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L’Ours venu du fond des âges

03 Fév L’Ours venu du fond des âges

Venue du fond des âges, la fête de l’ours bat son plein en Haut-Vallespir entre la Chandeleur et Carnaval, avec trois temps forts à la fois semblables et très différents, dans les trois vieilles cités de la vallée, Arles-sur-Tech, Prats-de-Mollo et Saint-Laurent-de-Cerdans.

La haute vallée du Tech, encaissée, surmontée de bois profonds de chênes verts, de châtaigniers et de hêtres, possède une solide mentalité montagnarde, forgée par une existence rude et l’existence de communautés villageoises soudées malgré un habitat relativement dispersé par la présence de très nombreux mas. Il n’y a rien d’étonnant donc à ce que l’ours, figure anthropomorphique légendaire pyrénéenne, synonyme de fécondité, ait pris racine dans l’imaginaire local. Il en est devenu le passeur absolu, entre l’hiver qui mûrit et le printemps qui s’annonce, entre la nature sauvage et la nature humaine, entre la communauté villageoise et les éléments extérieurs qui s’y inscrivent, entre les générations d’autrefois et celles d’aujourd’hui. L’ours est ainsi le référent commun des citoyens des villages de la vallée et un puissant marqueur identitaire. Il est aussi devenu une indéniable plus-value touristique ! C’est entre la Chandeleur et Carnaval que l’ours sort de son hibernation et s’approche des humains. Affamé, en proie au désir charnel, il va tout faire pour s’emparer d’une jeune fille à qui on imagine qu’il ferait subir les derniers outrages si de courageux chasseurs ne s’emparaient de lui, et au lieu de le tuer, ne s’employaient à sa métamorphose, ou plutôt à sa rédemption. Voilà pour le tronc commun de la légende et de la fête. Sur ce thème imposé, né de la peur viscérale de l’étranger et du monde sauvage, viennent s’inscrire trois variations à vivre comme une plongée merveilleuse au cœur du mythe et un moment de communion festive avec les habitants. Car l’ours est d’abord une fête débridée, inscrite dans le cycle carnavalesque, une fête de partage, unique et vraiment authentique. Depuis quelques années, les trois villes de l’ours sont unies par un pacte sacré signé d’une patte d’ours. Elles ont entamé une procédure conjointe de reconnaissance de la fête au patrimoine immatériel de l’Unesco et si le processus n’est pas encore terminé, elles ont bel et bien été déclarées éligibles, ce qui est un premier pas très prometteur ! Cette année tout va commencer à Arles, le 2 février. Dans la jolie cité médiévale percée de placettes et de rues étroites, sublimée par son église romane épurée, l’une des plus belles de Catalogne, et son élégant cloître gothique aux ogives déliées, l’ours possède une étrange tête garnie d’une mâchoire relativement menaçante. Il faut dire qu’il succède aux terribles simiots, les singes carnivores qui ont terrorisé les arlésiens du Moyen-Âge.

L’ombre des Simiots à Arles

L’ours a une fiancée désignée, objet de son désir brut, La Roseta, épouse du Trappeur, bien évidemment campée par un homme grossièrement grimé, un clin d’œil aux inversions carnavalesques qui se produiront bientôt. Dès que l’ours s’annonce, le Trappeur, la Roseta et les chasseurs armés d’escopettes bruyantes, le localisent et le capturent sous les yeux fascinés de la foule. Le Trappeur récite à cette occasion un discours très ritualisé, la « Predica ». L’ours enchaîné est conduit de place en place pour être exhibé à la foule et son agilité sera mise à l’épreuve par les « Botes et les Tortues ». Mais le plantigrade s’échappe plusieurs fois, avant d’enlever au hasard une jeune fille avec laquelle il simule un accouplement grossier. L’ours térassé est rasé à la hache pour lui redonner une apparence humaine. Tout est rentré dans l’ordre, l’ours a rejoint le chemin balisé de la vie sociale, ses forces sauvages sont canalisées, l’honneur des femmes de la communauté est sauf. Toute cette dramaturgie est bien sûr rythmée de solides collations et de libations festives qui aident à lutter contre le froid mordant de ce cœur d’hiver, et ponctuée d’intermèdes musicaux. Le public nombreux compte beaucoup d’enfants, un peu effrayés mais toujours émerveillés par les aventures de l’ours redevenu homme et amusés par le travestissement de la Roseta ! Le 9 février, le Maire d’Arles-sur-Tech va remettre solennellement une patte d’ours à son homologue de Prats-de-Mollo en signe de mémoire partagée, avant que la fête ne commence.

