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Le train des lacs, l’émotion à fleur de rail !

30 Mai Le train des lacs, l’émotion à fleur de rail !

Voyager en train c’est accepter d’ouvrir une parenthèse, se laisser conduire au fil d’un itinéraire qui canalise la découverte et lui impose un tempo. Entre Lleida et les Pyrénées, le Train des Lacs, vestige d’une autre époque, vous invite à une flânerie heureuse au cœur de paysages sublimes.

Tout commence avec la semaine sainte, qui marque le début de la saison du Train des Lacs qui ne se terminera qu’en octobre. Bien sûr vous pouvez opter pour le train classique avec sa locomotive diesel qui réduit le trajet de… 10 minutes, mais la locomotive à vapeur, la Garrafeta, vous promet bien plus : un voyage dans le temps. À l’origine, la ligne ferroviaire des lacs était révolutionnaire, ambitionnant de rejoindre Saint-Girons, au cœur de l’Ariège en territoire français, facilitant ainsi l’accès à Toulouse, la grande capitale occitane. Bien que construite jusqu’à Sort (Pallars Sobirà), la ligne n’a jamais atteint sa destination finale, stoppée par la Guerre d’Espagne et la Seconde Guerre mondiale, qui ont durablement figé la frontière.  Cette audacieuse tentative de traverser les montagnes, malgré une géographie tourmentée, ne manquera pas de vous faire ressentir l’appel silencieux et magnétique des Pyrénées lorsque vous monterez à bord. Dans ce qui a longtemps été le Far West de la Catalogne, un territoire autrefois dédié uniquement à la production de sel et à une modeste économie pastorale, ce qui vous attend est une véritable initiation : des paysages singuliers vont s’imprimer en vous pour ne plus jamais vous quitter. Le Train des Lacs est avant tout une fabuleuse fabrique de nostalgie et à bord, les photographes ne s’y trompent pas : ils sont nombreux à guetter la plus belle vue, l’instantané le plus inattendu. L’aventure est à portée de wagon pendant deux heures, le long de 90 kilomètres, rythmés par 30 ponts, 40 tunnels et 17 gares. Un chef-d’œuvre d’ingénierie civile qui témoigne de l’énorme confiance des hommes du début du XXe siècle dans les avancées techniques et de leur certitude tranquille d’abolir les distances. En soi, cet ouvrage humain mérite à lui seul le détour. Il a fallu dynamiter, creuser, assécher des marécages avant de pouvoir emprunter cette voie ferrée conquise de haute lutte. Vous allez donc parcourir trois comarques en suivant d’abord le cours du Sègre, plutôt lent et majestueux, puis celui, plus impétueux et imprévisible, de la Noguera Pallaresa, jusqu’au pied des plus hauts sommets des Pyrénées.

Des trains pas comme les autres

Ce sont en effet ces rivières qui vertèbrent le parcours du Train des Lacs et le placent sous le signe et la couleur des eaux. Ce sont elles aussi dont l’élan a été stoppé par des barrage hydroélectriques, grâce auxquels nous devons à la fois ce chapelet de lacs tranquilles et le désenclavement de ces hautes terres, isolées pendant des siècles. Asseyez-vous confortablement dans des wagons d’époque qui conservent encore des vitres que l’on peut baisser pour mieux happer la fraîcheur des montagnes, des cendriers encastrés dans les parois, des sièges en cuir, tout un monde de plaisirs disparus et qui pourtant revit, juste le temps du voyage. Romain Gary le savait bien : « le train, c’est le temps retrouvé ». Tout commence donc par une plongée tranquille, presque droite, dans les vergers luxuriants du Segrià, de petites exploitations paysannes prospères que le fleuve arrose. Laissez-vous bercer par le balancement cadencé du train le long du Sègre majestueux. Nous sommes encore dans le Pla de Lleida, à portée de regard de la Seu Vella, et les seules montagnes qui se profilent sont des falaises ocres aux formes arrondies, étrangement féminines, mouchetées par des bouquets de chênes verts intrépides, insensibles au vertige.

En voiture !

