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Terra Alta, Racines au ciel

26 Juil Terra Alta, Racines au ciel

Là où la Catalogne donne rendez-vous à la Franja de Ponent, devenue aragonaise au hasard des découpages administratifs, s’étend une petite comarca rurale à lire comme un manifeste méditerranéen, sec et minéral, où seules la vigne et l’olivier tiennent la dragée haute à la garrigue. Un pays singulier et beau.

Terra Alta: Hautes Terres. Le nom dit déjà tout. D’abord la proximité de l’Ebre qui, bien qu’invisible et lointain, donne la mesure des lieux, leur diapason et leur compas. Des lieux situés à la fois en amont des eaux et à plus haute altitude que le delta. Cette hauteur parle à elle seule de montagnes. Imaginez des zones de collines abruptes parcourues de routes sinueuses, de parois verticales qui stoppent l’élan des hommes, de gorges étroites et de falaises vertigineuses… Sur ces hautes terres arides, les cultures méditerranéennes, appelées en catalan « cultures de secà », (cultures de sécheresse), déclinent le triptyque méditerranéen traditionnel, celui qui accompagne les pins et les garrigues, qui fleure bon le thym et le fenouil : « vignes, oliviers, blé ». Ils lui rajoutent, comme pour un mendiant offert aux caresses du ciel, l’amande et la noisette. Les propriétés terriennes sont morcelées par un relief serré qui laisse peu de place aux grands épanchements territoriaux, ce qui favorise l’émergence d’un véritable damier ocre, jaune et vert, dont les cloisonnés sont matérialisés par des murets de pierres sèches. Un paysage paisible, à la fois humble et altier. La faible densité de peuplement écarte les uns des autres la poignée de gros villages qui constituent la comarca, troupeau éparpillé autour de son berger, Gandesa, sa capitale.

Des paysages cubistes

Tout au sud de cet espace se trouve la jolie ville fortifiée d’Arnes, une petite merveille de pierre aux belles maisons seigneuriales à arcades et portes en plein cintre ourlées de marbre blanc. Les quartiers anciens sont délimités par des oratoires situés en hauteur. Autrefois, les vignes peuplaient les terrasses environnantes mais le fléau du phylloxéra les a remplacées par l’olivier. Détail curieux, les balcons aux rambardes de bois tourné donnent une physionomie vaguement basque, ou bien alpine, à l’ensemble. La petite place, à côté de l’Hôtel de Ville, offre une vue magnifique sur le cirque des « Ports » (Cols). La figure du carré est assez présente pour expliquer, du moins en partie, les travaux de Picasso sur la déstructuration des volumes, entamés à Horta de Sant Joan, la ville voisine. Ici, les blocs de pierre de la montagne, les toits aux pentes disruptives, créent une syntaxe géométrique particulière. C’est ici que le jeune Pablo, formé à l’école de la Llotja de Barcelone a, selon ses propres termes, « tout appris », lors de vacances chez son ami, Manuel Pallarès en 1898 puis en 1909. Le petit musée local, s’il n’abrite, bien sûr, que des reproductions, constitue une plongée dans l’imaginaire du peintre nourri par le paysage. Horta de Sant Joan est une des étapes de la Route des Paysages des Génies qui sillonne les terres tarragonaises à la recherche de ces décors naturels qui ont inspirés Casals, Gaudí, Picasso et Miró. Au nord-ouest de ces villages somme toute montagnards commence une terre vallonnée, creusée de ravins bordés de roseaux, hérissée des genêts locaux dont le feuillage échevelé aux reflets presque jaunes ensoleille la garrigue. Prat de Comte et Pinell de Brai étagent leurs maisons aux toits de tuiles ocres sur le flanc des collines et la vigne reprend ses droits le long des coteaux. Juste au centre de la comarca s’élève Gandesa, la capitale, veillée par le plus haut sommet de la région, le Puig Cavaller, et entourée de montagnes ouvertes aux pas des randonneurs et bruissantes de sources fraîches ou médicinales. Il s’agit d’une ancienne place-forte templière, longtemps administrée par les Hospitaliers dont subsiste une résidence, le Palau del Castellà, et aussi d’un des hauts lieux de résistance de la Bataille de l’Ebre. Le portail de l’église romano-gothique est de toute beauté, mais c’est au palais de « Ca l’Inquisidor » qu’éclate tout le génie du gothique catalan. à quelques encablures au nord de la capitale, vous avez rendez-vous avec l’histoire. Corbera d’Ebre est un peu le Guernica ou l’Oradour sur Glane catalan. De sa hauteur intacte, l’église baroque, massive, énorme, veille sur des maisons désossées, calcinées, qui dressent leurs moignons de pierre à contre-ciel. Ici, le temps s’est arrêté lors du terrible automne 1938. Depuis, grillons et insectes se souviennent de l’écho des bombes et la terre a absorbé le sang des jeunes soldats. 

