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La maison natale de Dalí, là où tout commence

28 Mar La maison natale de Dalí, là où tout commence

La ville de Figueres n’en finit pas d’explorer la figure complexe de son fils le plus illustre, Salvador Dalí. L’expérience immersive qu’elle propose, véritable escape game dans l’âme du peintre, consiste justement à montrer ce que l’on ne voit jamais dans les musées à savoir la genèse du génie.

A l’opposé, exactement, du Théâtre Musée, qui est une organisation magistrale des apparences voule par le Maître, sa maison natale est une sorte d’ovni muséologique. Disons-le d’emblée, ici pas de tableaux, d’objets ou de sculptures à admirer sous leur forme physique et concrète comme dans n’importe quel musée. Il s’agit bien davantage d’une évocation documentée de l’enfance du peintre dans sa banalité apparente, puis de l’ensemble de son parcours, proposé en grandes touches de lumière et d’images. Il s’agit aussi d’une sorte de convocation de l’esprit du créateur hors du commun et d’une volonté d’emprunter d’un pas ferme le labyrinthe de sa pensée. Le voyage, à la fois initiatique et envoûtant, se fait dans la maison familiale, due au crayon du moderniste figuerenc Josep Azemar, un immeuble cossu de la rue Monturiol à deux pas des rambles. Une rue prédestinée puisque y sont nés, outre le Divin, l’écrivain Fages de Climent et l’inventeur du sous-marin, Narcis Monturiol. La famille en occupait le premier étage, le rez-de-chaussée étant consacré à l’étude notariale du père de Dalí. Il se compose d’une cuisine, d’une salle à manger, d’une salle de bains (élément bourgeois caractéristique à cette époque-là) et de la chambre de Dalí enfant. Une pièce peuplée de petits bureaux à encriers rappelle l’expérience scolaire. La visite se fait par groupes de huit car les espaces restent ceux d’une demeure privée et les projections requièrent un recul minimal. Elle est accompagnée par un audioguide génial, composé d’un entrelacs entre la voix du narrateur qui incarne Dalí et une voix féminine qui fait office de conteur. Ce dialogue est une réussite absolue, émouvante, qui nous met en communication directe avec le peintre, dans une intimité totalement inédite. La musique, composée pour l’occasion, ponctue cette brillante partition avec une légèreté extrêmement précise. Des hologrammes, des fenêtres qui parlent, des kaléidoscopes géants et des centaines de photographies et d’images de toutes les époques, souvent de multiples visages de Dalí, font naître une chorégraphie de projections numériques vertigineuses qui propulse le spectateur dans la tête et le cœur du petit Salvador, puis de l’icône médiatique internationale de l’âge mûr. On découvre ainsi, le cœur un peu déchiré, que ce petit garçon, le seul de la maison, appelé fièrement « el noi » par toutes les femmes de son entourage à savoir sa mère, sa tante et sa nourrice, est en fait une sorte de substitut de son frère, mort juste avant sa naissance, et dont il porte – acte symbolique s’il en est – le prénom. « Toutes mes excentricités, toutes mes incohérences sont la constante tragique de ma vie. Je veux prouver que je ne suis pas le frère mort, mais le vivant ». Ce traumatisme fondateur est une des clés de sa personnalité à la fois sombre et flamboyante. On apprend aussi que son père, autoritaire, n’acceptera jamais les dérives de ce fils, ennemi de la norme et des conventions, et ce, au point de le déshériter. Au passage, on sait aussi qu’il a entretenu avec sa sœur une relation très étroite, jusqu’à en faire son modèle, avant l’irruption incandescente de Gala dans sa vie, et que ces deux relations fusionnelles s’inscrivent dans le manque radical de sa mère disparue alors qu’il n’avait que seize ans. D’une pièce à l’autre le visiteur a rendez-vous avec le petit Dalí qui dessinait avec la fourchette dans les tissus cossus des nappes damassées, avec celui qui écoutait ses maîtres d’école et manifestait déjà une passion pour la science et pour les paysages. Une véritable salle d’école est d’ailleurs reconstituée et célèbre l‘esprit de curiosité du jeune catalan.

International, iconique, mais surtout, empordanais

Ce véritable escape game, pensé comme une épopée dans la pensée dalinienne raconte également le voyage à Madrid, son éviction de l’école des Beaux-Arts, sa rencontre décisive avec Garcia Lorca et Buñuel et partant, ses premières expériences surréalistes. On rit franchement à l’anecdote de Dalí arrivant en scaphandrier à un colloque sur le surréalisme à Londres et manquant de mourir étouffé faute de savoir l’enlever ! Les deuxième et troisième étages sont consacrés à la figure ambiguë de Gala, à la fois sombre et solaire, aux rapports de Dalí avec les sciences et la psychanalyse, et à sa fréquentation d’autres artistes, notamment à Paris, à Londres et aux états-Unis comme les Frères Marx, Hitchcock, Walt Disney ou encore les surréalistes français. On y découvre de l’intérieur, la naissance du dandy aux attributs de latin lover, l’invention de sa célébrissime moustache en 1927, ses rapports avec le monde de la publicité, qui tous révèlent une incroyable modernité. Mais surtout, Dalí y présente ses paysages, qui deviennent tableaux au gré de projections magistrales. C’est là qu’apparaît le sens profond de ce fabuleux espace qui ne ressemble à rien de connu : car sous le portrait de Dalí, en surimpression discrète mais prégnante, s’impose une fresque du Figueres du début du XXe siècle, illustré par les murs, les sols et les meubles de la maison, par les costumes des protagonistes et leur mentalité.

Et plus important encore voilà que s’ébauche un portrait chinois de l’Empordà dont Cadaqués – et singulièrement la baie fermée de Port Lligat – reste l’épicentre identitaire de Dalí, profondément enraciné dans sa terre et sa langue. La question est posée, et la maison natale de Dalí y répond. Son œuvre aurait-elle été la même s’il était né ailleurs ? Autant se demander si elle avait été la même, peinte par un autre, tant la démonstration est faite que Dalí procède de ces murs, de cette rue, de l’ambiance de Figueres et des paysages qui mènent à la mer. La maison natale éclaire son tropisme vers le nord, matérialisé par la gare de Perpignan, son retour difficile en plein franquisme, son amour des sunlights. Elle donne au spectateur une clé de compréhension des jargons et systèmes de pensée daliniens qui apparaissent clairement comme une défense, une lecture dissidente du monde née des malheurs de l’enfance. Le fait de visiter la maison  en petits groupes crée en outre une intimité dans l’intimité. Une chambre noire se construit et révèle un Dalí inconnu qui se donne – malgré lui ? – à aimer.

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