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Le Vermouth catalan, l’Apéro-folie !

31 Jan Le Vermouth catalan, l’Apéro-folie !

Plus qu’un savoir-faire, plus qu’un art de vivre, je suis une nouvelle mode, quasi érigée au rang de « nouvelle religion ». Je suis le vermouth, ce divin breuvage issu des plus anciennes liturgies d’Espagne qui aujourd’hui fait de plus en plus d’adeptes en Catalogne. Je suis Miro, Padró, Yzaguirre, Dos Déus and co… Je suis surtout cet apéritif aromatisé à la saveur unique. Marqué à vie au vin blanc, baigné du secret des plantes aromatiques, des épices et des agrumes, je reviens en grâce. Me goûter relève de l’acte sacré. 

Plus que jamais, l’heure du vermouth a sonné. Mon Dieu, je n’en reviens toujours pas… Ils sont fous de moi ! à l’heure de l’apéro, particulièrement le dimanche, les Catalans n’ont plus que mes deux syllabes en bouche : ver-mouth. Ils ne se contentent même plus de me déguster, ils me vouent un véritable culte. Je fais tellement partie du paysage catalan que je désigne l’acte même de prendre l’apéritif. Et oui, en Catalogne on ne dit pas « fer l’aperitiu », mais on invite à « fer vermut », terme totalement généraliste qui ne préjuge pas du tout de votre choix une fois au bar. Si vous me jurez fidélité, préparez-vous à des choix cornéliens, car nous sommes une vraie colonie de vermouths : des blancs, des rouges, des extra-dry, des secs, des demi-secs, des doux. Demandez un authentique « vermut català » et laissez-vous évangéliser. Il faut avouer qu’en quelques années, je suis passé de phénomène de mode à cette « vraie religion » dont les 10 commandements seraient :

« Un. Tu m’aimeras plus que tous les autres apéritifs, jamais tu ne refuseras un verre ! Parce que je suis une boisson naturelle, un vin aromatisé aux herbes, moucheté de saveurs amères et douces. 

Deux. Tu t’abstiendras de commander un simple Martini. Les marques artisanales catalanes de vermouth sont tellement nombreuses que tu trouveras breuvage à ton palais. 

Trois. Tu sanctifieras ton verre. Qu’il soit évasé et court pour recevoir quelques glaçons mais surtout pour profiter au mieux de ses arômes. 

Quatre. Tu rendras honneur aux citrons et aux oranges, porteurs d’essence divine. 

Cinq. Tu me serviras toujours bien frais. Ma texture n’en sera que plus suave et fluide. 

Six. Tu n’oublieras jamais de me rajouter de gros glaçons. De ceux qui se déchirent sans se disloquer. 

Sept. Tu me boiras rapidement car contrairement au vin, je ne me bonifie pas avec l’âge. Au contraire, je perds de mon intensité.

Huit. Tu ne me jetteras pas une fois la bouteille ouverte. Contrairement au vin, tu peux me conserver durant des mois au frigo. 

Neuf. Jamais tu ne mentiras sur mon origine. Tu prendras soin d’expliquer que je ne suis pas un reliquat de vieux vin. Tu insisteras sur mes spécificités d’élaboration et mes ingrédients naturels et exclusifs.

Dix. Jamais tu ne refuseras un vermouth, qu’on se le dise ! Même si tu ne bois pas, participe à la tradition, au rituel social de « casa nostra » avec ta famille et tes amis. Pique dans les chips, les olives ou les anchois en accompagnement. » 

Cher lecteur, tu auras compris que je ne suis pas une boisson comme les autres. Et je sais d’avance que je finirai par te convertir. Sais-tu que l’Espagne consomme actuellement 25 millions de litres de vermouth par an ?  En réalité ma renaissance a commencé à Reus, et s’est rapidement étendue au reste du pays, notamment grâce aux « vermuteries ». C’est là dans ces antres de vie parallèle, de convivialité à forte valeur ajoutée que l’on trinque à un prix raisonnable entre 1,50 € et 4,50 € en fonction de l’endroit. Un verre de vermouth dans une main, une olive dans l’autre, on profite d’un bavardage entre amis, de la tranquillité d’une terrasse, des tapas. Le temps de compte plus !