La quête de l’eau

Malgré le soleil, Corbera conserve les stigmates de l’Histoire, mais il touche au cœur. Autour, si tant est que l’on puisse parler de proximité dans ce paysage aux dénivelés prononcés qui contraignent les routes à d’impressionnantes séries de lacets, le curseur désigne la vigne. à la Fatarella, vous aimerez les passages secrets à arcades et la tour de guet musulmane. De grands bassins de pierre qui recueillent l’eau de pluie, d’énormes lavoirs emprisonnant l’eau précieuse des sources, trahissent une des grandes préoccupations locales, la quête de l’eau. Cette préoccupation est si forte que dès les années 80, le village s’est tourné vers le développement durable et se trouve très en avance sur les énergies renouvelables comme le démontre la jungle d’éoliennes qui danse au gré du vent ! Même combat dans le joli village de Vilalba dels Arcs, une ancienne commanderie templière dont les rues étaient autrefois ornées d’arcades. La grande église baroque, la jolie chapelle romane méritent le détour, mais ce sont les alentours qui remportent la mise : un magnifique cimetière qui couronne la colline, desservi par une allée sinueuse ombragée de grands cyprès, un double lavoir murmurant, un vieux moulin à huile et enfin, au bout d’un chemin poussiéreux qui mène à l’Ebre, un étrange ermitage encastré sous une énorme roche. Des dizaines d’associations animent le village, étonnamment vivant, rafraîchi par sa « bassa » son grand réservoir d’eau où buvaient les ovins lors de la transhumance. Encore un paysage d’amandiers, de noisetiers, d’oliviers qui souligne le vert des vignes, quelques ravins cachés par des roseaux assoiffés, un entrelacs de virages marqués, et c’est l’arrivée à Batea, connue pour ses vins et ses anciennes distilleries d’eau-de-vie, son joli centre ancien aux demeures à arcades, ses douze moulins, ses deux puits à glace et surtout… Ses très nombreux cafés, encore au nombre de huit aujourd’hui. Pendant la guerre d’Espagne, Batea a accueilli un hôpital de campagne et joué à ce titre un rôle cardinal. Enfin, tout au nord, là où l’Ebre entre en Catalogne après son grand périple, sur la ligne ferroviaire Barcelone – Saragosse, au bord de la rivière Matarranya, s’élève la Pobla de Massaluca, un tout petit village entouré de réservoirs d’eau aux jolis noms comme lo Tancat, lo Bassot, Coscolloga et doté d’une belle église gothique. Si la Terra Alta a su tirer le meilleur de ces terres arides, accidentées, c’est à force de travail, grâce au labeur patient de générations acharnées. Ici quand on arrache de la vigne, on plante des oliviers. Et si le gel a raison de l’arbre tutélaire, on plante des amandes. Le tourisme est un appoint plus qu’une finalité, même si la tradition d’accueil ancestrale des terres pauvres se traduit par de magnifiques gîtes ruraux qui sentent bon l’authenticité paysanne. Terra Alta mérite bien son nom, elle donne envie d’être à la hauteur de son histoire, de ses paysages, de ses gens. On ne la quitte pas sans en conserver au cœur comme une fleur ouverte.

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