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Mémorial du camp de Rivesaltes, émotion, oui, pardon, non !

30 Mar Mémorial du camp de Rivesaltes, émotion, oui, pardon, non !

A quelques kilomètres de Perpignan s’étend le « camp de Rivesaltes », 150 baraquements sinistres qui ont vu défiler des milliers de personnes, hommes, femmes et enfants, d’origines, de cultures et de nationalités différentes : républicains espagnols, juifs, tsiganes… Le Mémorial réfléchit aux leçons de l’Histoire à l’ère de grandes migrations que nous vivons.

Arriver au camp de Rivesaltes c’est d’abord traverser une plaine désolée que la vigne semble avoir désertée, vaincue par le thym, le rare élan d’un aloès et des senteurs de fenouil. On distingue les silhouettes décharnées de baraquements sommaires écrasés de soleil et de vent. Lorsque le regard s’affranchit enfin de la blessure de la lumière, il capte une déclivité, une sorte de cube penché qui l’invite à avancer. C’est ici, sous terre, dans un espace qui tient beaucoup du cloître et s’inspire de l’atrium que bat le cœur du Mémorial. Ici ont été parquées, ou plutôt mises en consigne, des populations successives d’indésirables selon l’horrible sémantique de l’état français sous Vichy. D’abord des républicains espagnols et leurs familles, pour qui on rajoutait à l’amertume de la défaite l’horreur d’un enfermement carcéral et inhumain, puis des juifs apatrides dont certains seront déportés sans complexe et finiront dans les fours crématoires d’Auschwitz, tout  comme les « tsiganes » arrêtés sur les routes dans une sinistre obéissance aux critères d’humanité inventés par les nazis. Après la guerre d’Algérie, la France n’hésitera pas à y cantonner des Harkis, punis de leur fidélité à la France, dont beaucoup ont fini par faire souche ici, en pays catalan lors de leur libération en… 1977 soit 15 ans après la fin du conflit. Les pierres qui ont assez survécu pour encore parler, racontent ces histoires humaines croisées. Un des pavillons porte encore la marque de dessins d’enfants comme un pied-de-nez à la folie des grands. Tout est silencieux, certes, mais on se sent envahi par un tumulte intérieur qui ne prévient pas. L’architecture de Rudy Ricciotti, dans sa pudeur grandiose, agit à la fois comme une baume et un révélateur. N’oublions pas que ce camp, au départ militaire et baptisé à l’époque Camp Joffre, a été le témoin de trois conflits majeurs, la Guerre d’Espagne, la Deuxième Guerre Mondiale et la Guerre d’Algérie.

Une longue histoire

Tout a commencé, presque comme toujours par la constitution de listes réalisées par Serge Klarsfeld, que l’on ne présente plus, et par l’infirmière de la Croix-Rouge suisse Friedel Bohny Reiter. Dès 1994, l’association « Fils et Filles de déportés juifs de France », érige une stèle à la mémoire des Juifs déportés du camp de Rivesaltes vers Auschwitz. En 1997, c’est la découverte, dans une déchetterie de Perpignan, d’archives du camp relatives aux internés juifs et à leur déportation qui crée l’émoi. Peu de temps après, l’écrivain Claude Delmas et l’enseignante Claude Vauchez lancent une pétition nationale « Pour la mémoire vivante du camp de Rivesaltes ». Simone Veil, Robert Badinter, Claude Simon ou encore Edgar Morin y déposeront leurs signatures. Toutes ces manifestations d’intérêt finissent par aboutir à l’inscription du site à l’inventaire des monuments historiques avec une convention d’objectifs. Le travail peut commencer sous l’excellence direction de Denis Peschansky. En 2005, à l’occasion des Journées du Patrimoine, une partie du camp est ouverte pour la première fois au public. Le projet du Mémorial prend une nouvelle dimension lorsque l’architecte Rudy Ricciotti remporte, en 2006, le concours d’architecture. Les travaux débutent en 2012 et dureront trois ans. L’antidote à l’horreur, les moyens de réfléchir à son avènement et aux moyens de le freiner sont sous terre. Il suffit de descendre la rampe pour parvenir à la fabuleuse cité souterraine concoctée par ce même architecte par ailleurs auteur du « Mucem » (Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée) de Marseille. D’entrée, l’architecture impose l’humilité et la pudeur. Enfoui, quoiqu’illuminé par une série de patios, le bâtiment fait la part belle au bois, au verre et au grès. C’est un creuset, bien plus qu’un écrin. Ici on ne se contente pas de montrer, on donne à vivre et à penser. Son monolithe semi-enterré qui évoque à la fois des tables de la loi venues se ficher dans le sol sec du camp et la géométrie sans concession ornementale des temples babyloniens, fourmille d’activités diverses : on y mène un travail éducatif factuel, mais aussi une sensibilisation aux drames de l’exil à travers toutes sortes d’expressions artistiques. Cette approche sensible par l’art permet aussi de faire du Mémorial un marqueur qui va bien au-delà de la simple frange historique qu’il semble représenter. Ne porte-t-il pas mémoire – et sans doute gestation – de tous les déplacements, déportations, concentrations ? N’est-il pas arrivé à point nommé pour nous aider à lire ce début de vingt-et-unième siècle plein de bruit, de fureur et d’arrachements ? à l’heure où tout indique que les conditions climatiques, tout autant que les conflits liés à la maîtrise de l’énergie vont accélérer et amplifier ces phénomènes, le Mémorial apparaît comme un scriptorium nécessaire, une vigie surgie du fond des siècles pour reprendre le flambeau de la transmission et poser les questions qui éclairent. Comme ses prédécesseurs du Moyen-âge, il s’inscrit dans un réseau dense de lieux de mémoire, proches et lointains, avec lesquels il ne cesse d’échanger. Pour ce qui est des Républicains espagnols et catalans, il tutoie naturellement le Mume (Mémorial de la Jonquera), tête de pont des lieux de l’exil, et bien sûr la Maternité d’Elne, mais il reste ouvert sur les sites sacrés de la diaspora juive avec le Mémorial de la Shoah ou la fondation Yad Vashem et travaille étroitement avec le Musée des Confluences de Lyon et toute autre structure dévolue à l’étude des flux de population.

Un haut lieu de culture, donc d’humanité

Les 4000 m² du mémorial consacrent 1000 m² aux expositions : photos, arts plastiques, vidéo, aucun support n’est banni de cette grande fresque en mouvement qui rend témoignage de l’état du monde et allie avec brio la mémoire documentaire du camp et des mises en abyme probantes. Un auditorium à échelle humaine accueille des conférences, des débats et souvent des concerts inspirés pour que la vie, la pensée en marche, l’envie de comprendre jouent un rôle de noria vers l’extérieur en faisant monter l’eau de l’intelligence. En quelques années, le Mémorial a gagné le pari du campus : l’espace restauration accueille souvent des étudiants venus travailler sur place, au plus près de ceux auxquels ils se consacrent. Mais il est également devenu un lieu culturel de premier plan où l’on vient découvrir un artiste, parler avec lui, apporter sa pierre dans l’étude des exils et des accueils, faire valoir son altérité constructive. Le Mémorial est une agora, un forum, un temple devenu indispensables au décryptage des évolutions d’hier et de demain, et un incomparable outil d’introspection.

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