L’ours le plus humain à Prats

Après quelques sardanes dansées avec ferveur sur l’esplanade du foiral, les ours et les chasseurs gravissent ensemble la colline pour gagner le Fort Lagarde où ils partagent une grillade fraternelle, tandis que les Barbiers font la tournée des cafés. Alors commence, devant le public, la préparation des trois « ours », des jeunes hommes vêtus de peaux de bête s’enduisent le visage et les mains d’un mélange d’huile et de suie. Le tout se déroule au son des gralles qui entonnent « el ball de l’ós » la danse de l’ours, évocatrice des dandinements du plantigrade. Le public crie pour provoquer les ours, qui défient les chasseurs à l’aide de bâtons. Soudain, les ours poussent une sorte de grognement qui annonce leur fuite éperdue dans les rues de la ville où ils laissent libre cours à leur nature sauvage. Les jeunes filles et quelques citoyens remarquables sont alors « marqués » par les ours, et arborent fièrement leur tatouage éphémère. Signe d’un pacte étrange et immémorial, les chasseurs ne font rien pour s’emparer des ours, bien au contraire, ils les ravitaillent et leur désignent volontiers les personnes à « marquer » !

L’ours le plus sexué à Saint-Laurent

Enfin, tout ce joli monde sort des remparts et débouche sur le foirail où attendent trois bataillons de trois barbiers de blanc vêtus et de blanc maquillés. La chasse commence, on court, on attrape, on s’échappe, les musiciens jouent. Finalement les trois ours sont traînés au centre de la place. Les musiciens jouent alors « l’air des barbiers » tandis que commence le rasage. Les hardes de peau sont jetées au public tandis que les ours, ayant repris leur apparence humaine, retournent à la communauté des hommes. La tournée des grands ducs, accompagnée de musique, de danses et de chants peut alors commencer dans la nuit glacée et sonner l’heure du carnaval extrêmement ritualisé ! Une fête inoubliable ! Le 14 février, le maire de Prats-de-Mollo remettra solennellement la patte de l’ours à son homologue laurentin. En effet, si le vendredi, on célèbre la fête du vieil ours pour les enfants, le samedi c’est carnaval.

Plantigrade rasé

Dans la petite ville, farouchement accrochée à ses traditions et à sa colline, les cafés sont bondés et les gens déguisés, car l’ours se confond avec les fêtes carnavalesques. Ici, l’ours a déjà un nom, il s’appelle Martí. Sa tête de fauve surmonte son visage humain sans le masquer. Tenu en laisse par un meneur, il cherche à s’échapper pour s’emparer d’une jeune fille avant d’être rattrapé. À chaque fois, qu’il est repris, le meneur entonne la « Predica ». Autour d’eux gravitent la Monaca, sorte de personnage simiesque à plusieurs bras de chiffons qui gifle la foule autour de lui, les « escalfadors » un couple d’hommes mimés en vieux et vieille, qui portent un chauffe-lit dans lequel brûle du poil de cochon qu’ils passent sous les jupes des femmes, les « botifarrons », qui transportent des bassines de bières sur lesquelles flottent des boudins noirs, allusion phallique assez claire, et enfin le groupe « féministe » des « figueretes » qui défendent leurs semblables en jetant à l’ours un mélange de figues et de muscat. à Saint Laurent, l’itinéraire de l’ours emprunte onze stations dans une inversion évidente des processions. Il répond aux transgressions liées au carnaval. Enfin, sur la place du syndicat, les chasseurs encerclent l’ours, aidés par le meneur qui brandit une hache, et par la monaca.

Inoubliables fêtes

Après avoir récité une dernière fois le sermon, on rase la bête au plus près. Les chasseurs se penchent sur la silhouette allongée et révèlent à la foule le visage humain de l’ours. La foule l’acclame. Il invite alors une fille à danser et tous l’imitent. Il est temps, maintenant de brûler sa Majesté Carnaval ! Vous l’aurez compris, baskets, bonne humeur, souplesse du coude et sérénité sont de rigueur pour vivre à plein ces trois fêtes, de sardanes en courses poursuites, d’intermèdes gastronomiques en verres de l’amitié, avec toujours un rien de délire comme dans toutes les vraies liesses collectives. Le spectacle est partout et vous en faites partie, c’est la magie de ces Fêtes de l’ours, ancrées dans le granit du Canigou, surgies de ses forêts et chevillées au cœur du Vallespir !

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