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QUAND LE FLEUVE DEVIENT PAYS

30 Mar QUAND LE FLEUVE DEVIENT PAYS

La splendeur commence avec Miravet, un incroyable village accroché presque à la verticale sur la falaise abrupte qui domine les eaux, comme si ses maisons étaient posées les unes sur les autres pour se faire la courte échelle jusqu’au ciel, jusqu’à la silhouette massive du château templier, tout là-haut, construit sur une ancienne casbah arabe. Car ici la terre fut longtemps, très longtemps musulmane. Sa visite, passionnante d’un point de vue architectural, permet de jouir de vues magnifiques sur les méandres de l’Ebre. Dans le village, certaines maisons portent la trace sanglante des batailles de la guerre civile, particulièrement violentes. Près du fleuve, presque dans le fleuve, s’élèvent un moulin entièrement traversé par l’élan formidable des eaux et l’ancien chantier naval, car ici chaque village est aussi un port. Des plaques gravées commémorent le niveau de l’inondation historique de 1907. L’église gothique a été édifiée, comme souvent dans la péninsule ibérique, sur l’ancienne mosquée, à côté de la grande arche sous laquelle se réunissaient en assemblée les habitants de Miravet, selon les époques maures, puis chrétiens et morisques. Juste à côté, les restes du Call, le quartier juif. L’esprit d’Al Andalus a aussi soufflé sur le sud de la Catalogne comme nous le raconte Andreu, boulanger : « Ici les Morisques et les Marranes se sont fondus avec la population, on est tous un peu arabes et un peu juifs. D’ailleurs il n’est que de regarder les noms de nos villages ! »  Notre conseil : se garer de l’autre côté du fleuve et arriver à Miravet avec le bac qui fonctionne et embarque joyeusement voitures et voyageurs ! Un peu à l’est, bien à l’écart du fleuve, Rasquera offre des panoramas saisissants et des céramiques remarquables. Au-dessus du village, après des gorges magnifiques, un monastère abandonné ouvre sa fleur de pierre sur la tige minérale d’un piton rocheux, c’est Sant Jeroni de Carbó, un choc esthétique. Le fleuve se laisse remonter – d’ailleurs vous pouvez le faire en bateau, si le cœur vous en dit – jusqu’à Benissanet, puis la capitale Móra d’Ebre avec son remarquable patrimoine et sa jumelle moderne Móra la Nova qui méritent un détour tout à fait spécifique. Partout, à chaque virage, à chaque lacet du fleuve qui semble courir en contrebas, la beauté est au rendez-vous, et le ruban bleu de l’Ebre se double d’un ruban d’un vert profond, celui des feuilles sombres des oliviers, pêchers, cerisiers qui s’étendent à perte de vue. Sur les hauteurs en revanche, l’olivier, la vigne et l’amandier disputent l’ocre de la terre sèche et dure aux pins têtus. Des mas parfois en ruines, souvent abandonnés, ponctuent la route, témoins muets du labeur écrasant de générations entières pour survivre, parfois en vain. Il y a quelque chose d’aristocratique dans cette pauvreté tout juste suggérée que l’élan vital du fleuve ourlé de vert semble démentir. « Mes grands-parents ont survécu tant bien que mal jusqu’à la guerre civile, mais ensuite, tout le monde est parti vers les villes, la terre ne suffisait plus » raconte Agata, serveuse. à Garcia, le clocher rectangulaire de l’église à la coupole octogonale vernissée de bleu veille sur le passage du bac que le pont moderne toise, impérial. Sur la colline, une butte trahit la présence d’un ancien château dont plus rien ne subsiste sinon le souvenir si tenace en effet qu’on croit le voir. Le long du fleuve, des chemins de halage, dont certains sont devenus des sentiers de grande randonnée, racontent l’histoire de ces « Sirgadors » qui faisaient remonter le fleuve aux bateaux à la force de leurs mulets ou parfois même de leurs épaules, contraints dans les passages les plus ardus, de marcher dans le courant. « Ici, tout était spécifique : les llaguts pouvaient transporter trente tonnes, les moletes deux, c’était un ballet incessant, un peu comme une voie de frêt, mais sur une seule voie d’eau » explique Joan, le conducteur du bac. Au beau milieu de la plaine fluviale, entre les deux gorges serrées du Pas de l’Ase et du Pas del Llop d’Andisc, le village stratégique d’Ascó apparait à la sortie d’un méandre, couronné de son château. Ses rues dessinent de véritables balcons sur l’Ebre, et ses maisons de briques, construites en éventail gardent à travers les siècles une indéniable identité maure. Au temps des conquêtes musulmanes, et tout au long du Moyen-âge, Ascó était une ville active, où se retrouvaient muletiers, commerçants qui descendaient le fleuve à bord de bateaux, et paysans des environs.

