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Rencontre avec Xixo Castaño Piñol

28 Mar Rencontre avec Xixo Castaño Piñol

Xixo Castaño Piñol est le seul chef étoilé du Segrià. Il a choisi pour cadre une ancienne vacherie dans un tout petit village aux toits ornés d’imposants nids de cigognes, un véritable concentré de ruralité tranquille. Il nous reçoit au pied levé, disponible et accueillant.

Cap Catalogne : Bonjour Xixo, avant tout, racontez-nous un peu la naissance du cuisiner que vous êtes…

Xixo Castaño Piñol : Je suis natif du Segrià mais je suis parti faire mes études à Girona au début des années 80. à cette époque, il n’y avait pas d’écoles de cuisine en Catalogne, alors direction Tarragona, où j’ai fait mes classes sur le tas avant de revenir sur la Costa Brava, puis en Andorre et bien sûr, à l’époque c’était un passage obligé, en France, à Albertville, à l’Hôtel Restaurant Million. J’ai aimé toutes ces expériences mais j’avais en tête de revenir à Lleida, de rentrer chez moi coûte que coûte. Et donc, j’ai ouvert un premier restaurant, Malena, dans le quartier de la Bordeta en 1991. Il a eu beaucoup de succès et en 2001, à force de travail, j’ai obtenu mon étoile. Les hasards de la vie ont fait que pour des raisons totalement indépendantes de ma volonté j’ai dû fermer ce restaurant, avec tous les risques que cela comporte dans un milieu aussi concurrentiel. En 2009, j’étais ici à Gimenells, tout près de Lleida, et j’ai récupéré mon étoile.

CC : Vous avez fait des choix risqués mais gagnants…

XC : Oui, j’ai gardé le même nom, Malena, et j’ai le bonheur de travailler avec ma femme, mes fils et ma nièce. Un de mes fils est cuisiner comme moi. C’est une vraie entreprise familiale et j’y tiens beaucoup. J’ai choisi de faire de la cuisine expérimentale et durable, et notre équipe resserrée correspond à cet esprit de proximité. 

CC : Parlez-moi de votre cuisine…

XX : J’ai envie de vous dire que c’est tout simplement une cuisine paysanne, rustique, avec un âtre comme piano. Une cuisine qui se base sur les ressources disponibles en fonction des saisons. J’utilise beaucoup de produits du potager, et aussi ceux du verger tellement intenses et concentrés en été. En fait on fonctionne comme si le restaurant était un mas d’autrefois. Je me sens à la fois très contemporain et très ancré dans la tradition. Donc ma cuisine est la résultante de tout ça, créative, durable, puisant son inspiration dans les produits, mais aussi, respectueuse de la tradition.

CC : Vous avez des maîtres à penser, question cuisine ?

XC :  Il y a des gens que j’admire, oui, dont j’ai lu les livres et mangé les créations, mais je ne suis le disciple de personne, non. J’essaie simplement de tirer le meilleur de mon environnement et de me renouveler autant que faire se peut sans trahir l’esprit de ce pays.

CC : Décrivez-nous quelques-uns de vos plats fétiches…

XC : Les raviolis d’escalivada (légumes grillés) accompagnés d’une glace à l’anchois et de menjar blanc (dessert aux amandes) pour l’alliance des saveurs sucrées et salées, le clin d’œil aux cultures locales de poivron et d’amande, et le contraste chaud froid. La brioche avec des sardines salées et des raisins, pour le côté aigre-doux, l’extrême simplicité et la fraîcheur, et enfin, les pommes de terre et les fèves aux escargots et l’aïoli à la menthe, c’est-à-dire monté avec de l’huile de menthe et parsemée de copeaux de menthe. C’est ma façon de rendre hommage à un produit phare de nos terres, l’escargot. Je le cuisine aussi en le faisant de façon très classique à la llauna, sur une plaque en fer, mais en le recouvrant de paille que j’enflamme pour le griller totalement. Ici on a tout, les fruits, les légumes, le gibier, le poisson de rivière… Le Segrià est un paradis.

