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Sant Feliu de Guíxols, le goût du large

28 Mar Sant Feliu de Guíxols, le goût du large

Imaginez un ancien village de pêcheurs avec ses saveurs artisanales et son goût du large, devenu une petite ville côtière affairée qui ne compte pas ses saisons et a su tisser, entre cadre naturel grandiose et patrimoine de premier plan, une oasis de beauté.

La ville s’offre au visiteur. Elle ouvre grands ses bras de pierre, en l’occurrence une promenade maritime aux airs de rambla particulièrement large et majestueuse où se bousculent terrasses de restaurant et aires de jeux dans un joyeux chassé-croisé de promeneurs. Sur la plage, les amoureux du soleil lézardent, souvent un livre à la main, entourés d’enfants qui gambadent. Ils se laissent bercer par le baiser des vagues qui glissent sur le sable humide. Un treillis serré de rues pavées monte doucement la colline. Partout, des commerces, des cafés, de la vie. De belles maisons aux balcons ouvragés, de belles portes monumentales ponctuent les rues. Le quartier moderniste de Sant Pol est une petite merveille dans laquelle la signature de l’architecte Josep Goday joue un rôle majeur. La Casa Estrada avec ses tours à clochetons pointus et son air de petit château de contes de fée fut baptisée populairement Xalet de Les Puntxes (Maison des Pointes) tandis que la Casa Girbau Estrada et la Casa Domenech Girbau arborent des sgraffites et les blasons de la Catalogne. Tout indique la présence, au début du XIXe siècle, d’une bourgeoisie argentée née de l’industrie du liège, pleine de confiance dans son avenir et soucieuse de laisser une empreinte esthétique. Le marché municipal, couvert dans les années 30, présente une belle architecture d’inspiration nettement post-moderniste et domine une placette dont le centre est orné d’une fontaine-obélisque. Sur la promenade maritime, ne manquez surtout pas la Casa Patxot avec sa fresque colorée ornée d’un cadran solaire ou encore le Casino La Constància, de pur style mudéjar avec ses arcs outrepassés aux faux airs byzantins et ses couleurs orangées, qui était le quartier général de la petite bourgeoisie, des ouvriers et des artisans. En version farniente et dolce vita, Sant Feliu n’a rien à envier à l’Italie et pourtant la ville n’a rien d’un décor pour touristes, tout au contraire. C’est sans doute cette indépendance sereine qui est sa plus grande séduction ! Le symbole absolu de la ville, véritable motif des peintres locaux, c’est son monastère bénédictin, élevé au milieu du Xe siècle sur des ruines romaines. 

Un monastère emblématique

L’église fortifiée d’origine, encerclée d’un fossé, a été détruite par les sarrasins en 965, puis reconstruite en pur style roman entre deux tours existantes avant d’être à nouveau abîmée, en 1285, par les Français de Philippe le Hardi et à nouveau remaniée. Le reste des dépendances, notamment l’hostellerie, remonte au XVIe siècle et le cloître est resté inachevé au fil des décennies d’où son étrange forme de L qui semble attendre une main qui ne vient pas. La Porta Ferrada est tout ce qui reste d’un probable palais épiscopal carolingien il s’agit d’une galerie à étage de toute beauté dans sa simplicité graphique. L’église, belle et lumineuse, est flanquée de deux tours, celle del Fum (de la fumée) et celle del Corn (de la corne marine). Elle réalise une synthèse réussie entre transformations gothiques et éléments d’origine romane. Du portail d’entrée initial du monastère subsiste la voûte de Saint Benoît, une étrange porte isolée au milieu d’une esplanade, qui présente un magnifique fronton baroque et se divise en deux niveaux, définis par des colonnes. Outre son architecture remarquable, le monastère abrite le Musée d’histoire, une petite merveille. En tout, il vous faudra bien deux heures pour vous laisser pénétrer par la paix insolite des lieux, auxquels des successions d’inachevé confèrent un charme étrange. Tous les étés, un festival flamboyant, pluridisciplinaire, résonne sous les vénérables voûtes, attirant des milliers d’auditeurs enflammés.

Des fourmis dans les jambes

Sant Feliu est enchâssée dans une côte découpée, tourmentée, creusée de dizaines de criques profondes, hérissée de falaises abruptes que les pins parasols disputent à la mer, à l’extrême limite du Baix Empordà, là où commence la Selva. Cette splendeur tranquille se laisse contempler au fil de chemins de ronde aux vues magnifiques, ponctués de belvédères et de miradors. En arrière-plan, la découpe des Gavarres promet des excursions au cœur des massifs boisés aux odeurs de garrigue. D’ailleurs l’ancienne ligne de train qui reliait autrefois la ville à Girona, connue sous le nom de « Carrilet » est devenue une voie verte de 37 km très prisée des cyclistes, des piétons mais aussi des familles qui y musardent en jouant. Le printemps transforme cet immense terrain de jeu en orgie de couleurs et de senteurs portées par les vents iodés. Pourtant, Sant Feliu attend aussi de pied ferme tous ceux qui aiment les sports nautiques et même ceux qui adorent contempler la mer de haut, en équilibre à fleur de falaise sur l’une des vias ferratas les plus vertigineuses de Catalogne, une véritable attraction. Les inconditionnels des eaux trouvent ici leur bonheur, décliné en kayak, voile, windsurf ou snorkel, mais ce qui fait vraiment le caractère unique des lieux, ce sont les fonds marins de la Cala Ametller et de la Cala Vigatà, inscrits dans un programme européen de divulgation scientifique et de protection écologique. Caboter de crique en crique, les yeux levés vers la montagne ou plongés dans la pureté turquoise des eaux, dans la douceur du soleil précoce d’avril ou de mai est un privilège aussi rare qu’accessible, c’est un des sortilèges de Sant Feliu.

L’amour du style

Dans un autre registre, l’ermitage de Saint Elme, à l’origine une petite chapelle datant de 1723 dédiée à Notre-Dame du Voyage, a été reconstruite en 1923, dans le cadre de la cité-jardin de la montagne de Sant Elm (un complexe alliant station balnéaire, fontaines, jardins et villas modernistes), un projet impulsé par un industriel local. Il renferme de belles peintures allégoriques et possède un belvédère perché qui offre de très belles vues sur les tours de Tossa et Palamós, au loin, mais aussi sur le port de pêche en contrebas. Un petit port vraiment stylé, surveillé par sa maison de secours aux naufragés, qui domine la mer. Si des llaguts nonchalants dorment sur la plage, les chalutiers et les grandes barques se dandinent sur les eaux en murmurant de tous leurs mâts l’épopée des marins, les chants nostalgiques des tavernes, le temps où chacun vivait du commerce et de l’exportation du liège. Ici, même la mort est belle. Et plurielle. Le cimetière, à la fois civil, catholique et maçonnique, construit en 1883, est un véritable catalogue de styles et de spiritualités. Le tympan de son portail est décoré d’un sablier, symbole universel de finitude. Des allées bordées de cyprès conduisent à des tombes célèbres comme l’hypogée Estradai ou encore les panthéons Sibilis, Vilaret, Casas et Rabell. Le président de la Generalitat en exil pendant le franquisme, Josep Irla, repose dans cette île de paix, tandis que les frères de la Loge Gesoria y contemplent l’orient éternel sous leurs tombes peuplées de symboles. Entre mer et massif des Gavarres, Sant Feliu dessine une parenthèse enchantée, un trait d’union entre l’élan vertical du monastère et une douceur de vivre résolument terrestre.

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