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Château de Cardona, cœur de lion

04 Oct Château de Cardona, cœur de lion

C’est l’un des châteaux les plus imposants de Catalogne, qui hisse son imposante silhouette sur une butte presque conique, haute de plus de 600 mètres au-dessus de la vallée du Cardener et sa montagne de sel. Un symbole aussi, de résistance et de noblesse. Catalan.

Le château de Cardona, situé sur le front occidental lors des affrontements avec les Musulmans du califat de Tolède, est mentionné pour la première fois à l’époque carolingienne, c’est-à-dire au VIIIe siècle, et déclaré détruit par l’ennemi. En ce temps là, la guerre contre l‘islam est la principale activité de la période franque en quête de légitimité territoriale et de reconquête chrétienne qui préfigurait ce qui allait devenir la Catalogne. Reconstruit sur l’ordre du roi franc Louis Ier, « le Pieux », le château trouve son lustre sous le règne de Guifred le Velu, au moment même ou émerge, à partir des comtés du nord, la nation catalane. Il obtient même sa première charte de peuplement en 878, bien avant la plupart des villes catalanes ! Au fil de l’histoire, les seigneurs du château s’affranchissent des vicomtes d’Osona, constituent une baronnie, puis un puissant duché qui n’est pas sans rappeler la puissance, en France des duchés de Bourgogne ou de Bretagne. Peut-être inspirés par la silhouette inexpugnable de leur château, les ducs de Cardona, ombrageux et soucieux de leur autonomie, s’avèreront toujours des vassaux turbulents pour les comtes de Barcelone. Cousus d’or grâce à l’exploitation du sel dont la montagne regorge et qui est vendu dans toute l’Europe, liés aux plus grandes familles européennes, ils connurent un prestige international, au point d’être surnommés « les Rois sans couronne ». En 1714, pendant la guerre de succession d’Espagne qui aboutira à la mise en coupe réglée de la Catalogne par Philippe V, opposé à la dynastie à tradition fédéraliste des Habsbourg, Cardona sera la dernière forteresse catalane à tomber face à l’ennemi, le 18 septembre, soit une semaine exactement après Barcelone. Dans le hall de la mairie, une flamme allumée rappelle fièrement cet ADN de résistant.

Grandeur retrouvée

En 2014, à la faveur de la commémoration des événements de 1714, le château a été largement restauré et muséographié afin que les visiteurs puissent en appréhender les états successifs et en connaître l’histoire mouvementée. Si la moitié du bâtiment abrite depuis 1976, soit après la mort de Franco, un « Parador », c’est-à-dire un hôtel de luxe situé dans un ensemble historique, le reste du bâtiment dépend de la Generalitat de Catalogne et déclaré monument historique depuis 1931, soit sous la seconde république espagnole. à l’approche du château, on distingue bien la partie médiévale, finalement la mieux conservée. Mais avec l’hégémonie des armes à feu, au cours des XVIe et XVIIe siècles, il a fallu revoir entièrement son système défensif, en rajoutant, autour de 1640, une couronne de remparts sans fossés, puis entre 1702 et 1715, un nouveau cercle de remparts, défendus par des poudrières et une casemate. Intacte, celle-ci était l’emplacement de l’artillerie qui protégeait le chemin couvert. Elle est conçue comme un bunker à deux étages et relie trois réservoirs de poudre. La visite permet de constater le gigantisme qui présidait alors à la construction des ouvrages défensifs et la peur que suscitaient les avancées napoléoniennes qui embrasèrent la péninsule. Au cœur de l’ensemble défensif, la collégiale Sant Vicenç, quasiment intacte, s’élève entre les remparts comme elle le fait depuis tant de siècles. Sa construction a commencé en 1019 ! Elle a donc mille ans cette année et a connu nombre de vicissitudes dont sa transformation en caserne et en  simple hangar suite à l’exil de ses moines. Mais il en aurait fallu bien davantage pour lui faire rabattre de sa superbe. Survivante obstinée, elle a été restaurée en 1949 par l’architecte Alexandre Ferrant. Il s’agit d’une assez grande basilique, divisée en trois nefs qui mêle avec bonheur une tradition carolingienne venue du nord de l’Europe en termes de structure (abside, transept, chœur, chevet) et l’expérimentation, notamment avec des peintures murales de toute beauté, d’un premier roman méridional, que l’on peut déjà nommer catalan.

Tours et détours

Ces œuvres picturales précoces, magistrales, considérées aujourd’hui comme le prototype des fresques romanes catalanes, sont désormais exposées au Musée National d’Art de Catalogne, comme la plupart des fresques relevées dans les églises catalanes. La Torre de la Minyona (Tour de la Mignonne), située juste à côté, dont le dernier étage a été supprimé au XIXe siècle, est une très belle tour de garde de 15 mètres de haut et d’une circonférence de 10 mètres. Construite au XIe, elle constituait un outil de surveillance du territoire hors pair qui faisait de Cardona une vigie terriblement efficace. Ces deux éléments sont pratiquement intacts et font l’objet, au choix, de visites guidées ou théâtralisées, complétées par celle des différents cercles de remparts. Est-il utile de le dire, les vues sur Cardona, sur la belle vallée du Cardener et sur la montagne de sel sont extraordinaires. Malheureusement, les autres éléments architecturaux comme la Salle Dorée ou la Salle des Entresols se trouvent intégrés dans le Parador et donc, non visitables à moins d’en être le client, c’est la loi du genre. Ils sont pourtant grandioses comme le laissent supposer la masse énorme du bâtiment, ses nombreux corps de logis, ses cours d’armes et ses passages secrets. Ici pour la petite histoire, en 1965, Orson Welles tourna une grande partie de son « Falstaff », émerveillé par le hiératisme de ces lieux habités d’histoire et le grand gambiste et chef d’orchestre Jordi Savall a enregistré nombre de disques, inspiré par l’impeccable acoustique offerte par l’architecture sobre et belle. Le château de Cardona est davantage une expérience qu’une visite. Il impose de deviner ce qui manque, mais dont la force incroyable nous habite longtemps après l’avoir quitté.

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