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Le pays de la rivière

02 Juin Le pays de la rivière

En aval d’Ille, quand la Têt commence à calmer sa jeunesse de torrent montagnard, quand la plaine semble s’étirer à l’infini, brodée de pêchers et de maraîchages, là commence le Riberal, le pays de la rivière.

Le Riberal, c’est ce pays riant que l’on traverse, entre Perpignan et le Conflent, souvent sans s’arrêter. Et pourtant… C’est une petite principauté fermée au nord par le col de Ternère, encadrée par les premiers contreforts des Aspres et les collines calcaires qui amorcent le Fenouillèdes. Un petit pays vert qui finit par se perdre dans un baiser fougueux avec les vignes et les jardins de la plaine de Roussillon. Au-dessus, sur un éperon rocheux, l’ermitage de Força-Réal, construit à l’emplacement de l’ancienne tour de guet majorquine, joue les sentinelles silencieuses, tandis qu’à l’arrière, le Canigou, dont l’impérieux jaillissement est visible de partout, impose son autorité minérale. Un archipel de villages sertis de vert, quadrillés d’un damier miroitant de canaux, entoure le cours du fleuve, comme les perles serrées d’un collier sinueux de turquoises et de corail. Il respire la noblesse tranquille d’un monde paysan qui s’est contenté d’élargir la notion de jardin à des propriétés à taille humaine, soignées outils en mains et passion au cœur. Tout, dans ce paysage, offre des chemins infinis propices à de belles balades. « Dans le Riberal on vit au rythme de la nature, on a toujours ou des fleurs ou des potagers qui marquent les saisons. Même si on n’est pas agriculteur, on n’échappe pas à ce calendrier paysan » explique Chantal, institutrice. C’est vrai, le Riberal, formé de terres alluviales, prompt à se gorger d’eau pour se prêter à la création de lacs ou à la formation spontanée de marécages, est une terre riche, une terre d’« hortes » (jardins) et de vignes, une terre de vergers que les printemps peignent du rose doux des arbres fruitiers, omniprésents. Pour mieux maîtriser ce pays dont elle est la déesse absolue, la Têt s’est même inventé un affluent qui lui permet de visiter, l’air de rien, l’intérieur des terres. Le canal de Corbère est un véritable petit fleuve. Il traverse depuis plus de six cents ans, le village fortifié de Bouleternère où il s’offre le vertige d’une grosse cascade mousseuse avant d’aller lécher les pieds du joli château de Corbère. « Tout s’organise autour du canal. Regardez sa profondeur, son courant, c’est une véritable rivière, sans lui, tout ce monde de pêchers et de potagers n’existerait pas et il n’y aurait pas eu de lavoirs, non plus dans nos villages » commente Michel, élu et professeur d’université. « Quand je dis le canal, je veux dire les réseaux de canaux, régis pendant des siècles par un système d’heures réservées de libre utilisation de l’eau, égalitaire et unique. C’est un sacré patrimoine historique et il est presque toujours bordé d’un chemin ombragé. C’est un lieu de promenade merveilleux, où l’on découvre les traces des anciens moulins à farine et à huile, à conseiller à tous ceux qui cherchent à s’évader dans le vert. Le Riberal, c’est l’antistress par excellence ».

La Têt en majesté

De retour vers le fleuve originel, la descente enchantée se poursuit à travers la somptueuse capitale du Riberal, Ille, enchâssée dans ses remparts, qui avance maisons et églises comme l’énorme étrave d’un paquebot de pierre cinglant vers l’aval, frappée d’un sceau baroque qui la sublime et la distingue. Sur la gauche, la montagne se transforme en orgue géant nimbé de rose, et dresse vers le ciel haut des concrétions de pierre aux drapés de dentelle. Cette sorte de cathédrale minérale, enchâssée dans les genêts et les chênes verts mérite votre détour et les honneurs de votre objectif. Des roseaux serrés font une haie d’honneur à la Têt souveraine, assagie, qui trace son chemin vers Millas. Ouvert aux vents du sud, le village est connu pour sa feria débridée, sons sens de la fête et l’empreinte de son âme gitane. à l’entrée du village, une sculpture représentant un toreador célèbre cette ibérité d’adoption « Millas est un carrefour, à partir d’ici on peut partir vers Thuir ou traverser la montagne pour rejoindre Estagel et la vallée de l’Agly par les chemins de la garrigue. Autant dire que nous sommes un paradis pour les amoureux de la marche et du vélo, dans un parfait équilibre entre plaine et montagne, mais aussi entre zones humides et résolument méditerranéennes » sourit Jacques, cycliste chevroné. C’est en effet ici, de l’autre côté du pont, que commence la montée enchantée vers le petit ermitage de Força Real.

