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FORMIDABLE TROMPE-L’ŒIL

02 Avr FORMIDABLE TROMPE-L’ŒIL

Accroché au rocher, littéralement suspendu à 150 m au-dessus de la cluse étroite où niche la belle ville fortifiée de Villefranche de Conflent, initialement édifiée pour verrouiller la vallée de la Têt et interdire l’accès à la Cerdagne, le Fort Libéria cultive son mystère.

Dans le sillage du Traité des Pyrénées, Sébastien Vauban arrive en pays catalan pour fortifier la nouvelle frontière, déplacée à 50 km au sud de la frontière naturelle qu’avait toujours constitué les Corbières. La Cerdagne, avec sa géographie de haut plateau, est assez peu protégée, d’où la création de la citadelle de Mont-Louis. Mais il reste essentiel de contrôler la descente vers le Conflent et donc, vers la plaine roussillonnaise. Devant Villefranche et ses remparts, l’ingénieur royal montre beaucoup de scepticisme allant même jusqu’à dire que le site est trop facilement prenable ! Il décide donc de construire de nouvelles fortifications pour renforcer le site, mais dans une topographie aussi contrainte, rendue plus ardue encore par le Confluent de la Têt et du Cady, les solutions ne se bousculent pas. Vauban choisit donc un surplomb assez vaste pour pouvoir y construire une sorte de fortin sur trois niveaux, capable d’héberger une garnison et aussi jusqu’à huit canons. En quelques années de très dur labeur, c’est chose faite : 100 soldats et leurs officiers habitent le Fort et veillent depuis le ciel sur la ville en contrebas et la montée vers la Cerdagne. Pourtant, dans un premier temps, faute de guerre extérieure, le Fort Libéria, situé à l’extrême-sud du territoire français, sert de prison discrète, pour ne pas dire d’oubliette de luxe. La première prisonnière est Inès de Llar. Par la suite, Louis XIV, soucieux de mettre à l’abri sa favorite, Madame de Montespan, inquiétée dans l’affaire des Poisons qui aboutit à des centaines de bannissements et des dizaines d’exécutions, interne deux femmes, Anne Guesdon (femme de chambre de la marquise de Brinvilliers) et La Chapelain. Le but : éviter qu’elles ne parlent et ne compromettent à terme des proches du Roi. Elles passeront respectivement 36 et 43 ans sur place à attendre la mort. Il faut bien comprendre que le Roussillon apparaît alors comme une province étrangère, presque une terre sauvage, pas encore vraiment acquise. Il n’y a pas plus loin de Paris et de la Cour !

Vertigineux et inutile

En 1793, en pleine Convention, la plupart des monarchies européennes, menacées dans leurs fondements par la Révolution Française se sont coalisées contre la France qui a, deux ans auparavant, décapité Louis XVI et Marie-Antoinette se rendant ainsi coupable de régicide. L’Espagne envoie des troupes en Roussillon et conformément à la prédiction de Vauban, elles prennent Villefranche, d’autant plus facilement sans doute, que la collusion de langue et de culture avec la population est patente. Mais surtout, il s’avère que le Fort Libéria est cantonné à un rôle purement dissuasif car les projectiles tirés depuis ses remparts n’atteignent pas les assaillants en contrebas ! Du coup, citadelle, batterie, casemates, tours, échauguettes et pont-levis n’ont de formidable que l’apparence. Mais le trompe l’œil fonctionne. Les Espagnols, faute d’ordres clairs de leur état-major, décident de lever le camp ! Fin de la carrière militaire proprement dite du Fort Libéria ! On raconte que les militaires eurent l’idée de transporter les canons d’une fenêtre à l’autre pour faire croire à la présence d’une artillerie lourde. Longtemps, il fallait emprunter un chemin particulièrement escarpé, qui existe encore en parallèle à la route carrossable mais vertigineuse, pour rejoindre le fort. Rien ne vaut sans doute la navette qui attend les visiteurs sur le parking pour allier sensations fortes et pleine sécurité. En 1850, Napoléon III fait construire un souterrain ou plutôt un chemin couvert de 734 marches, soit autant qu’en compte la vénérable Tour Eiffel, pour permettre aux soldats de gagner la garnison ou de la quitter sans risque : il rejoint ainsi un vieux rêve de Vauban qui avait un temps envisagé de creuser un souterrain sous la Têt ! Cet escalier, improprement appelé escalier aux mille marches, est la véritable célébrité du lieu : près de 15 000 personnes l’empruntent tous les ans !

Une star du tourisme

En 1925, après la Première Guerre Mondiale, les Domaines mettent le fort en vente : trop cher à entretenir, ne présentant pas d’intérêt militaire en ces temps de paix, peu accessible, il est vendu à un certain Monsieur Laurens, un ancien armateur. Ce dernier compte transformer l’architecture pour le moins spartiate de la petite citadelle en maison de retraite destinée aux officiers de marine. C’est à lui que nous devons notamment la cour d’honneur plantée de magnifiques platanes mûriers. Le projet tomba à l’eau faute de pensionnaires, sans doute en partie du fait de l’éloignement de la mer et du caractère excentré des lieux, somme toute assez rébarbatif. En 1955, le Fort est une nouvelle fois vendu à un riche particulier. Enfin, en 1984, la municipalité le cède sous la forme d’un bail emphytéotique à la famille Mené. Il faut attendre 2009 et le nouvel intérêt suscité par les œuvres de Sébastien Vauban et en particulier, celles qui marquent la frontière pyrénéenne pour qu’interviennent deux faits décisifs : le classement du fort aux Monuments Historiques en avril 2009 qui le place sous la protection du Ministère de la Culture et son inscription sur la liste du Patrimoine Universel de l’Unesco le 7 juillet 2008. Aujourd’hui, le Fort Libéria, fort de cette double caution, est devenu une attraction touristique majeure. Non seulement la visite est passionnante, mais elle est ensoleillée car contrairement à Villefranche, le Fort Libéria est construit sur le versant ensoleillé de la vallée. Les vues sur la trouée de la vallée, les montagnes environnantes et la ville enserrée dans ses remparts et arrosée par la Têt sont magnifiques, notamment à partir de la jolie galerie de la contrescarpe et ne manquent pas d’inspirer peintres et photographes. Sous la caméra de André Hunebelle, la forteresse défendue par son pittoresque pont-levis fait une apparition dans « Le Bossu » avec Jean Marais, et dans le ciel, il n’est pas rare d’entrevoir, au milieu des gypaètes barbus et des aigles de Bonelli, le vol plus poussif d’un drone. à sa façon, le Fort Libéria est une star !

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