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Les yeux d’Ava

02 Juin Les yeux d’Ava

Tossa est si belle, si improbable dans ses remparts qu’on la croirait créée par un génial décorateur de cinéma. Et pourtant, tout est vrai. Moteur !

“Une semaine déjà que je suis là. Quelques jours et une éternité de bleu. Nous avons beau vivre en Californie, parmi les vignes, au bord de la mer, rien ne nous prépare au choc de la Méditerranée. Ce matin, une barque m’a amenée à Tossa, une ville fortifiée, enserrée dans ses remparts crénelés, ourlée de plages, dominée par ses tours et, tout en haut de la colline, un phare blanc. Le tout dans une profusion de fleurs, de cris, de rires ! Chose étrange, ici la mer ne se dérobe pas. Les barques sont simplement tirées haut sur les plages. Tout paraît serti de bleu, tout respire l’amour, on pourrait être en Grèce ou en Italie. Je pourrais passer ma vie, je crois, à regarder le large, debout sur la colline, le soleil dans les yeux, désirante et silencieuse ». Voilà ce qu’aurait pu écrire Ava Gardner, arrivant à Tossa en 1950 pour y tourner un film mythique : Pandora. Nul doute que la vue de son rêve exaucé, sa statue en pied contemplant la mer du haut de la colline, dessinerait sur son sublime visage un doux sourire de sphinx. à bien y réfléchir, les points communs sont nombreux entre la superbe actrice revisitant sa beauté à chaque rôle, à chaque costume, sans que jamais ne s’altèrent ses traits parfaits, et Tossa, qui n’a cessé de se métamorphoser et de se parer pour offrir au visiteur d’aujourd’hui le sortilège de sa beauté plurielle. Il y a tant de Tossa dans Tossa… Seule ville encore fortifiée de la côte catalane, elle s’abandonne encore en partie à l’étreinte de ses remparts dont le tracé répond à l’échancrure harmonieuse de la baie principale et de ses criques. Trois tours veillent sur cette vénérable ceinture de pierre, la tour de Joanàs qui domine la baie, la tour des heures et la tour du Codolar qui domine la place d’armes. Il y a bien longtemps que le cliquetis des fourchettes heureuses, inspirées par la présence de très nombreux petits restaurants, a remplacé celui des épées de la Tursa médiévale. Dans le centre ancien marqué par des rues étroites, souvent revêtues d’une jolie calade formée de galets glanés sur la plage, de belles demeures et un mélange pittoresque de boutiques stylées et de petits commerces traditionnels regardent passer une foule bigarrée de visiteurs et d’habitants.

La morsure de la mer

Passez la magnifique porte monumentale, montez une envolée de marches et prenez le chemin qui serpente vers le phare, installé là où trônait à l’époque le château de Tossa, tout en haut, mais tourné de l’autre côté, face à l’appel du large. Alors, retournez-vous et contemplez la ville, presque irréelle de beauté dans ses remparts. La montée abrupte est un véritable enchantement, une traversée de jardins, et de vues dérobées sur la mer et la ville. L’ancienne église gothique du village offre encore au regard sa splendeur éventrée. Ava veille pour l’éternité sur ce paysage sublime. à l’angle des remparts, juste devant l’ancienne demeure du commandeur, devenue aujourd’hui un musée reconnu, un trou dans la muraille révèle en contrebas une plage secrète, la plage du codolar. C’est un des sites les plus emblématiques de la ville, et à ce titre, une star des objectifs ! la petite crique cache le départ du chemin de ronde vers Lloret et un chapelet de criques sauvages de toute beauté. Tous les chemins de Tossa mènent à la mer, si longtemps nourricière, toujours inspirante. La première expansion de la ville hors de ses remparts, juste à leurs pieds, est le quartier des pêcheurs, Sa Roqueta, installé au pied de la muraille.