La rivière, toujours

La petite chapelle tutoie fièrement les tours des Corbières qui hérissent l’ancienne frontière avec l’Occitanie, et là-bas, au loin, la silhouette du Palais des Rois de Majorque. Le fleuve, indifférent, s’installe désormais dans une plaine riante, luxuriante, qui alterne vergers impeccablement alignés, maraîchages striés de canaux, et déjà, de rares effractions de la vigne. La Têt ne daigne plus traverser les villages, certaine que les ouvrages d’irrigation suffisent à leur dispenser la bénédiction de ses eaux. « Le Riberal n’a pas de grandes merveilles patrimoniales, mais si on s’en donne la peine, la beauté de nos villages se livre, dans la simplicité de nos églises qui recèlent de véritables trésors, dans les terrasses accueillantes de nos places, dans les celleres (espace sacré entourant l’église) intactes et les façades de cayrou. Je conseille aux visiteurs de flâner et de laisser l’enchantement agir, le Riberal c’est d’abord le plaisir de musarder » déclare Jean, historien de l’art. De l’autre côté du fleuve, toute une rangée de petites maisons de fortune semble coincée entre la route et les eaux, abritée sous les grands platanes qui veillent sur le paysage et rappellent le temps où l’ombre était l’alliée indispensable des déplacements en charrette. Ici vit une communauté gitane ancestrale, catalanophone, indissociable des gens du Riberal. « On a toujours vécu ici. Avant, les vieux élevaient des chevaux, maintenant, on fait des petits boulots, mais on continue de faire de la musique et de parler catalan comme on l’a toujours fait, chez nous, la tradition c’est ce qui compte le plus. On est des gitans d’ici, on fait partie du paysage » explique Rafael, guitare en main. Un peu plus loin à Corneilla, on devine encore les fortifications à travers deux tours partiellement intactes. Les maisons sont grandes, on sent que la vigne a fait ici une entrée triomphale et modifié l’architecture paysanne de cayrou pour y intégrer des dépendances plus vastes. Reinald, agriculteur, confirme : « chez nous, à Corneilla mais aussi chez nos voisins de Pézilla, on n’a pas vraiment choisi entre le maraîchage et la vigne, on fait tout à la fois, ça donne un autre rythme et des paysages magiques. » Tout comme leur voisine, Villeneuve, Corneilla et Pézilla se vouent à la Têt, puisque les trois villages accolent à leur nom la mention « de la rivière », c’est-à-dire en fait, « du Riberal ». La vigne s’installe en val, dans un paysage parsemé de grandes propriétés entourées d’arbres installées sur les renflements des coteaux. La plaine du Roussillon commence à pointer son espadrille autour du Soler et de Saint Estève. On ne sait pas très bien où commence et finit la sous-comarca du Riberal, la question est assez polémique. Pourtant, l’identité est évidente, elle est faite, au-delà des terres cultivés, de platanes, de roseaux et d’eau, de ponts et de passages à gué, de canaux et de chemins qui serpentent et prêtent allégeance à la Têt dans les chants des oiseaux et des insectes, les odeurs d’herbes et de fleurs. Tous les villages ont en commun d’offrir une vie tranquille et de cultiver la convivialité déclinée en festivals qui enchantent l’été, en ferias légendaires, en petits restaurants, en fêtes votives colorées et en petits marchés animés. Des joies simples à partager en famille, entre amis ou en amoureux pour célébrer le retour de la liberté d’être après ces longs mois de privation. Magnifiquement desservi par un réseau routier de premier plan, des voies cyclables majestueuses, des routes secondaires charmantes et une ligne dédiée de chemin de fer, le Riberal laisse passer dans ses jardins les doigts bleus de la Têt et le peigne de ses canaux, pour donner naissance à un art de vivre fondu dans l’environnement et le rythme de la nature. à deux pas de Perpignan, le Riberal vous tend les bras. Ouvrez bien les yeux, respirez, le voyage commence.

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