28 Juil Les caves Byrrh, une saga à vivre et à revivre
Les Caves Byrrh, fantastique patrimoine industriel enchâssé au cœur de la ville de Thuir, ont traversé les décennies, assumant leur destin unique d’épopée et de gloire avant d’amorcer – noblesse oblige – une fabuleuse reconversion.
Vers 1860, deux frères d’origine modeste, Pal·lade et Simon Violet, deux drapiers ambulants du Vallespir, nés d’un père « traginer » (personne qui travaillait au transport des marchandises) à Corsavy, attachaient toute l’année leurs ânes chargés de tissus, d’étoffes et de vin, sur tous les marchés de la vallée, une affaire florissante. Rapidement ils amassent suffisamment d’économies pour ouvrir boutique à Thuir, la capitale des Aspres perçue, alors comme aujourd’hui, comme une capitale commerciale. En 1866, ils décident de se sédentariser, ils se constituent en société et ouvrent boutique à Thuir. En pleines terres viticoles, ils vont élaborer un médicament à base de vin, d’écorces de quinquina et d’épices telles que le cacao, le café ou encore la camomille. Ils commencent à le commercialiser dans tout le département chez les pharmaciens, les épiciers et les cafés sous le nom de « Vin tonique et hygiénique au quinquina » en vantant ses qualités toniques et bienfaisantes au grand dam de l’Ordre des Pharmaciens de Montpellier, jaloux d’un tel succès. Ces derniers ne tardent d’ailleurs pas à les traduire en justice pour concurrence déloyale et les contraignent à ne plus utiliser le mot « quinquina », à l’époque considéré comme un terme médical. Le « médicament » va donc devenir un apéritif en 1873, baptisé par hasard selon la référence d’un rouleau de tissu (et selon la rumeur, des initiales des maîtresses des deux frères) : B.Y.R.R.H. Voilà qui marche très bien dans les pays latins mais présente une homophonie fâcheuse avec la bière (Beer et Bier) chez les anglo-saxons et les allemands. Cette confusion retarde un temps les exportations de l’excellent breuvage, mais ses réelles propriétés fortifiantes et tonifiantes ainsi que l’originalité de sa composition renforcent son exotisme. Servi par un bouche à oreille élogieux et porté par une campagne publicitaire moderne basée sur la fresque murale et l’affichage, il embrase littéralement tout l’hexagone avant de devenir rapidement l’ambassadeur de la France à l’étranger. La saga est en marche. Très vite, c’est la gloire, d’autant plus durable que les descendants des inventeurs poursuivent leur œuvre. Dans les années 1930, seul, avec du Picon ou de l’eau de Seltz, le Byrrh est devenu la star des zincs. Pas un village de France, pas une gare, pas un café de province ne résiste à la « Byrrhmania ». La première génération disparue, la suivante (qui emploie 750 personnes) demande à Gustave Eiffel en personne de dessiner la grande verrière des ateliers de Thuir, tandis que les vins, mêlés de cépages espagnols, sont stockés dans des cuves et des fûts immenses. à son apogée, en 1910, la firme traitait jusqu’à 30 millions de litres par an et possédait les chais les plus vastes du monde. Le Byrrh séduit, à grand renfort de campagnes publicitaires qui font appel à de très grands affichistes. Il faudra l’avènement des vins doux naturels dans les années 60 pour marquer son recul commercial. Entre-temps, les usines Byrrh de Thuir se seront dotées d’une cuve en chêne d’une capacité d’un million deux cents litres, la plus grande du monde, et même d’un train particulier, le mata-burros, qui relie la capitale des Aspres à la gare de Perpignan, avant d’être rachetées par Cusenier, puis, à partir de 2011, de passer dans l’escarcelle de la Communauté de Communes des Aspres, dont elles sont vites devenues le fleuron touristique.
Entrez dans la légende
La visite se décline en plusieurs espaces, car deux mémoires se superposent : celle d’un patrimoine industriel de premier plan caractéristique de la foi en l’avenir qui prévalait au début du XXe siècle, et une saga locale, une success story qui fait encore rêver. D’abord le formidable hall, surmonté de la fabuleuse verrière, une vraie merveille de travail du métal et du verre et un apogée de la maîtrise industrielle française. Dans le grenier à outils, des calibreuses à bouchons, des pompes à main, des pressoirs et des machines à écrire d’un autre temps préparent les visiteurs à l’immersion. Dans l’allée des peupliers, des photos d’archives grand format ressuscitent le personnel de l’usine dans son jus : dames dactylographes, comptables, responsables des ventes, c’est un monde digne des grands romans balzaciens qui s’offre au regard. Un peu plus loin, l’annexe Lambert (du nom du fils de Simon) abrite ses 70 cuves de chêne de 2000 litres, et son formidable fût de plus d’un million de litres construit par la société française de tonnellerie Marchive-Fruhinsholz. Les affiches d’époque, dont une partie a hélas brûlé dans l’incendie de 2022, sont désormais à admirer sous forme de diaporama : l’occasion de renouer avec une esthétique Art Nouveau qui place la femme au centre de tout mystère, une femme libre, fumeuse, buveuse, ouverte au plaisir. Un vrai vent de fraîcheur et de modernité ! à la sortie, ne ratez pas le magnifique kiosque de dégustation qui date de 1871, une merveille de bois sculpté et chantourné qui ornait à l’époque les foires dans lesquelles Byrrh menait des actions commerciales et surtout les expositions internationales, les grands rendez-vous du temps. Vous pourrez également connaître toutes les plantes et écorces de fruits qui rentrent dans la composition du Byrrh, même si leur dosage demeure un secret jalousement gardé…
L’immense cheminée d’usine, insolite, veille sur votre déambulation et sur la nouvelle destinée de ce monde préservé dont elle est la vigie. Mais ce qui fut une fourmilière affairée, bruissant de bruits de machines et de cris, ne saurait se contenter de la passivité des visites classiques ! Vous pouvez bénéficier de visites-découvertes guidées absolument passionnantes et foisonnantes d’anecdotes, d’autres visites agrémentées d’un fabuleux spectacle son et lumière et même de visites théâtralisées, pour vivre à fond cette épopée humaine qui est aussi une mise sous les projecteurs de notre territoire. Mais ce n’est pas tout ! En quelques années, les Caves Byrrh sont devenues un véritable lieu de vie et de goûts qui intègre des afterworks-cuisine imaginés par Jean Plouzennec et poursuivis par ses pairs, des ateliers pâtisserie parents-enfants puisque la gourmandise est largement intergénérationnelle, des ateliers de dégustations de vins et notamment de grands millésimes de Byrrh et même, des murder parties et des escape games qui rendent justice au caractère insolite de cet espace industriel hors du commun. Décidément, les caves Byrrh sont à aborder comme une fabuleuse expérience !
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