01 Août Les « castells » catalans, l’union fait la force
Voici des hommes, des femmes et des enfants qui ne se « démontent » pas ! Ils sont Catalans, castellers et héritiers d’une tradition spectaculaire qui dure depuis plus de deux siècles. Engagés corps et âme, ils érigent des tours humaines vertigineuses qui peuvent atteindre jusqu’à dix étages. Lorsque l’été déploie ses ailes, aucune Festa Major n’est complète sans la magie des castells. Ces constructions humaines vibrent avec des émotions brutes, reflétant les valeurs de force, d’équilibre, de courage et de bon sens. Un spectacle où les Catalans puisent dans les profondeurs de leur identité pour toucher les cieux.
Indescriptible. Insaisissable. Indépassable. Rares sont les traditions capables de susciter de telles émotions. Aucune définition n’est digne de la puissante vibration ressentie face à un castell. Le castell, littéralement le château en catalan. Le castell qui nous fait tant vibrer, c’est cette tour humaine unique au monde, cette pyramide d’hommes, de femmes et d’enfants qui font corps et bloc pour gratter et signer le ciel de la main. Certains diront que le castell est à la verticalité ce qu’est la sardane à l’horizontalité. Il y a en effet un peu de ça ! Une communion céleste, un souffle d’universalité, un frisson aussi subtil que profond. En sourdine, c’est toute l’âme catalane qui résonne. Deux cents ans que ce frisson qui parcourt les corps et les âmes perdure. Deux cents ans déjà que, l’été venu, lors des Festa Major, des centaines de personnes s’agglutinent sur les places des villages de toute la Catalogne pour former un cercle magique, appelé « pinya ». Concentrés, aimantés, littéralement fusionnés, les castellers répondent aux instructions précises, toujours données en langue catalane, d’un « cap de colla ». Chef d’orchestre, il est celui qui scande cette construction de regards fixes, de fronts plissés et de souffles mêlés. C’est lui qui envoie d’abord les plus lourds et solides pour constituer la base, le noyau. Vers chaque étage de la tour, sont ensuite dirigés les plus lestes, les plus légers, les plus agiles. Le silence de la foule, en attente, se transforme en une expérience presque religieuse. Le dernier à grimper le long de ces corps solennels et solidaires défiant toutes les lois de la gravité, est un enfant appelé « l’enxaneta ». Il a à peine six ou sept ans et vient couronner le castell en levant le bras vers le ciel. On dit qu’il « fait l’aleta ». Un geste sec, semblable à un battement d’aile divin. Chair de poule, symbole absolu et climax d’un castell réussi. Comment est-il possible d’envoyer un petit enfant si haut sans peur du pire ? Qu’est-ce qui pousse tant d’adultes à forcer leur corps au risque de se blesser ? D’où puisent-ils leur force ? En Catalogne, on apprend que le courage n’est pas l’absence de peur, mais la capacité de l’affronter.
Valls, « Kilomètre Zéro des castells » !
