissance, économique, culturelle, linguistique est là. Arrimée depuis toujours à l’Europe du nord, la Catalogne forme ses élites en France et en Angleterre. Elle devient le fleuron industriel des Espagnes et logiquement, le fer de lance culturel de toute la péninsule.
Toujours brimée
Au début du XXe siècle, Prat de la Riba proclame la Mancomunitat de Catalunya qui débouche sur la restauration de 1914 à 1925 de la Generalitat de Catalunya. Mais la Castille veille et Miguel Primo de la Rivera supprime cette entité avant que Francesc Macià, en 1931 ne proclame une heure avant Madrid, la République catalane. Hélas, les Cortes de Madrid ne valident pas : pour ces forces de gauche, hors de question de devoir traiter en suivant la question des Basques, perçus comme catholiques et conservateurs. C’est dans cette menace contre l’intégrité de l’état espagnol, en tout cas de l’état fantasmé, qu’il faut voir l’avènement du franquisme.
La nuit franquiste
Après quatre ans d’une guerre terrible qui voit la Catalogne et le Pays Basque adopter massivement le camp républicain, Franco est au pouvoir. Les élites s’exilent, en Amérique du Sud ou en France. La langue catalane est interdite, puis lentement tolérée dans un usage domestique. A l’extérieur, les forces politiques catalanes se regroupent pour permettre la restauration de la démocratie dans la péninsule. A l’intérieur la Nova Cançó sape les fondements du franquisme. La soif d’oxygène est trop grande : à la mort du caudillo, le franquisme implose.
Le renouveau
Enfin, en 1978; la Generalitat de Catalunya et le Parlement catalan sont rétablis. Dès 1980 Jordi Pujol devient président de Catalogne. Il sera réélu 5 fois, laissera sa place à Pasqual Maragall, puis à José Montilla et enfin, à Artur Mas à qui revient la charge redoutable de mener le pays à l’indépendance. Le statut d’autonomie, raboté en 2006, ne suffit plus à contenir l’énergie d’un peuple debout qui entend sauver sa langue, sa culture et son être.
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