Boisson médicinale, absinthe and co…

On dit que que j’ai été inventé par Hippocrate, qui aurait mis à mariner des fleurs d’absinthe et des feuilles de dictame dans du vin. On en retrouve aussi la trace au Moyen-Âge, sous le nom de vin d’herbes. Une sorte de boisson aux vertus curatives… C’est d’ailleurs grâce à ces propriétés-là que j’ai réussi à échapper à la prohibition aux états Unis. Considéré comme boisson médicinale, je suis passé entre les mailles du filet ! N’oublie pas non plus que l’appellation « vermouth » vient de « wermut » en allemand qui signifie absinthe, l’alcool légendaire et interdit qui rend fou ! C’est pourtant un Italien, un certain Antonio Benedetto Carpano, créateur du mythique Carpano Antica Formula, qui aurait été le premier à utiliser l’appellation, en 1786, inspiré par une recette d’apéritif allemand. En Catalogne, c’est à Reus (Baix-Camp) que le vermouth débarque par l’intermédiaire de l’entrepreneur Joan Gil. Il fait enregistrer la première marque de vermouth en 1892. L’histoire du vermouth à Reus est liée à la longue tradition de production de différents types de boissons alcoolisées. C’est ainsi qu’est d’ailleurs née l’expression populaire « Reus-Paris-Londres ». Au XVIIIe siècle, l’économie de Reus était marquée par la production d’eau-de-vie. Une industrie qui a fait flamber les profits des producteurs grâce à la forte demande pour ce distillat dont la production était presque entièrement exportée. Reus, ainsi que les villes de Paris et de Londres, marquaient le prix de ce produit populaire, d’où l’expression. Entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe, Reus compte une trentaine de producteurs qui produisent plus de cinquante marques différentes. Aujourd’hui, plus que jamais, réunies sous la bannière « Vermut de Reus », les marques de très haute qualité, Iris De Muller (fondé en 1850), Yzaguirre (fondé en 1884), Miró (fondé en 1914), Fot-Li, Olave ou encore Or del Camp font de Reus l’indetrônable capitale du vermouth. La cité possède même son musée du vermouth situé dans une splendide maison moderniste datant de 1918. L’édifice présente une impressionnante collection liée au vermut, dont 6000 objets, 1800 bouteilles, 400 affiches, 300 étiquettes et des centaines d’objets et de documents à la gloire du Sant-Vermut ! 

Une élaboration des plus secrètes

Il faut savoir que Reus produit plus de 30 % du vermouth dans toute l’Espagne. Au-delà du musée, un restaurant vient compléter l’offre et transforme la visite en véritable expérience ! Mais pourquoi suis-je si populaire ? Essentiellement pour mon mystère… puisque la formule exacte est un véritable secret. Sous ma robe, tu pourras trouver plus d’une centaine de plantes aromatiques. Un nombre qui rend la copie quasiment impossible ! Je te révélerai seulement la base de ma fabrication. Je suis généralement composé de vin blanc (macabeu ou xarel.lo), macéré en bonbonnes, aromatisé avec des herbes, principalement l’absinthe et l’artémise, ainsi que d’autres espèces amères et toniques comme le thym, la lavande, le cassia et l’angélique, l’anis, la camomille, la cannelle, la cardamome, le clou, la coriandre, l’écorce de quinquina, les écorces d’agrumes, la gentiane, la muscade, le cassia, la rhubarbe, la vanille… Pour me rendre encore plus séduisant en bouche, on peut utiliser entre cinquante et quatre-vingts ingrédients botaniques, plantes, fruits et épices différents, mais ceux qu’on retrouve le plus souvent sont la framboise, le citron et la cannelle. Les plantes, tout autant que les racines, les fleurs et les épices sont la clef pour m’aromatiser et faire de moi un produit unique. Le vin peut macérer pendant un mois avec les herbes. Du vin donc, des plantes, des épices, des peux d’orange et de citron pour le côté amer, de l’alcool et bien sûr du sucre. Et puis, j’allais oublier… tu peux aussi me caraméliser ! Quelques gouttes suffisent et je deviens un vermouth rouge ! Entre petits secrets, bonbonnes, fûts, séchoirs à orange et tranches de vie, je t’en supplie, fais un crochet par le village de Bràfim, près de Tarragonne. La Casa Padró Vermouth y a ouvert ses portes au public en 2018. Lieu de pèlerinage par excellence, cette vieille maison et cave date de 1776. Non seulement elle baigne dans son jus, mais tu pourras vivre une expérience sensorielle privilégiée et comprendre tout mon processus de fabrication à travers une visite guidée de 2 heures. On y produit les meilleurs vermouths de Catalogne, distingués par les plus prestigieux prix internationaux. Mais surtout, on peut me suivre dans toute ma gestation avant de passer à la dégustation. Quand les grandes marques proposent seulement quelques boutiques et comptoirs à dégustation, la Casa Padró est aujourd’hui la seule à porter le « vermuturisme » à un tel degré de proximité, de qualité et d’excellence. Je suis chanceux d’avoir mille goûts, mille personnalités. Chacun de mes producteurs possède sa recette secrète, sa façon de faire, transmise de génération en génération. Entre adoration et dévotion, je déchaine les passions. Sant-Vermut, per sempre ! 

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