Le dépassement de soi prend une dimension toute particulière quand il est partagé. Quand on peut faire confiance à l’autre. C’est ce que prouvent les castells, magnifiques œuvres collectives catalanes, où l’union des volontés transcende largement l’effort individuel. Si la plupart des colles de castellers s’inscrivent dans un triangle entre Tarragona, Vilafranca del Penedès et Valls, c’est bel et bien Valls qui fait office de berceau. Valls est curieusement connue comme « la ville où l’on lève la tête trois fois » ! Parce que c’est ici, à 74 mètres, que se trouve le plus haut clocher de Catalogne. Parce que c’est aussi la cité du calçot, cet oignon tendre que l’on mange en levant les yeux au ciel. Vertige à tous les étages qui culmine avec celui des castells, nés à Valls à la fin du XVIIIe siècle, inspirés par les « balls de valencians », les danses traditionnelles de Valence. Une expression artistique qui incluait déjà des formes de figures humaines pour les festivités et que les habitants ont su transformer en une tradition structurée. Face à l’Hôtel de Ville de Valls, une plaque scellée au sol de la place del Blat, indique fièrement le « Kilomètre Zéro des castells ». À l’entrée de la ville et à quasi chaque croisement, des panneaux officiels de signalisation indiquent le chemin vers la « Colla Joves Xiquets de Valls » créée en 1813 et la « Colla Vella Xiquets de Valls » née en 1801. Une colla totalement inscrite dans le paysage, à tel point qu’un quartier entier construit en 1968 grâce à la solidarité des castellers, porte son nom ! Depuis septembre 2023, « Món Casteller », le seul et unique Musée casteller de Catalogne a ouvert ses portes à Valls. La visite de ce temple des pyramides humaines prend sa source dans la formule attribuée au poète Anselm Clavé, qui résume le fait casteller à quatre valeurs magiques : « Força, equilibri, valor i seny ». Force, équilibre, courage et bon sens. Si la construction des castells requiert une force physique considérable doublée d’une agilité exceptionnelle et d’une grande endurance, il ne s’agit pas pour autant d’un sport. Malgré ces exigences physiques, malgré les entraînements réguliers et les compétitions, les castells échappent à la classification sportive au sens propre du terme. La dimension culturelle et le patrimoine vivant l’emportent. Toujours en musique. Car il n’est pas de castell sans accompagnement de la gralla, la voix des castells. Cet instrument à vent traditionnel catalan s’apparente au hautbois. Pas de castells sans tambour, le battement de cœur.
Moment de grâce musical signé Pau Casals
L’un des moments les plus captivants lors des castells est l’interprétation du « toc de castell », la mélodie emblématique jouée pendant l’élévation des tours. Il guide les participants à la construction parce qu’ils ne peuvent pas la voir. La belle histoire raconte qu’en 1900 après un déjeuner et à la demande des convives, Pau Casals, l’illustre violoncelliste et compositeur né à El Vendrell, près de Tarragone, se penche sur cette mélodie… C’est sur un vulgaire ticket qu’il consigne les cinq parties du Toc de Castell. Pau Casals fut d’ailleurs le président du jury du premier « Concurs de Castells de Tarragona » en 1932, soulignant son engagement profond envers cette tradition. Chaque note de gralla, chaque battement de tambour sonne comme une ode à la résilience et à l’esprit indomptable de la Catalogne. Ensemble, ces instruments tissent la bande sonore d’un héritage vivant, vibrant d’émotion et de fierté. Dans l’univers des castells, rien n’est laissé au hasard. Chaque castell est le fruit d’une architecture minutieuse et d’un placement précis des participants, nécessitant une coordination impeccable. Le type de castell dépend de deux paramètres : du nombre de personnes à chaque étage et du nombre d’étages. Une structure doit comporter six étages au minimum pour être considérée comme un castell. En 1993, les Minyons de Terrassa accomplissent le premier castell de la dite « gama extra », d’une difficulté supérieure aux castells de neuf étages. En 1998, on assiste aux premiers castells de dix étages. Les Castellers de Vilafranca réussissent à assembler le premier 3d10fm (3 de 10 amb flore i manilles – tour de dix étages avec trois personnes par étage). Aujourd’hui, les castells sont bien plus que des tours humaines : ils représentent le miroir vivant de l’âme catalane, incarnant un patrimoine immatériel, puissant symbole de l’identité catalane. Les mouvements indépendantistes ont vu une participation accrue de la communauté casteller, témoignant de la profonde connexion entre cette pratique et les aspirations politiques et culturelles de la région. Visiter la Catalogne et assister à une performance de castells offre une fenêtre unique sur la culture catalane, où tradition et innovation se rencontrent pour créer une expérience inoubliable. C’est une invitation à découvrir l’histoire, la musique et la camaraderie qui font des castells une des traditions les plus spectaculaires et significatives de la région.
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