VOTRE MAGAZINE N° 132 EST EN KIOSQUE
VOTRE MAGAZINE N° 132 EST EN KIOSQUE

Le liège catalan : vive le Roi-Liège !

31 Mai Le liège catalan : vive le Roi-Liège !

Son écorce est mâle et femelle à la fois. Démasclé, il se pare d’une splendide robe de subérine. Le bal peut commencer pour le chêne-liège ! Incontournable végétal des forêts nord et sud catalanes, il est apprécié pour son écorce unique qui peut être levée sans nuire à l’arbre lui-même. Cette méthode de récolte durable a permis au liège de devenir l’un des matériaux les plus respectueux de l’environnement, disponibles. Chaque pièce de liège est le résultat d’un savoir-faire méticuleux et d’un profond respect pour la nature. L’art du liège requiert un minutieux rituel ancestral, souvent encore artisanal. Un acte de communion entre l’homme et la nature.

J’ai l’honneur de vous annoncer que je règne en majesté sur la Catalogne ! Ainsi en est-il de ma fierté hautement végétale… Pour autant, j’éprouve une certaine tristesse à vous avouer que je n’ai pas toujours mmété vénéré comme il se devrait… Alors que je suis immanquable. Et probablement en train de devenir indispensable à notre avenir à tous. Je suis certain que vous entendrez de plus en plus en plus parler de moi… Moi, le chêne-liège !  Trapu, on me trouve en maître-tapissier du nord au sud de la terre catalane. Mon feuillage est peu abondant et mon couvert léger. Les Grecs m’appelaient Quercus Suber, l’arbre-écorce. Autrement appelé corcier ou surier en français, on me désigne sous le nom d’alzina surera, de suro ou de siure en catalan. Foncièrement méditerranéen, je suis. Ma présence est attestée depuis plus de 10 millions d’années.

Symbole végétal de l’identité méditerranéenne

En Catalogne sud, je suis essentiellement concentré sur l’arrière-pays de la Costa Brava. Je pousse en effet sur un étage de végétation allant du niveau de la mer jusqu’à 600 à 700 mètres d’altitude. Je recouvre ainsi une grande partie du Baix Empordà, comprenez les alentours de Girona et plus particulièrement le massif des Gavarres. Sur le flanc des Albères, du côté de la Jonquera et Maçanet de Cabrenys, on ne pourra pas non plus me manquer. Même si ma taille atteint d’ordinaire 8 à 10 m et ne grimpe que très rarement au-delà de 15 mètres. La zone boisée des Guilleries,  le Montseny et le Corredor del Montnègre font également partie des 124 000 ha sud-catalans de suberaies, autrement dit les forêts de chênes-lièges. Dans les Pyrenées-Orientales, le « Quercus Suber » est plus timide et couvre 7000 hectares sur le massif des Albères, le Bas-Vallespir et le flan sud des Aspres. D’ailleurs, le saviez-vous ? à Reynès près de Céret, un chêne-liège est en lice pour entrer dans le Guiness Book des records 2024 ! Officiellement mesuré en 2023, cet arbre dit « remarquable » affiche une hauteur de 21 m et une circonférence du tronc de 5,60 m. Des mensurations qui surpassent totalement la concurrence, et notamment un chêne-liège du Portugal, jusqu’ici considéré comme le plus gros du monde. Le « tricentenaire » est une véritable force de la nature, planté à flanc de montagne. Là, le « six tonnes » du Mas Santol apparaît dans toute sa splendeur : massif, tortueux et fier. Dans les Pyrénées-Orientales comme dans la région de Girona, moi le « siure », je suis Roi. Observé, contemplé, protégé. à Vivès, depuis plus de 30 ans, l’Institut Méditerranéen du Liège œuvre à ma défense, à ma promotion et ma préservation. Même combat à Palafrugell depuis 1991, où la fondation privée ICSuro (Institut Catalan du Liège) s’est donnée pour mission de me valoriser contre vents et marées ! Au-delà de ces deux sentinelles à caractère scientifique, deux musées m’ont également sanctuarisé : les Musées du Liège de Maureillas et de Palafrugell. Le premier, modestement abrité dans une ancienne cave catalane, propose une collection unique d’outils servant au levage du liège ainsi qu’à la fabrication de bouchons. Son musée-frère du sud, fondé en 1972 a, quant à lui, pris place chez Can Mario, un superbe réservoir de style moderniste de l’une des plus importantes usines de liège de l’époque.

