VOTRE MAGAZINE N° 132 EST EN KIOSQUE
VOTRE MAGAZINE N° 132 EST EN KIOSQUE

Rencontre avec Imma Ollich

03 Fév Rencontre avec Imma Ollich

Imma Ollich est professeur honoraire aujourd’hui retraitée de l’université de Barcelone. Sa spécialité ? L’archéologie médiévale, c’est-à-dire tout ce que ne couvrent ni sites sacrés ni manuscrits, mais bien ce qui intéresse la masse anonyme dans sa vie quotidienne. Son royaume : le site de l’Esquerda à Roda de Ter.

Cap Catalogne : Imma, bonjour, pourquoi cette spécialité ? En quoi éclaire-t-elle plus spécifiquement cette belle terre de l’Osona ?

Imma Ollich : Il faut savoir que de ce côté des Pyrénées, cette discipline a longtemps été mal comprise. On avait tendance à tout ramener à l’écriture ou à la représentation graphique, ce qui revenait bien sûr à lire une histoire de classes éduquées, supérieures, souvent nobles et riches, ou bien encore à s’intéresser aux seuls objets d’art, ce qui finalement revenait au même. De ce fait, il suffisait de s’intituler « médiéviste » et de tenir pour vérité intangible les faits relatés sur les parchemins ou le patrimoine lapidaire, ce qui est plus que sujet à caution. La trace laissée a toujours été avant tout un acte politique. Cela ne m’a jamais correspondu parce qu’il n’y avait donc aucun lien entre les archéologues de la Préhistoire et de l’Antiquité et les historiens du Moyen-âge. Or, c’est l’ADN de ce site et c’est souvent dans cet intervalle particulier que se situe l’émergence d’une protonation, annonciatrice de la nation.  Et c’est vraiment ce qui m’intéresse.

CC : Et en ce sens, l’Osona est vraiment spécifique ?

IO : Bien sûr ! D’abord parce que je sais depuis toujours que cette terre, qui n’appartient de fait ni à Barcelona ni à Girona malgré les stupides délimitations territoriales des provinces espagnoles, est souvent traitée de « plaine » alors que justement, elle est une couronne de montagnes. L’Osona est tout simplement le cœur de la Catalogne, que ce soit par sa situation géographique, ce qui pourrait être un hasard, ou par son histoire, qui en fait un lieu de passage permanent nord-sud et est-ouest et le fer de lance des comtés chrétiens en lutte contre les Maures. Cette histoire particulière passe par un site que je fouille depuis des années, un site très important puisqu’il fait plus de 12 hectares blottis dans un méandre du Ter, appelé l’Esquerda (la faille). Cet emplacement a été peuplé en gros de la fin de l’âge de bronze soit vers le IXe avant notre ère, au XIVe siècle soit 25 siècles. Ici ont vécu des Ibères de la tribu des Ausetans, et ils ont installé sur l’oppidum, leur capitale, Auso. Je rappelle que c’est exactement ce qu’ils ont fait à Girona avec Sant Julià de Ramis. Quand les Romains sont arrivés, ils ont détruit la ville considérée comme ennemie et l’ont reconstruite un peu plus loin, sur une autre butte.

CC : Comment la continuité a-t-elle été assurée jusqu’à la fin du Moyen-âge puisque la ville était abandonnée ?

IO : Des Wisigoths sont venus s’établir (pour l’anecdote certaines études d’ADN ont permis de leur trouver des origines ukrainiennes, c’est dire si les grandes invasions ont été une vague de fond), puis des Carolingiens, fondateurs de notre appartenance aux Francs, si unique à la Catalogne sur le territoire de la péninsule ibérique, et artisans du miracle roman qu’a connu le territoire. Toujours est-il qu’il m’est possible d’affirmer que la toute première frontière face aux Musulmans, la première base de la reconquête, s’est située ici, à L’Esquerda, bien marquée par le franchissement du fleuve Ter, alors obstacle naturel bien plus notable. Nous nous trouvons sur un front civilisationnel et franchement, cela me parle beaucoup, d’autant que cela contredit beaucoup d’autres thèses. Bien sûr il y a eu un grand moment de vide avant que Vic ne prenne le relais, avec brio, mais l’empreinte est forte. Je commencerai par mon nom « Ollich » qui vient tout droit des Ibères ! L’empreinte est forte et encore tangible.

CC : Où peut on voir les objets de ces fouilles encore en cours ?

IO : Tout simplement au petit musée installé à Roda de Ter, un petit musée qui a tout d’un grand et passionne les spécialistes justement parce qu’il recouvre une énorme période. Je vous conseille de le visiter, il est absolument passionnant.

CC : Vous semblez convaincue que le lien existe encore entre le tempérament des gens de cette comarca, leur inconscient collectif et leurs lointains ancêtres ?

IO : Je suis absolument convaincue que les paysages et les conditions de vie forgent les caractères. Ici, le fait de devoir affronter très tôt des formes de civilisations différentes a en quelque sorte fossilisé les traits dominants qui font tout le charme et l’unicité de la comarca.

CC : Justement, une fois votre casquette de chercheuse posée, vous restez une grande amoureuse de l’Osona.

IO : Oui, c’est mon pays. Quand je suis à Barcelone, il me manque vraiment quelque chose, une part de moi-même. Je sais que mes questions trouvent ici leurs réponses.

CC : Si vous deviez décrire l’Osona en trois mots, pas plus…

IO : Ce sera difficile, (rires). Ce serait d’abord une déclaration d’amour. Je l’aime beaucoup. Ensuite, je dirais que c’est une belle terre encore naturelle, livrée à l’agriculture et à l’élevage. Et aussi entourée de forêts. On est toujours près d’un point de départ de promenade, d’une plongée dans la nature. J’adore. Donc, mon deuxième mot, c’est la beauté. Ensuite, la vie. L’Osona est un lieu où vraiment il fait bon vivre malgré le brouillard (Rires). C’est la rançon de la gloire quand on est une plaine couronnée de montagnes… Et puis, c’est un peu comme dans l’Empordà, on trouve au fil des chemins de vieux hameaux abandonnés prêts à livrer leurs secrets. Ici on a à peu près tout ce dont on peut rêver : une histoire qui plonge loin, très loin au fond des siècles, un art roman sublime, une transmission naturelle du monde paysans et artisan, une belle conscience identitaire qui donne envie d’avancer.

CC : Finalement, votre curiosité pour le monde d’hier c’est un hommage à l’avenir ?

IO : On ne peut rien comprendre à ce qui est, si on ne sait pas ce qui a été. Encore moins peut-on comprendre ce qui sera. Mais dans ce « ce », il y a tous les gens de cette terre. Nous devons connaître et comprendre ceux qui nous ont précédés, savoir comment ils vivaient pour savoir qui nous sommes et choisir qui nous voulons être et ce que nous voulons transmettre. L’Osona apporte ses propres réponses. Disons que j’ai consacré ma vie à les écouter.

Pas de commentaire

Poster un commentaire