Un charme exotique

Une petite merveille de rues escarpées et de petites maisons chaulées vous offre un véritable voyage dans le Tossa d’autrefois. Fermez les yeux et tout prend vie, les paniers ruisselants de poissons, le geste auguste, réparateur, des ravaudeuses… Les mouettes élégantes complètent le tableau. La mer, tout en bas, éclaboussée de soleil, accompagne le ruban ocre de la plage, bordée de belles maisons, dont une étrange construction d’inspiration moderniste, constellée de ce bleu profond comme la mer au-dessus des abysses, couleur connue ici sous le nom de « blauet ». La promenade maritime y marque la pose, séduite par ses gargouilles qui figurent les quatre saisons, ses céramiques vitrées, ses ouvertures géométriques à redans et ses vitraux. L’escalier en marbre et la fontaine avec la statue de Diane chasseresse attribuée à Frederic Marès apposent leur griffe aristocratique à la Casa Sans, joyau de la grande plage, immense et douce, qui propose tous les plaisirs de l’eau et tous les services inhérents à une station conviviale certes, mais chic. Une petite rivière enjambée de ponts étroits  traverse la ville. Sa trouée, par endroits verdie de roseaux, révèle des ruelles aux jardins exubérants et des terrasses fleuries. Elle mène au Parc de Sa Riera, cinq hectares plantés de chênes verts, de chênes lièges, d’ormes et de peupliers qui se mirent dans une petite retenue d’eau et jouxtent zone de pique-nique et ensemble sportif. Retournons dans la ville par le quartier des Socors, plus récent que la ville ancienne, mais particulièrement vivant. L’église Sant Vicens, avec son joli fronton baroque de pierre blonde et son portail encadré de deux jolis cyprès, mérite une petite visite. à l’angle de deux rues, la Chapelle des Secours, chaulée et refermée d’une grille de fer forgé apporte une note presque mexicaine. Tout au bout, la plage de Mar Menuda (la petite mer) offre une toute petite calanque, appelée « Sa Banyera de Ses Dones » (la baignoire des dames), idéale pour les enfants. Juste à côté, les plongeurs sont aussi à la fête car l’ensemble minéral, qui semble avoir été coupé en deux par un sabre monstrueux reste aujourd’hui séparé par un minuscule bras de mer, situé sur une falaise sous-marine. Il est aussi le point de départ du chemin de ronde qui mène à Sant Feliu de Guixòls parmi les pins et les chênes verts.

Pour le plaisir

C’est dans ce paysage de montagne et de mer, idyllique vu du large, que fut fondée la Turissa romaine, dont subsiste aujourd’hui la très belle villa des amandiers (vil·la dels ametllers), avec sa partie résidentielle et sa partie agricole, ses thermes en marbre de Carrare, sa fontaine et sa piscine. Peut-être les Romains ont-ils déjà croisé les menhirs qui émaillent la montagne ? Ici, les histoires s’entrecroisent ! Si la ville offre un incroyable éventail de plaisirs, le cadre naturel du massif des Cadiretes qui culmine à 519 m lui offre un écrin de forêts tempérées qui a la particularité de présenter des caractéristiques atlantiques et donc des bosquets serrés de feuillus. Elle regorge de sources fraîches qui adoucissent les ardeurs de l’été. Randonneurs et cyclistes affectionnent le secret des sentiers ombragés qui explosent brusquement dans la lumière à la faveur d’un mirador inattendu pour plonger dans le bleu. Mais le meilleur reste encore à venir, invisible pendant la journée. à Tossa, quand on revient de la plage, ou de quelque randonnée dans la garrigue odorante ou sur le chemin de ronde, la ville se prépare à une seconde vie dès que l’orange sombre du soleil disparaît dans les flots. Les volets maquillés de bleu s’ouvrent grands sur le soir qui tombe et les rues mettent leurs bijoux de néons et de lumière. L’âme méditerranéenne s’éveille à la nuit, avec pour commencer, les longs dîners en terrasse et les conversations sonores qui font s’entrecroiser une bonne dizaine de langues, déliées par l’alliance magique des vins de l’Empordà et de la gastronomie locale dont les stars incontestées sont les suquets et le « Cim i Tomba », une vraie spécialité locale à déguster de toute urgence. Une belle promenade digestive le long des plages ou sur la colline, et voilà, Tossa est prête pour le temps de la fête ! Elle se parfume de musiques métissées, se saoule de chansons dont les effluves enchantent la nuit d’un bar à l’autre, et se mêlent à la force iodée du vent. Alors, la ville se redresse pour danser, ses yeux bien plantés dans ceux de la mer nimbée de nuit, les éblouissements et les blessures de la vie et de l’amour. Tossa nous offre des rushes de film, des éclats d’image et des scénarios entrecroisés mais il nous revient d’en réaliser le montage en la parcourant. Pour le reste, il y a bien longtemps que Turissa, Tursa, Tossa, connaissent la leçon qu’elles ont donnée à Ava et renforcent, à chaque changement d’époque et de costume, la séduction puissante de leur âme amoureuse.

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