L’épopée du fleuve

Elle fut le siège d’une puissante commanderie templière dont le château illustre la puissance. « Les Templiers ont été décisifs pour nos terres » explique Oscar, historien. « Le vrai processus de christianisation s’est produit sous leur autorité ». La navigation fluviale reste importante aujourd’hui, même si elle est devenue nettement plus ludique. Il reste le bac, des rameurs, des vedettes, tout un monde de marins d’eau douce insoupçonné qui fait honneur au seigneur des lieux, le fleuve. Un peu plus haut, c’est l’arrivée sur Vinebre et ses peuplements ibères au nombre de dix-sept, qui rendent honneur au nom de la rivière dont l’étymologie est précisément « ibère ». L’homme étant finalement toujours le même on peut constater que le site qui domine la vallée et permet un contrôle efficace sur un large rayon a été successivement fortifié par les Ibères et les Romains. Dans la ville ne ratez pas Ca Don Juan, un palais renaissant du XVIe avec une belle façade baroque et un patio à arcades décoré de fers forgés, de céramiques et de médaillons organisé autour d’une fontaine octogonale. Et toujours, la promenade est rythmée par des vues soudaines sur le geste noble du fleuve, qui semble désigner, plus haut, la très belle ville de Flix. « A Flix nous avons deux fleuves, mais c’est deux fois l’Ebre, parce que la boucle est parfaite, on dit Ebre d’en haut et Ebre d’en bas » explique Pep, retraité, rencontré avec son chien près du château. Flix s’inscrit dans une réserve naturelle, celle de Sebes, marquée par des îles vertes que l’Ebre étreint, peuplées de nuées d’oiseaux. La boucle large dans laquelle s’enchâsse le château, construit en 1874, se traverse en bateau à partir de l’embarcadère, haut lieu de la résistance républicaine pendant la guerre civile. Bonne nouvelle, votre véhicule peut être du voyage ! Au milieu du fleuve, on devine l’ancienne écluse, énorme. Ne ratez surtout pas le Mas de Pitora, le centre d’interprétation des chemins de halage qui est aussi une évocation grandiose du plus grand fleuve de la péninsule ibérique. Enfin, après Flix, à Riba Roja, le fleuve est enfermé par une retenue énorme, de plus de 38 km de long et devient une fantastique réserve naturelle. Des paysages de rivière à couper le souffle vous y attendent. Lorsqu’on quitte la vallée verte du fleuve pour gagner, à l’est, la Palma d’Ebre, le paysage semble s’assécher et révéler des pastels d’ocres et de beiges, éclaboussés du vert presque bleu des oliviers. C’est dans ce paysage à la polychromie économe que se blottit le village. Vous y visiterez la vieille église Santa Maria de pur style roman et sa version moderne, de style renaissant, dotée d’un beau retable baroque. Plus insolite, l’ancienne prison, probablement celle de l’ancien château dont la moindre pierre a disparu. Mais la star de la Palma, c’est un arbre monumental, un magnifique pin classé comme un monument depuis 1991.

Net… Flix

Encore quelques paysages incroyables de gorges profondes et de barrières rocheuses qui par moment évoquent carrément l’ouest américain, et voilà que s’annonce la perle médiévale de Tivissa avec son centre ancien aux rues étroites et ses portes qui s’ouvrent dans les remparts. L’église, située sur une esplanade qui domine le paysage, est une étrange intrication de styles superposés entre le XIIIe et le XVIIIe siècle qui exhale une étrange impression de majesté. Vous ne résisterez pas à la céramique locale qui porte la profonde empreinte d’un passé résolument oriental. Vous aimerez les lavoirs sur le canal, au toit couvert de tuiles arabes, où s’échinent encore des lavandières en quête d’authenticité. Vous pourrez pousser jusqu’à l’ermitage de Sant Blai avec sa jolie fontaine. « Il faut boire de son eau avant d’arriver à l’ermitage, c’est la tradition » explique Maria, guide touristique. Pourtant l’extraordinaire est encore ailleurs, juste à côté : le site ibère de Castellet de Banyoles, un point stratégique de contrôle de l’Ebre où d’ailleurs, les hommes du Moyen-âge ont également bâti un fortin. Le site est visitable, balisé et passionnant. La Ribera d’Ebre porte en elle le Delta et la Tarragonnaise, se souvient de Navarre et d’Aragon comme si le fleuve, de toute éternité connaissait son destin et dictait sa loi. Un petit pays à vivre comme une île qui regorge de trésors.

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