CC : Et les desserts ?

XC : Par exemple, je propose de la crème catalane au citron et à la cannelle, je ne la brûle pas, mais je la sers avec une glace au caramel, ou alors du fromage blanc avec du potiron, du gingembre et de la glace au melon, ou encore des oreillettes à la ratafia. Toujours des choses simples, parfois des alliances inattendues.

CC : Vous utilisez beaucoup la braise…

XC : En fait ma cheminée c’est le centre absolu de la maison. Un système de tuyauterie lui permet de chauffer tout le bâtiment, et elle alimente aussi un four à vapeur, qui « fume » en quelque sorte les aliments qui y cuisent. Tout est totalement mécanique, mû par l’humain. J’aime beaucoup cette idée du feu au centre de tout. D’ailleurs, une fois qu’un arbre fruitier, un pommier ou un poirier a porté ses fruits, quand il est fatigué, il devient un excellent bois à brûler. C’est le cycle de la nature. Encore une fois, je cuisine comme un paysan. Mes exemples, ce sont les femmes de mon entourage que j’ai vu cuisiner tout au long de ma vie. La mission que je me suis donnée, c’est d’actualiser les recettes, de les mettre au goût du jour.  J’aime la simplicité. Si j’ai une tomate bien mûre, gorgée de soleil, je la cueille pour en faire un jus merveilleux, je ne me lance pas dans un processus compliqué comme la faire sécher pour concentrer ses sucs et la réhydrater, ce serait absurde, ce serait une dérive. Je crois que les gens cherchent des choses impeccables mais simples, des goûts authentiques.

CC : Quand on regarde votre cave, on note que la très grande majorité des vins proposés sont des vins catalans. C’est délibéré ?

XC : Bien sûr, cela correspond parfaitement à ma démarche kilomètre zéro. Ces vins sont nés de nos paysages, il est logique qu’ils accompagnent des plats qui en sont également issus, c’est une question de cohérence. Nous avons des vins extraordinaires, cela permet de proposer des alliances mets-vins qui sont une véritable expérience pour nos convives et qui contribuent à faire de chaque plat un voyage gustatif.

CC : Obtenir une étoile c’est une dynamique, mais la conserver, c’est sans doute une tension. Elle vous pèse ?

XC : Je crois que cette tension est positive au contraire, elle oblige à se surpasser et empêche de se reposer sur ses lauriers. Ça convient au tempérament de cette terre. Vu le climat, la centaine de jours de brouillard givrant que nous subissons chaque année, nous sommes habitués à lutter contre les éléments, ça forge les caractères (rires). Plus sérieusement, tenir le rang d’un établissement étoilé cela demande des investissements, du design, de la vaisselle de prix, du linge élégant, mais c’est le jeu, au bout de deux décennies, je suis rodé !

CC : Vous êtes dans un territoire un peu isolé, au fin fond de la Catalogne. D’où viennent vos clients ?

XC : à 60 % de Catalogne ou d’Aragon, puis du reste de l’état espagnol, en particulier de Madrid ou de San Sebastian. J’ai assez peu d’étrangers, même s’il m’est arrivé que des Suisses, qui avaient tout cherché sur internet, me surprennent par leur connaissance exhaustive de ma carte ! Je suis également très heureux que des gens de Lleida viennent manger et me parlent de mon premier établissement à la Bordeta, cela signifie qu’ils perçoivent une continuité, une démarche honnête.

CC : Malgré le travail toujours trépidant de tous les grands chefs, je vois une guitare derrière vous…

XC : En fait je suis très rock n’ roll, (rires) c’est important de se faire plaisir ! (Lorsque nous passons la porte de ce mas typé, le chat adoptif du restaurant, un matou roux appelé Felipe, nous salue d’un miaulement câlin. Nous partons en emportant le sourire du chef. Belle rencontre.)

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