30 Juil LE PALAIS DES ROIS DE MAJORQUE
De loin, la citadelle de brique rouge domine Perpignan, soulignée par la silhouette de deux tours de pierre. Elle rappelle au monde la puissance et la gloire de l’éphémère Royaume de Majorque qui fit de Perpignan sa capitale continentale et changea à jamais son destin.
D’où que l’on monte vers la forteresse, à travers le dédale de rues étroites et sinueuses du Perpignan ancien, on butte sur la formidable masse des remparts et le glacis conçu tardivement par Vauban quand Perpignan s’est brutalement retrouvée ville frontalière à la signature du Traité des Pyrénées et que l’ensemble a été transformé en citadelle. Deux portes seulement, en permettent l’entrée, dont l’une est réservée à l’armée qui possède encore la moitié des lieux, côté place d’Andalousie, en face de l’Arsenal. Devant la magnifique église de La Réal, la Royale, construite par et pour les Rois de Majorque, au-delà du jardin d’enfants Pau Roure, qui désormais recouvre l’imposant glacis, une large porte latérale est inaccessible au public.
En haut des marches…
De l’autre côté de la colline enfin, côté ouest, la muraille se creuse en une petite placette semi-circulaire. Un portail bas encadré d’une voûte en plein cintre de marbre blanc fermée d’une grille épaisse ouvre sur un étrange escalier aux marches très larges et très basses recouvertes d’une calade de galets de rivière parée de marbre blanc de Baixas, presque une rampe. Il est conçu pour que les chevaux puissent le gravir sans problème pour accéder à la cour d’honneur. En haut des trois grandes volées de marches en épingle à cheveux, une première surprise attend le visiteur, la beauté méditerranéenne de jardins exubérants, héritiers des figueraies, pommeraies, vignes, orangeraies et oliveraies plantées à côté des parterres d’agrément sur ordre de Jacques II de Majorque pour nourrir les habitants du château. La vue sur la ville, le piton rocheux de Força Real et le Canigou est absolument sublime et sans équivalent dans la ville dont le palais occupe à juste titre le point le plus haut. Côté château, la profondeur des douves, aujourd’hui asséchées et herbues, surprend et rappelle s’il le fallait, la mission défensive de cette demeure royale qui restait une garnison importante puisque le Royaume de Majorque, menacé dès sa naissance, se trouvait coincé entre la France et le royaume d’Aragon.
Immortel royaume
Il faut franchir un pont-levis encore doté d’une impressionnante herse massive de bois sombre, largement inspiré des châteaux forts médiévaux, et c’est l’arrivée dans la cour pavée des Rois de Majorque. L’architecture, à la fois délicate et solide, présente une gracieuse asymétrie. Sur deux côtés courent au premier étage de belles galeries à ogive, desservies de part et d’autre par de larges escaliers de marbre aux marches hautes. L’étage repose sur des galeries en plein cintre qui ouvrent sur les galets de la cour d’honneur. Jacques II, premier monarque de l’éphémère royaume de Majorque a doté sa capitale continentale d’une forteresse-résidence de toute beauté, jumelle de son château de Palma. Une merveille d’architecture qui hésite encore entre roman tardif et gothique, et annonce la tendance renaissante en mêlant fonction militaire et résidence royale. Les appartements royaux sont constitués de vastes salles pavées où trônent encore des cheminées monumentales. Celle de la salle d’apparat, où l’on recevait et restaurait les invités, communique directement avec les cuisines par un escalier dérobé. Les appartements de la reine et la loggia attenante sont ornés d’un magnifique plafond. Deux chapelles superposées étaient respectivement réservées au roi et à la reine, elles ont été consacrées en 1285. La chapelle basse, toute de marbre rose, est de toute beauté. Elle présente une étrange inscription en coufique, qui dit « Il n’est de Dieu que Dieu », un élément orientalisant qui correspond bien à la forte présence d’éléments végétaux et au style mudéjar de l’ensemble. Au-dessus des chapelles s’élève une autre tour, aux parements de marbre blanc. Les pièces sont grandes et éclairées de larges fenêtres, dont certaines sont ornées de bancs hauts. Le Palais était approvisionné en eau potable par un puits alimenté par le canal dérivé de la Têt à hauteur d’Ille, puits que l’on peut encore admirer en plein centre de la cour d’honneur.
Messages secrets
à l’entrée de Perpignan, côté route d’Espagne, subsiste un aqueduc en fonctionnement qui achemine les eaux de ce canal. Les souterrains qui environnent le puits étaient un des passages secrets qui permettaient de quitter le palais en cas de danger. À l’époque des Rois de Majorque et jusqu’au XVIe siècle, le palais possédait sa propre ménagerie, sans doute au début constituée au hasard de divers cadeaux protocolaires offerts par des seigneurs et marchands du pourtour méditerranéen. Au XIVe les livres d’inventaire mentionnent encore des perroquets, un ours, un loup, des autruches et des lions. Jusqu’en 1493, date de l’expulsion définitive des juifs par les Rois Catholiques, un impôt prélevé sur l’importante communauté perpignanaise permettait de financer l’entretien de ce zoo dont les fauves étaient par ailleurs nourris par de pauvres chèvres élevées sur place, sur les prés qui bordaient les douves ! Malgré tous ces agréments destinés à rendre agréable la résidence des monarques, le Palais des Rois de Majorque a été d’emblée conçu comme un puissant ouvrage défensif. Il a d’ailleurs été l’objet de plusieurs sièges menés par les Français sous Louis XI en 1463, 1473 et 1474 ! Lors de la signature du traité des Pyrénées, Vauban, chargé de défendre la nouvelle frontière des Pyrénées, y a encore rajouté des fortifications en construisant la citadelle proprement dite. Il s’agit de l’un des fleurons du gothique catalan, qui pose les bases d’un appareil classique de l’architecture perpignanaise avec l’utilisation des galets de rivière et du marbre gris de Baixas, appareil que l’on retrouve dans d’autres ouvrages contemporains comme la cathédrale Saint Jean Baptiste ou le Palais de Députation.
Pas de commentaire