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Les Ports de Beseit

26 Juil Les Ports de Beseit

Au sud, la région vient butter sur les ports, sublimes et infranchissables. La notion de « port » présente dans toutes les Pyrénées, signifie en réalité « col », soit passage, vers un autre monde, un autre espace. Ici il s’agit d’une île minérale, une barrière colossale, dressée entre Aragon, Pays Valencien et sud de la Catalogne à la splendeur multiple.

En ce qui concerne la comarca de Terra Alta, la muraille grise se dresse au bout des vignes et des oliveraies, presque menaçante, annoncée par des piémonts vallonnés et des villages adossés aux reliefs. Au premier plan, d’énormes falaises semblent se prendre pour un château cathare dont elles imitent à s’y méprendre les créneaux et les murs vertigineux. Ce sont les Roques de Benet, dont les parallélépipèdes irréguliers ont été une grande source d’inspiration pour Picasso. Ils sont particulièrement proches et visibles depuis Horta de Sant Joan. à côté, entre dents pointues et mesas géométriques, s’impose un décor qui évoque l’Arizona.  On devine qu’il s’agit de l’avant-scène d’un théâtre bien plus vaste, creusé de gorges et de canyons, orné d’étangs et de marmites, rythmé d’à-pics. 

Au bout du monde, au bout de soi

C’est le royaume du Crestó, le cabri autochtone, des chèvres ibériques sauvages, de l’aigle royal, de la loutre, du lynx et de toute une série de rapaces nocturnes ou diurnes, dans une profusion d’essences et de fleurs. La flore sait conjuguer en strates inattendues, des arbres d’Europe du nord ou de haute montagne comme les hêtres ou les bouleaux, et le monde méditerranéen des pins, des chênes verts, des cytises et de la badiane. Au XIXe siècle, deux botanistes ont réalisé un inventaire remarqué qui leur a permis de découvrir un nombre exceptionnel d’espèces autochtones, preuve s’il en fallait du caractère insulaire de cet énorme bloc de pierres. Poissons et écrevisses peuplent les cours d’eau, une prouesse dans un milieu aussi méridional et continental. Les Ports sont vraiment un monde à part. D’une vallée à l’autre se déroule un véritable catalogue de paysages de haute montagne : de quoi séduire et attirer les randonneurs de tous niveaux et de toutes provenances, désireux de se mesurer à ce cadre grandiose. On peut, depuis les plus hauts sommets, voir au loin jusqu’à l’île de Majorque. Une véritable attraction pour les randonneurs, surtout s’ils sont passionnés de photographie. Une bonne nouvelle n’arrivant jamais seule, plusieurs campings ont fleuri à proximité d’Arnes et d’Horta de Sant Joan. Ils permettent aux passionnés des Ports de séjourner plus près de leur montagne tout en respectant la simplicité paysanne de l’accueil et du mode de vie local. Bien sûr, tous les sportifs sont à la fête dans cet univers sauvage et à vrai dire encore pour partie indompté tant il recèle de failles secrètes et de gorges inexplorées. Les falaises abruptes accueillent l’effort soutenu de centaines de grimpeurs attirés par la beauté du paysage et le caractère très technique des voies et des vias ferratas. Ils ne cessent de trouver de nouveaux chemins verticaux, dessinant au-dessus du vide de folles arabesques. Ces passionnés de grimpe viennent de toute la Catalogne mais aussi du nord de l’Europe, pour tutoyer le vertige au plus près de la roche, suspendus entre ciel et terre, dépassés par une forêt de pics. Un terrain de jeux sans limite pour les alpinistes en herbe et les sportifs chevronnés. Autre jeu local, à manier avec précaution, le saut à l’élastique, de plus en plus prisé des jeunes. Les incroyables hauteurs des parois, la profondeur insolite des failles étroites, l’existence, en bas, de points d’eau souvent magnifiques, vont bien au-delà de la simple montée d’adrénaline. Dans les Ports, l’expérience totale est de rigueur, que l’on s’élance en parapente au-dessus des sommets pour rejoindre des zones agrestes plus douces, en rafting à folle allure sur les eaux vives, ou encore d’une marmite à l’autre dans les canyons, alternant saut, nage et marche dans le courant.

Un des plus beaux sites reste les Estrets d’Arnès, un défilé incroyable qui propose 450 hectares d’escarpements, de broussailles, de pinèdes et de prairies autour d’un cours d’eau qui descend d’un étang à l’autre en dessinant un chapelet miroitant. L’ocre des falaises renflées comme des tuyaux d’orgue, strié d’un cerclage régulier, évoque les paysages du Colorado. L’endroit est  sauvage et vierge, d’une beauté qui coupe le souffle et donne envie de rester là,  dans le silence que froisse le chant du vent dans les arbres, qu’enchante le murmure de la rivière. Un lieu de bout du monde. D’autres ruisseaux dessinent des plans d’eau magnifiques comme le fait l’Algars avec le Toll de Vidre (étang de verre) dans lequel se jette une cascade frangée d’écume, un des sites-phare des Ports catalans et une destination d’excursion très appréciée. Les randonneurs adorent s’adonner à la baignade dans cet environnement privilégié, si la sécheresse, toutefois, n’a pas été trop forte : il arrive parfois que l’eau soit très basse, surtout en fin d’été. Tout au long de l’année, c’est donc une véritable noria de promeneurs de tous types, dotés de bonnes chaussures de marche et de sacs à dos qui s’élance vers les sommets. Si vous êtes du genre à contempler les sommets plutôt qu’à les gravir, et à préférer une slow attitude aux efforts démesurés du dépassement de soi, Terra Alta se laisse volontiers traverser en vélo et en famille, le long de son ancienne voie ferrée devenue une magnifique voie verte, celle de la Vall de Zafàn. En 1973, l’effondrement d’un tunnel a mis fin à l’exploitation de toute façon menacée, de ce petit tronçon. 27 km de bonheur, ponctués de 41 tunnels, vous attendent au bout des pédales, au cœur de paysages élus par l’Unesco comme Réserve de la Biosphère, tant l’homme et la nature y cohabitent dans l’harmonie. Une sorte de petit miracle d’équilibre écologique naturel offert aux gens d’ici en héritage. Els Ports sont une sorte d’île enchantée à contempler depuis le large des mers de vignes et d’oliviers, une île mystérieuse qu’il est doux de sillonner à perte de souffle, les yeux fixés vers l’horizon du ciel, sans limite.

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