« Déshabillé » tous les 15 ans entre mi-juin et mi-août

Il est temps de vous confier pourquoi, moi le chêne-liège, je suis si noble et si singulier. Au-delà du fait que je peux vivre parfois jusqu’à 300 ans, ma vocation principale n’est pas de fournir du bois comme tous les autres arbres, mais du liège ! Et c’est là que je me transforme en un véritable poème vivant… Bien plus qu’un simple matériau, je répond à un véritable rituel, une danse millénaire, un moment de lumière : la levée du liège. La toute première levée ôte à l’arbre son « liège mâle ». Un liège naturel, gris, crevassé, dépourvu d’élasticité et impropre à la bouchonnerie. Après cette opération dite de « démasclage », le liège met 15 ans à se reproduire pour  devenir « liège femelle », un liège moins crevassé, plus homogène, destiné à des utilisations plus nobles. Sachez que je ne me détache pas des bras de l’arbre n’importe quand, ni pour n’importe qui… Ils sont bien peu à savoir m’éplucher dans les règles de l’art. à la vue de ma robe de subérine, l’âme de ces artisans spécialisés appelés leveurs ou écorceurs s’éveille. Munis d’une « picasse » qu’ils manient avec une incroyable dextérité, ils viennent me  déshabiller… Plus qu’un métier, un savoir-faire rare auquel ils s’adonnent toujours entre la mi-juin et la mi-aôut. Impossible d’improviser. Ces forestiers ont un rapport quasi charnel avec l’arbre qu’ils doivent mettre à nu. Pour Franck Sellon, leveur de liège en Catalogne Nord : « toute la difficulté est de décoller le liège, sans abîmer la fine couche qui se trouve entre le bois et le liège. Si celle-ci est blessée, le liège ne repoussera plus à cet endroit. Quand je vois du bois nu et meurtri, je souffre… ». La première levée de liège ne peut se faire que lorsque j’atteins entre 35 et 40 ans. Mes écorceurs savent parfaitement qu’en prenant de l’âge, ma peau devient meilleure. Ils m’observent, me scrutent, m’écoutent. Ainsi je ne suis détaché de l’arbre que lorsqu’une couleur rouge jaunâtre strie le fond des crevasses. Avec leurs hachettes au tranchant effilé et recourbé, les leveurs me questionnent. Ils commencent par pratiquer une première entaille circulaire qui délimite les plaques d’écorce à ôter.

« La levée du liège , c’est une intervention chirurgicale sans anesthésie » 

D’un geste sec et précis, ils incisent verticalement le long des crevasses puis introduisent l’extrémité mince du manche entre l’écorce et l’arbre. Des coups retenus avec le dos de l’instrument, sur les bords de la plaque fendue, aident à la décoller définitivement. Dans chaque geste, un respect infini. Le leveur maîtrise parfaitement la partition. « Lorsque la picasse bouge, l’arbre répond dans un son unique, un craquement que l’on entend de loin… » explique Eloi Madrià i Roura, leveur de Cassà de la Selva durant 40 ans. Retraité depuis peu, Eloi a usé 60 haches dont l’une a même été exposée au MNAC de Barcelone. « La picasse est l’outil le plus important pour le leveur. Elle ne doit pas avoir de défaut car ce travail-là s’apparente à une petite intervention chirurgicale sans anesthésie. Il faut être très précis et savoir interpréter l’information que donne l’arbre. Si l’écorce ne part pas facilement, c’est au leveur de se retirer et de partir… Moi, je ne parle pas aux arbres. Je les écoute. La base de ce métier c’est le respect de l’arbre. C’est lui, l’acteur principal ». Aujourd’hui, Eloi note une pénurie de leveurs de liège. Compliqué de trouver des héritiers de ce savoir-faire… Après l’écorçage, me voilà offert au débardage, au transport de mes planches. Encore tout un art. Mes planches doivent être évacuées le plus vite possible afin d’éviter les vols et une trop grande déperdition d’humidité. Saviez-vous que je maigris à vue d’œil ? Je peux perdre 20 % de mon poids en trois mois. Aussi, mes premières planches doivent d’abord être posées à même le sol, croûte contre terre. Les suivantes sont empilées ventre tourné vers le sol. Je reste six mois stocké en plein air. Histoire de m’affiner et de me cintrer en m’enlevant tanins et sels minéraux. Je passe ensuite au bouillage en chaudière ou à la vapeur. Stérilisé, prêt au mûrissage pour gagner en souplesse et élasticité. C’est probablement là que je deviens encore plus magique ! Car parmi mes usages, le bouchage est le plus répandu. Déjà dans l’Antiquité, des rondelles de liège obturaient les amphores. La légende dit même que l’exploitation du liège se serait développée vers 1650 sur une initiative du moine bénédiction Dom Pérignon ! Il aurait utilisé un bouchon en liège pour la mise en bouteille du plus fameux des vins mousseux : le Champagne !

Respect de l’environnement

Depuis, je suis ce liège-trésor qui permet au vin d’arriver sur vos tables. Producteur d’ivresse, gardien des arômes, je suis ! D’une balle de 100 kg de liège, le bouchonnier tirera 30 kg de bouchons soit environ 7000 pièces. Pour faire un bouchon, il faut 3,5 centimètres d’épaisseur, ce qui peut prendre entre 12 et 15 ans. Cette croissance très lente assure mon exceptionnelle qualité. Grâce à ces bouchons, j’ai donné et je donne encore du travail à quelques bouchonneries en Catalogne Nord : Diam, ex-Sabaté à Céret mais également Trescases, Travet ou encore Abel au Boulou. Moi le liège, j’ai des propriétés aussi bluffantes que méconnues. Levez le nez du bouchon et visez les étoiles ! Vous ne le savez peut-être pas, mais certaines des pièces de la fusée Ariane sont en liège ! Ici, je ne flotte pas, je vole. Polyvalent, écologique, biodégradable. Ces avantages font de moi un choix attrayant pour une gamme d’applications, allant des revêtements de sol et des isolants de construction aux produits d’emballage et aux accessoires de mode. Isolant thermique et acoustique, léger et flexible, renouvelable et durable. Dans un monde où la durabilité et le respect de l’environnement sont aussi importants que nécessaires, je me distingue plus que jamais comme exemple remarquable de ce que la nature peut encore offrir.

Pas de commentaire

Poster un commentaire