28 Sep Le Campo Santo, le soleil du jardin de pierre
C’est un grand carré de pierre paré d’arcades en ogive, tantôt vides, tantôt sculptées en bas-relief pour orner des enfeus monumentaux, qui flanque la masse énorme de la belle cathédrale gothique Saint Jean Baptiste. On l’appelle le Campo Santo.
Le Campo Santo est sans conteste le monument le plus original de Perpignan. Si original en effet qu’il n’en existe que peu de ce type dans toute l’Europe ! Il s’agit d’un cloître funéraire, à la fois cimetière et cloître, qui jouxte la cathédrale gothique Saint Jean-Baptiste. Chose curieuse, ce champ Saint, Camp Sant en catalan, a gardé son nom italien de Campo Santo, un tantinet exotique. Il ajoute ainsi encore à sa part de mystère. Outre la cathédrale Saint Jean Baptiste, qui n’était qu’église paroissiale jusqu’en 1601, puisque le siège historique de l’évêché se trouvait à Elne, il est flanqué de deux chapelles, celle du Dévot-Christ et la chapelle « La funéraria » qui semblent lui faire escorte. Trois temples pour un cloître, donc. Une rareté ! Le Campo Santo a vu le jour entre 1300 et 1330 à l’initiative de l’Abbé Guillem Jorda et se compose de quatre galeries de 54 mètres chacune, des proportions assez colossales pour un cloître, à l’époque. Trois des côtés abritent des enfeus taillés dans le marbre blanc des carrières de Baixas. à l’origine, des colonnes à chapiteaux soutenaient une sorte de toit de bois qui couvrait chacune des galeries, comme dans beaucoup de cloîtres catalans. Ici, les plus riches familles de l’aristocratie ou de la bourgeoisie perpignanaises, un distinguo plutôt ténu en Roussillon, possédaient des tombeaux décorés d’ogives gothiques sur lesquels figuraient leurs armes ou leur devise. En 1321, on décida de creuser le jardin du centre du cloître pour y loger un ossuaire gigantesque, dernière demeure des plus pauvres auxquels la foi chrétienne exigeait de donner une sépulture décente. Plus prosaïquement il s’agissait de la fosse commune des miséreux. Cet espace doublement sacré fut pourtant cédé à l’armée lors de la révolution française pour servir d’écuries ainsi que de dépôt de marchandises et de munitions ce qui impliquait une sécularisation de fait et une violation légale des sépultures multiples dont on imagine sans peine l’état sous les sabots des chevaux.
L’heure de la restauration
En 1825, ni les gens du peuple, ni les autorités n’avaient de conscience patrimoniale. La galerie occidentale fut donc détruite dans le but de construire un grand séminaire diocésain qui eut à peine le temps d’accueillir quelques novices avant d’abriter, après la loi de séparation de l’église et de l’état de 1905, les services et appartements de la gendarmerie nationale ! Là encore, aucun respect particulier pour l’aspect cimetière des lieux, visiblement passé dans l’oubli. Il faut attendre la fin du XXe siècle pour que puisse enfin commencer la restauration de cet ensemble unique. En 1991, la commission supérieure des Monuments Historiques, dûment interpellée, décide finalement de ne pas restaurer les galeries perdues, ce qui aurait nécessité des décennies de recherches et de travaux. On opte donc pour une évocation stylisée qui fonctionne très bien. On pénètre dans un quadrilatère magique dont la dissymétrie accentue le charme, rythmé par les enfeus verticaux ourlés de pierre blanche et lisse et, sur les dalles du sol, par de nombreux tombeaux, notamment ecclésiastiques, dont les pierres éclairent les dalles de leur marbre gris et blanc. Une des galeries sert de mur d’enceinte et de séparation avec la rue, l’autre est surplombée par les étages supérieurs des maisons anciennes de la vieille rue de la Révolution Française souvent nanties de belles terrasses, une troisième épouse le mur de la chapelle du Dévot Christ et de la salle capitulaire de la cathédrale à laquelle elle est reliée par une porte. La dernière, enfin, flanque la très jolie chapelle de la Funeraria, elle aussi désacralisée après la Révolution Française.
Un lieu de promenade et de méditation
En 1999, on y a inauguré les magnifiques vitraux de l’artiste américaine Shirley Jaffé exécutés avec la collaboration du maître verrier Jean Mauret, une beauté symétrique et colorée, totalement abstraite, qui est aussi, sur ce lieu vénérable, une signature actuelle et dynamique. Elle a longtemps été réservée aux seules cérémonies funéraires. Le terre-plein intérieur est délimité par une petite murette d’une cinquantaine de centimètres de haut qui rythme joliment l’ensemble et laisse à découvert une esplanade carrée impressionnante. Il est rare que les galeries au dallage de brique soient vides. à tout heure, les murettes servent de fauteuil à des étudiants qui y travaillent leurs examens, à des amoureux en quête de discrétion, à des touristes émerveillés par la cohésion entre les maisons voisines et l’appareil de cayrou de la cathédrale dont les toitures dessinent comme un plissé ocre autour des clochers, une sorte de chapiteau de pierre magistral qui semble veiller sur les âmes emmurées ou ensevelies du Campo Santo. La chapelle du Dévot Christ, dont la porte jouxte le portail du Campo Santo, remonte au XVIe siècle. Elle a été bâtie dans le but unique d’accueillir une sublime sculpture probablement rhénane, datée de 1307, un Christ en croix d’un réalisme troublant avec ses côtes saillantes, son ventre creusé et son visage marqué. Le bois, intact, est patiné et lustré par le temps et a revêtu au fil des siècles, un aspect proche de la chair. La statue est de sortie tous les vendredis saints pour la procession de la Sanch dont il est en quelque sorte la pièce-maîtresse. Il revêt donc lui aussi un aspect funéraire dans son rapport à la mort et à la foi et vient conforter la cohésion de cet ensemble patrimonial hors pair. Où que l’on regarde, le Campo Santo est un écrin de foi fervent et silencieux qui exorcise et accompagne la mort : un vrai jardin de pierre et de tombes où s’enchevêtrent les mémoires, les classes sociales, et où l’on peut lire l’histoire si particulière de ce pays où honorables bourgeois et aristocrates se confondent et où les soubresauts de l’histoire de France ont laissé leur marque de destructions et de reconstructions. Un lieu habité et unique à découvrir.
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