03 Fév Ô temps, suspends ton vol !
Si vous aimez les chemins de traverse et les paysages secrets, l’Osona vous réserve un petit trésor bien gardé, une montagne blottie dans les montagnes, cachée au bout d’une route qui n’a d’autre destination qu’elle-même. Le Bisaura est une émeraude brute sublime en toutes saisons, gardienne d’un temps qui aime à y prendre la pause.
Au nord-ouest de la couronne de montagnes qui ceint l’Osona, là où la Garrotxa et le Ripollès se donnent la main du bout des doigts comme pour une sardane, commence une route enchantée qui dessine une large boucle, enlaçant d’un seul geste quatre villages de charme, deux bonnes dizaines de grands mas caractéristiques de la Garrotxa avec leur galerie voûtée et leur terrasse de pierre sombre, et une poignée d’ermitages perdus, témoins d’un temps où les routes n’avaient d’autre sens que celui de la proximité immédiate et la foi d’autre motif que l’action de grâces malgré la rudesse du quotidien. L’altitude est du voyage et flirte deux ou trois fois avec les 1500 mètres, signée par des ruines de châteaux oubliés. Le paysage est si vert, si vertical, si parsemé de vaches noires et brunes, si prompt à dresser de hautes futaies de hêtres et de sapins, à se strier de ruisseaux aux eaux vives et bouillonnantes, qu’il évoque une Suisse miniature, un petit royaume suspendu, jalousement gardé par ses imposantes bastides et ses sommets abrupts. Ici, on se sent appartenir à ce monde clos, un rien mystérieux. Le Bisaura revendique avec orgueil son statut de sous-comarca, certain de sa spécificité de contrée sauvage et écartée. Avec le froid, il n’est pas rare que l’élan d’une source soit immobilisé par la glace : la montagne toute entière se pare alors de lueurs diaprées. La fin de l’hiver est magique, quand les adrets s’illuminent et que les premières pousses déchirent la terre. Ici, on vit au rythme du soleil, dans la tranquille certitude du cycle. Très vite, on est happé par cette incroyable sérénité, cette impression d’espace-temps différent. Chambres d’hôte à la ferme et gîtes ruraux de caractère ont pris le relais de l’hospitalité naturelle des mas ouverts aux voyageurs de tous types. Idéal pour se ressourcer en famille à la fois très loin de tout et juste entre Olot et Ripoll. Attention il n’est pas rare qu’un chevreuil ou une biche traverse la route ou qu’un bovin paresseux s’y attarde pour brouter l’herbe drue des bas-côtés, indifférent à la présence humaine.
Pour l’amour des paysages
Ici, l’homme est le visiteur toléré d’une nature impériale couronnée, sur une surface pourtant si petite, par deux labels prestigieux : l’Espace d’Intérêt National des Chaînes de Milany et de Santa Magdalena et le Parc du château de Montesquiu. 3500 privilégiés se partagent ce petit paradis, qu’ils ouvrent, le week-end venu, à des dizaines de randonneurs, de promeneurs, d’amoureux en tous genres du plein air et des séjours à la campagne, parmi lesquels photographes et peintres sont largement représentés. Il regorge de lieux de pique-nique au bord des sources, de terrains de jeux fabuleux pour les fous de cerfs-volants, ou de luge sur l’herbe ou la neige. La vigie absolue de ce paysage grandiose est le sanctuaire de Bellmunt élevé à 1246 m sur un vertigineux piton rocheux. Il constitue un mirador sans égal sur l’Osona toute entière avec sa plaine chaleureuse qui embrasse Vic, mais aussi, à 360°, sur les montagnes qui l’encerclent et lui dessinent une margelle de beauté : le mystérieux Montseny, ses sources et ses forêts profondes, les pics acérés et creusés de tuyaux d’orgue resserrés des montagnes de Montserrat, les deux dents jumelles, imperceptiblement asymétriques du Pedraforca, le drapé minéral de la muraille du Cadí, dans son alignement le Puigmal, et même, tout au fond, l’élan du Canigou au cône si caractéristique. Un résumé étourdissant de la Catalogne centrale. L’air pur crée une transparence particulière qui souligne la netteté des lignes et des reliefs. Le village de Sant Quirze de Besora est dominé par le château médiéval de Montesquiu, transformé par son dernier propriétaire en gentilhommière romantique en suivant les préceptes d’un style néogothique particulièrement sobre.
Un habitat noble et fruste
Le village étage sagement ses maisons cossues aux toitures pentues le long de terrasses plantées de prairies grasses où se côtoient ovins et bovins pour mieux moucheter de blanc et de brun le vert profond des près. Le parc du château est en réalité un havre naturel animé de cascades folles, de clairières, de forêts. Il ressemble à un immense jardin à l’anglaise dans lequel l’homme n’aurait que peu de part. Ce régal pour les yeux mène les promeneurs d’une clairière moussue à un bois profond, leur fait suivre des ruisseaux improbables et les mène au Salt del Mir, une chute d’eau de 35 m de haut particulièrement spectaculaire en hiver quand l’écume dessine une chevelure blanche à flanc de falaise. à chaque virage, le regard embrasse les silhouettes silencieuses, renflées, de volcans éteints de hauteurs inégales qui ébauchent un océan de montagnes bleutées. à Santa Maria de Besora, on note sur la colline les restes désossés du vieux château mêlés à ceux de l’église romane dont subsistent quelques absides de style lombard. à voir aussi, l’ermitage médiéval de Sant Moi et l’église romane de Sant Salvador del Prat. Si vous marchez vers Ripoll, vous entendrez une falaise percée chanter comme une harpe de pierre sous les doigts du vent : on l’appelle les bufadors de Bevi. Le village de Vidrà se déploie à l’ombre des ruines du château en ruines de Milany en plusieurs noyaux de population comme la Creu de l’Arc ou le hameau de Ciuret, ainsi que de nombreux mas et ermitages romans et même un très joli pont médiéval. Rien ne semble avoir changé ici, ou presque. Les meules coniques d’antan sont remplacées par des rouleaux de foin sagement emballés, bien sûr, mais on devine que les terrasses des pâtures sont rigoureusement les mêmes. Ici, on vit depuis toujours de l’élevage des veaux et des vaches, et bien sûr du bois. Les pierres des châteaux tombés au champ de bataille des siècles portent les échos sourds de la naissance de la Catalogne et frappent le moindre mas au sceau de l’histoire et de l’authenticité. à partir d’ici, une fois le mystère du Bisaura révélé, on ne va nulle part, on se contente de revenir sur ses pas, presque sur la pointe des pieds.
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