Ce paysage paisible change peu à peu en arrivant à Balaguer, la belle capitale de la Noguera. Imaginez qu’ici, le Sègre attire encore des orpailleurs qui, sas en main, guettent dans la transparence de ses eaux le miracle d’une paillette d’or : ils ont même leur centre d’interprétation ! La ville, hiératique et belle, a su conserver une physionomie mosaïque où se côtoient les mémoires juive, maure, templière et chrétienne d’une colline à l’autre, entre une église gothique au clocher vertigineux et un château médiéval d’origine sarrasine, entre les traces du call ancien et un cimetière musulman. C’est le seul arrêt du convoi car certains voyageurs en ont fait leur point de départ. Le train progresse ensuite à travers les paysages secs et minéraux du Montsec, il se hisse à travers une grande chaine calcaire large de plus de quarante kilomètres, trouée de gorges spectaculaires où s’engouffrent des eaux aux teintes turquoises si intenses qu’elles évoquent le bleu inimitable des céramiques de Samarcande. Le Montsec, véritable désert minéral, trop aride et inhospitalier pour être peuplé, possède le ciel le plus pur de tout le pays et abrite même un observatoire renommé. Quelques kilomètres à peine, le temps d’apercevoir, entre les arbres, le lac de Sant Llorenç de Montgai et vous voilà longeant le lac artificiel de Camarasa où se mêlent les eaux du Sègre et celles de la Noguera Pallaresa : petites plages, grands regroupements de roseaux dansants, langues de terre conquérante avançant en étrave sur les eaux s’opposent à la blancheur crayeuse des montagnes pour dessiner un petit paradis. Après les gorges de Terradets, que des tunnels profonds volent au regard des passagers, le lac homonyme apparaît comme une première petite mer. Les collines qui l’entourent regorgent de merveilles comme la route sinueuse qui mène aux gorges de Mont-rebei, de l’autre côté du Montsec, la silhouette dressée du château de Mur, un des plus beaux de la région, édifié au XIe siècle, ou encore les incroyables vignes d’altitude de Talarn où mûrit le Riesling local. En face, sur l’autre rive, Isona expose des traces de vie qui remontent au paléolithique et au temps des dinosaures, tandis que les cerfs folâtrent dans les forêts de Boumort rendues célèbres par l’insolite puissance de leur brame.  Encore quelques ponts et vous voilà à Tremp la capitale de la comarca. Vignes, forêts profondes, plages douces, le Pallars Jussà est une terre plurielle et riante. Une autre étendue d’eau se dessine et c’est la plus grande de Catalogne, le Lac de Sant Antoni.

Paysages et Histoires

Vous aurez envie de sauter du train pour rejoindre les baigneurs, les fous de pédalo et les kayakistes qui, au cœur des montagnes, vivent un été aquatique et solaire digne des plus belles plages de Méditerranée. Au bout du lac, voici la Poble de Segur partiellement ceinte de remparts et patrie des radeliers, ces bûcherons intrépides qui transformaient leur charge de bois en embarcation de fortune pour l’amener jusqu’aux chantiers navals de Tortosa près du Delta de l’Ebre. à l’entrée du village, à la hauteur du hameau de Claverol, se trouve le Musée des Radeliers, une véritable curiosité. Ce joli village, situé au confluent de la Noguera et du Flamisell, avec ses belles portes fortifiées, les maisons nobles de la rue principale, son moulin à huile, son quartier médiéval et surtout un fabuleux joyau moderniste, la Casa Mauri, est le terminus du train des lacs. Tout le monde descend ! Plus loin, plus haut, derrière la Vall Fosca que creuse le joli Flamisell se dresse la formidable barrière des Pyrénées. Après votre halte, forcément agréable, dans le village, le voyage de retour vous surprendra en vous offrant des perspectives différentes et des paysages renouvelés. Vous serez sans doute plus attentifs à la silhouette des clochers, au dénivelé impressionnant, à la douceur de la descente vers la plaine. Sachez que vous pouvez partir de Lleida à 10 h 30 et être de retour à 19 h 30.  Certains de ces trajets sont théâtralisés : les comédiens font des bulles de savon pour les enfants, offrent des mouchoirs blancs aux passagers au cas où la beauté des paysages les bouleverserait au point de leur faire verser quelques larmes… Un bar vous permettra de lutter contre la soif et la faim tout au long du trajet. Une chose est certaine, ce voyage au cœur des montagnes sera pour vous un émerveillement esthétique. Gageons qu’il sera aussi un révélateur de nostalgie et un puissant générateur d’émotions. Inoubliable !

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