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Le Pallars Sobirà, le troisième royaume

31 Mai Le Pallars Sobirà, le troisième royaume

Entre principauté d’Andorre et quasi-principauté du Val d’Aran, coupé des terres du nord par des montagnes énormes, presque infranchissables, un beau pays suspendu joue des pics et des sommets pour pointer le fuseau étroit de ses vallées profondes au beau milieu des Pyrénées. C’est le Pallars Sobirà.

Sobirà signifie à la fois souverain et supérieur. L’adjectif est doublement mérité, d’abord parce qu’il constitue la partie la plus haute et la plus septentrionale de l’ancien comté du Pallars. Ensuite, parce qu’il possède une autorité naturelle, semblable à celle d’un donjon dominant les remparts, une prééminence née des falaises abruptes, tempérées seulement par les forêts de conifères, de rouvres et de chênes verts. Des éboulis, parfois de subtils gradins de plaques sombres et lisses aux reflets de mica, paraissent ruisseler, tant la lumière y éclate à gros bouillons changeants. Pendant des kilomètres, la route dévoile des lacets serrés, parfois acrobatiques, sur une mer de montagnes veloutées parsemées de rares, très rares prairies. Pas le moindre toit de mas perdu, pas le moindre ermitage perché. Juste la nature dont la puissance se respire. Le pic le plus élevé de Catalogne, la Pica d’Estats au trois sommets dressés, veille sur les vallées du haut de ses 3142 mètres d’altitude. L’habitat, rare, est parfois si isolé qu’on peine à entrevoir les voies d’accès. Le Pallars Sobirà est la comarca la plus étendue et la moins peuplée de Catalogne, un paradis pour les isards, les sangliers et les rapaces. Ici, ce sont les rivières qui vertèbrent le paysage et les lacs glaciaires qui dessinent le regard profond des montagnes, sans qu’on puisse très bien savoir s’il nous observe ou contemple au contraire de mystérieux abysses. Ici, la nature est intacte et déterminée à le rester. Deux parcs naturels se partagent une grande partie du territoire, le Parc Naturel d’Aiguestortes i de l’Estany de Sant Maurici, le seul parc de Catalogne récipiendaire du label fédéral et dépendant des ministères espagnols et le Parc Catalan de l’Alt Pirineu.

Les miracles de l’autarcie

Les enchantements montagnards y sont sensiblement les mêmes. L’objectif majeur est de ne permette aucune déprédation, aucune cueillette sauvage de végétaux, aucune action de chasse sauvage, afin de ne rien troubler de la beauté insolente des lieux, de leur parfum de naissance du monde, de leur aura de paradis retrouvé. De belles réserves naturelles où résonne à l’automne le brame rauque des cerfs, entourent ce monde presque clos, ordonné en vallées qui dévalent à la rencontre des flots rapides de la Noguera Pallaresa, le fleuve roi. La comarca ressemble à une feuille de chêne dont les nervures seraient les torrents, et les feuilles les vallées. Les eaux rapides, bouillonnantes, chantantes, expriment son caractère indompté, que l’homme peine tant à adoucir. L’isolement géographique n’a été battu en brèche par aucun axe routier majeur et constitue depuis la nuit des temps une clé de compréhension de ce territoire singulier. Le Pallars Sobirà est si isolé qu’aucune romanisation ne l’a atteint, une exclusivité. Son premier peuplement, basque comme l’indiquent nombre de toponymes, n’a été chassé par aucun pouvoir musulman. Les Maures ne se sont pas aventurés si haut, sur ces terres pauvres, pentues et inhospitalières. La maison comtale de Pallars, fondée en 920 en tant que vassale des Comtes de Toulouse, a duré jusqu’en 1487 avec la chute du château de València d’Àneu et la fin du règne de Hug Roger III qui le livra aux puissants Ducs de Cardona. C’est la plus grande longévité enregistrée par un comté catalan ! Voilà qui explique sans doute l’enracinement têtu des traditions et l’existence manifeste d’une identité propre, montagnarde, intrinsèquement pyrénéenne. Hérité de cette autarcie, l’élevage reste présent comme en attestent les vaches brunes des Pyrénées qui paissent placidement, les pelotes de brebis qui ornent les prairies ou la course changeante des chevaux sur le vert tendre des prairies. On devine parfois les traces d’anciennes terrasses dévolues à la culture du blé, du chanvre ou de la vigne, laquelle opère çà et là un retour remarqué depuis que les étés des plaines infligent au raisin une brûlure nouvelle qui le blesse à mort. Logiquement, dans un pays peuplé à 45 % de forêts, l’artisanat local fait la part belle aux fromages de vache, de chèvre et de brebis, de plus en plus sophistiqués et au travail du bois, notamment la fabrication de meubles robustes et beaux. Le Pallars Sobirà a pris un virage nouveau vers les années 50-60, avec la construction de barrages hydroélectriques apportant de l’emploi, une prospérité nouvelle et un élan vers la modernité. Bien sûr ces barrages dessinent des plans d’eau qui apaisent la course impétueuse des rivières, les bordant d’arbres et de roseaux et offrent de magnifiques lieux de promenade. Le tourisme demeure la principale activité de la région, et contrairement à ce que l’on pourrait croire, son âge d’or n’est pas l’hiver malgré la présence de trois stations de ski pleines de charme. Espot, juste en dessous du Val d’Aran, avec les mêmes qualités d’enneigement, Tavascan, dans la vallée du Cardós (qui a récemment donné son nom à une voiture) et la plus grande, Port Ainé, plus proche de la Seu d’Urgell et de l’Andorre sont également réputées. L’habitat de pierre et de bois n’a pas son pareil pour mêler, à les rendre indiscernables, maisons vénérables et constructions récentes. Pour le plus grand plaisir des skieurs, qui tracent leur chemin dans la neige vierge sur les pistes de ski nordique et dévalent les pentes abruptes pour s’adonner au frisson du ski alpin, la montagne se déploie, se plisse et s’élève, en quête de ciel et de liberté. Une fois libérée de son manteau neigeux, elle offre ses flancs aux randonneurs qui, souvent en procession, découvrent, au cœur des parcs naturels, un terrain de jeu sublime. Voies d’escalade, pistes improvisées de VTT, sentiers de découverte de la flore et de la faune, les possibilités terrestres sont innombrables et les couleurs infinies, d’une saison à l’autre.

