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Rencontre avec François Capdellayre et André Serret

02 Juin Rencontre avec François Capdellayre et André Serret

François Capdellayre (Président) et André Serret (Directeur) président aux destinées des Caves Dom Brial de Baixas. Respectivement natifs de Baixas et de Rivesaltes, ils ont accepté de nous parler du Riberal d’une façon inédite : le Riberal en mode vin !

Cap Catalogne : Quand on dit « Riberal » on pense traditionnellement aux terres alluviales de la Têt et à ses maraîchages, mais pas forcément aux vignes, associées à des terres moins meubles. C’est une idée reçue ?

François Capdellayre : Non, c’est une réalité, bien sûr, mais elle est à nuancer. Évidemment le Riberal est un véritable jardin maraîcher et les fruitiers s’y taillent la part du lion. Mais il ne faut pas perdre de vue, que traditionnellement, ces arbres ont toujours très bien cohabité avec la vigne du temps où les petites exploitations visaient l’autarcie. C’est la main de l’homme qui décide des monocultures sous le poids des nécessités économiques… Comme tout fleuve, la Têt a ses terrasses. Ici des restanques de galets roulés posées sur des strates du quaternaire. Cette bande de terre particulière possède ses coteaux, donc ses ubacs et ses adrets. C’est là que s’est installée la vigne, sur des terres nobles et fertiles. Et toute une partie du vignoble Dom Brial est située sur ce terroir bien particulier, qui descend en pente douce vers le fleuve.

André Serret : Ne croyez pas que c’est une coquetterie, la spécificité de ces terres est telle que nous sommes en cours de référencement d’une nouvelle appellation Côtes du Roussillon-villages. L’INAO (Institut National de l’Appellation et de l’origine) a procédé à de longues études avant de statuer. Il a reconnu la vraie singularité de ce terroir du Riberal. En fait on se trouve sur d’anciens soulèvements marins avec des PH acides qui garantissent des produits à la fois frais et charpentés, et ne ressemblent pas à ce que l’on trouve plus haut, là où commence le schiste.

CC : Vous avez une idée de ce que sera cette appellation ? Vous avez parlé de Côte du Roussillon Villages, ce serait Baixas ?

FC : D’abord, nous n’en sommes qu’au début de la démarche, il faut du temps, cela veut dire que ce serait la quinzième appellation des Pyrénées Orientales, et ce n’est pas une mince affaire même si nous sommes très confiants sur l’aboutissement. Ensuite, attention, cette façon de faire figurer un nom de village après l’appellation Côtes-du-Roussillon, est la norme dans le département, certes, mais ce n’est pas le cas partout, on peut imaginer d’autres cas de figure. En outre nous rencontrons un autre problème avec la réglementation européenne, même s’il est anecdotique. En l’occurrence, le nom de « Baixas » est déjà pris par les Portugais ! Il va falloir qu’on fasse preuve d’imagination.

AS : Notons quand même que les terroirs dont on parle sont davantage du côté de Pézilla que de Baixas. Disons qu’on travaille à un nom qui soit à la fois fidèle à la réalité et quand même vendeur.

CC : Ces vins du Riberal vous les définiriez comment ?

AS : Je dirais qu’ils correspondent à l’air du temps, ils sont faciles à boire, en ce sens qu’ils s’adaptent parfaitement au quotidien, parce qu’ils sont légers. Nous avons quand même une bonne vision de ce que recherchent les jeunes, c’est-à-dire des vins simples, des vins plaisir, des vins ludiques Mais aussi, ces vins du Riberal ne sont pas réductibles à quelque chose de monolithique. Tout change en fonction des températures du sol, de l’ensoleillement, de l’exposition au vent,  de la géologie. Au cœur de ces terrasses de la Têt, évidemment étagées, on trouve des terres plus rocailleuses, des mini-aspres en quelque sorte. C’est toute la magie de notre métier. Tous les vignerons le savent, d’une parcelle à l’autre tout change, et un terroir, c’est forcément une mosaïque. Oui, je dirais légers et faciles à boire !

FC : Moi j’ai envie d’employer deux adjectifs : singuliers et résilients. Tous nos vins viennent de loin dans la mémoire collective mais d’une certaine façon, ils reviennent de loin aussi, après avoir joué les vins-médicament pendant des décennies en dehors de chez eux. Ils s’épanouissent enfin dans toutes leurs différentes et leurs qualités gustatives avec tout le respect qui est dû à leur identité propre. Alors oui, singuliers parce qu’ils ne ressemblent à rien d’autre, parce qu’ils sont sur un terroir dont on connaît les limites mais qui pour l’instant n’a pas de nom propre, et résilients parce qu’ils prennent enfin leur revanche sur l’histoire. Et je pense que ce n’est pas fini, nous sommes à l’aube de grands changements.

CC : Ces vins, en tant que fils du pays, vous les associez à des plats particuliers, des madeleines de Proust ?

FC : Sans hésiter, en tant que baixanenc, le freginat, c’est quand même le must chez nous.

AS : Moi ce serait les boles de picoulat mais je sais qu’on va tomber d’accord sur le dessert, le pas d’ous.

FC : Vous voyez, quand vous parlez de Madeleine de Proust, je pense à ma grand-mère et je voudrais dire aussi que le vin, c’est d’abord une histoire d’hommes, une histoire d’entraide et de volonté de travailler la terre au corps. Quand vous nous demandez ce qu’est un vin du Riberal, j’ai envie de vous dire que c’est un vin produit par les gens du cru et que ces gens du cru sont soumis aux mêmes lois que le raisin. C’est cet apport immatériel qui va sublimer les spécificités climatiques et géologiques.

AS : Je dirais même que qu’une certaine façon, il y a dans les vins des terrasses de la Têt toute la saveur des autres cultures qui s’y font, toutes les odeurs de la garrigue, toute la mémoire de l’eau. C’est difficile à expliquer mais c’est ce qui fait tout le prix du vin.

CC : Vous dirigez la plus grande cave viticole du département, mais on sent votre volonté d’aller toujours plus loin, d’explorer de nouveaux défis, de ne pas vous endormir sur vos ceps…

FC : Quand on a la chance d’avoir un territoire vaste et divers comme le nôtre, qui permet à peu près tous les types de vin, l’émulation est partout. Imaginez qu’on va des vins doux naturels au rancio, des rouges capiteux aux blancs gouleyants, sans s’interdire les rosés tendances !

AS : Et en multipliant les cépages ! Pourtant nous sommes convaincus que les appellations sont le nerf de la guerre, ce sont elles qui garantissent la traçabilité et l’identité, elles aussi qui permettent au consommateur de se repérer plus facilement.

FC : Je crois que toutes les innovations sont possibles et toutes les audaces permises à condition de s’ancrer dans une tradition. De ce côté là, Dom Brial est plutôt bien placé, et c’est ce qui explique sans doute son développement.

CC : Justement, avec cette terrible année Covid, comment se passe l’exportation ?

FC : Il n’y a pas eu que la Covid ! On a un peu multiplié les catastrophes avec les blocages de l’administration Trump mais nous avons bon espoir de redresser la barre cette année. Disons que quand on est paysan, on sait qu’il y a des années où il faut faire le gros dos pour mieux rebondir. Le Riberal nous offre une nouvelle opportunité, alors bien sûr, nous allons la saisir !         

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