Au commencement était l’eau

Mais bien sûr, ici, tout, à commencer par la neige, nait de l’eau. Le Pallars Sobirà est un Eden pour les amateurs d’eaux vives. Ici elles sont partout, et permettent même de parvenir, d’où que l’on s’élance en canoé ou en rafting, jusqu’au nord de Lleida où coule l’autre Noguera, la Noguera Ribagorçana, soit parfois jusqu’à 40 km de navigation. Kayak, paddle surf, hydrospeed, canyoning : des centaines d’amateurs de sensations fortes et d’embruns peuplent les rivières, venant du sud de la France et de toute l’Espagne. Ils disputent les flots à une armée de pêcheurs alignée sur les rives à guetter la truite autochtone. Beaucoup de tronçons obéissent aux lois du « no kill », permettant ainsi de préserver les populations de poissons. Vous pouvez même vous inscrire à des cours de pêche et tout y apprendre sur les écosystèmes aquatiques. Avec quatre zones fluviales réservées, Espot, Guingueta d’Àneu, Gerri de la Sal, Ribera de Cardós, ainsi que des lacs offrant une alternative plus tranquille, le choix est vaste. Tous ces sports d’eau vive se savourent au printemps, quand la fonte des neiges grossit les torrents, en été, dans l’odeur enivrante des montagnes fleuries, et bien sûr en automne avant que les premiers frimas ne saupoudrent de blanc les sommets. Skieur, randonneur, cavalier, pêcheur, amateur d’eaux vives, ou simplement en quête d’une immersion dans la nature sauvage et régénérante du cœur des Pyrénées, le Pallars Sobirà offre une réponse majestueuse à vos désirs de liberté et d’aventure, que vous soyez seul, en couple ou en famille. L’hébergement fait une large place aux campings, notamment dans les parcs naturels, mais aussi aux hôtels, souvent de grandes maisons familiales rénovées. Au rayon gastronomie, n’oubliez pas de goûter la girella, la saucisse de mouton servie en tranches frites, le riz aux mousserons, le fromage macéré du tupi, ou encore « la vianda », la potée locale qui mélange poulet, saucisses, nouilles, légumes et de délicieuses poires. Ces saveurs inattendues renforcent le sentiment d’insularité qui marque le visiteur, faisant de cette comarca à la fois une forteresse et un conservatoire à ciel ouvert où l’empreinte humaine reste humble face aux miracles de la nature.

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